Corps de l’article

Violence and terror are highly politicized terms embraced and elaborated by victims and avoided by perpetrators, especially if the perpetrator is a state.

Carole Nagengast 1994 : 115

[…] a recurrent problem with ethnographies of dangerous fields is the failure of anthropologists to consider their own role as actors in the drama of violence playing out before them.

J. Christopher Kovats-Bernat 2002 : 217

Le 28 avril 2004, l’auditoire de l’émission télévisée 60 Minutes II assiste à la première diffusion de photographies qui bouleverseront le monde. Celles-ci montrent des soldats de la 372e compagnie de police militaire de l’armée américaine commettant des sévices sur des prisonniers « combattants ennemis » irakiens dans la prison d’Abou Ghraïb en Irak. Le scandale éclate immédiatement.

Au mois d’octobre suivant, le Rapport du Major Général (MG) Taguba (2004), destiné, à l’origine, à une diffusion interne seulement, est rendu public à la suite d’une requête appuyée sur le Freedom of Information Act (FOIA)[1]. Voici un extrait qui décrit des sévices commis sur des détenus irakiens :

Punching, slapping, and kicking detainees ; jumping on their naked feet ; videotaping and photographing naked male and female detainees ; forcibly arranging detainees in various sexually explicit positions for photographing ; forcing detainees to remove their clothing and keeping them naked for several days at a time ; forcing naked male detainees to wear women underwear ; forcing groups of male detainees to masturbate themselves while being photographed and videotaped ; […] Breaking chemical lights and pouring the phosphoric liquid on detainees ; pouring cold water on naked detainees ; beating detainees with a broom handle and a chair ; threatening male detainees with rape ; allowing a military police guard to stitch the wound of a detainee who was injured after being slammed against the wall in his cell ; sodomizing a detainee with a chemical light and perhaps a broom stick, and using military working dogs to frighten and intimidate detainees with threats of attack, and in one instance actually biting a detainee.

Taguba 2004 : 17-18

En général, la tradition scientifique occidentale astreint le chercheur à une séparation stricte entre ses émotions et sa recherche (Jaggar 1989 ; Campbell 2002 ; Huggins et Glebbeek 2003). Par contre, et nous y reviendrons, des auteurs ont remis en question cette séparation et c’est pour servir mon propos que je développe ici une courte explication de mon cheminement théorique amorcé dans le cadre d’une recherche en cours au niveau de la maîtrise. En fait, au moment de la diffusion des photographies d’Abou Ghraïb, je travaillais sur le viol de guerre. J’estime que la discipline anthropologique peut contribuer à l’avènement de la paix par le truchement de l’anthropologie des conflits et de la violence. Les motivations profondes qui m’ont poussée à étudier ce thème très éprouvant étaient de comprendre le phénomène afin de développer les outils nécessaires pour lutter, ou du moins dénoncer, cette abomination qu’est le viol de guerre. Je voulais saisir ce qui pousse les personnes qui commettent un viol en contexte de conflit armé à agir de la sorte et cerner comment ils construisent et comprennent leurs actes. À la lumière de mon travail, j’en suis arrivée à comprendre le viol comme un acte de pouvoir et de domination qu’une personne ou un groupe de personnes exercent sur une autre personne ou un groupe de personnes et dont le moyen de domination est la sexualité. En termes simples, le viol est un acte dont la domination est la fin et la sexualité le moyen. Cette compréhension du viol en contexte de conflits armés m’a dirigée vers l’examen de la notion centrale de construction de genre, acceptant l’idée de Scheper-Hughes et Bourgois selon laquelle le viol est une violence genrée (gendered violence) (2004 : 22). Les viols de guerre étant souvent commis par les membres de forces armées, j’ai exploré la littérature concernant la culture militaire, particulièrement celle des pays occidentaux. Ce glissement thématique m’a amenée à approfondir un concept plus large dans lequel le viol peut être inclus, la torture.

L’exploration de ces trois notions – la culture militaire, la torture et la construction de genre – allait baliser mon étude des évènements d’Abou Ghraïb. J’ai donc choisi de me pencher sur la torture, et plus particulièrement sur les formes de torture perpétrées par la féminisation des suppliciés irakiens détenus par l’armée américaine dans la prison d’Abou Ghraïb. Trois questions s’imposaient : a) Quels sont les actes commis? b) Y a-t-il matière à songer à une acceptation tacite (ou explicite) de la torture dans l’édifice militaire étatsunien? Si oui, quelles en sont les modalités d’acceptation? c) En quoi ces actes de torture, qui passent en grande partie par la féminisation des détenus, font-ils sens pour les tortionnaires? Je voulais par ces questions tenter de comprendre la façon d’être et la conception du monde des personnes qui évoluent dans le milieu martial étatsunien et, par ricochet, circonscrire les éléments de la culture militaire qui peuvent mener à des actes de torture comme ceux d’Abou Ghraïb. Pour ce faire, j’ai élaboré une approche multi-située (Marcus 1995, 1998) qui tenait compte de trois sites clés – chacun répondant à une des questions exposées ci-dessus – me permettant de cerner le sens que les militaires étatsuniens donnent aux évènements d’Abou Ghraïb.

Le rapport du MG Taguba – qui contenait des descriptions de sévices commis et des témoignages de soldats et de détenus – était mon premier site. En effet, puisque ce rapport était destiné à usage interne seulement (Hersh 2004 : 22), je supposais que son contenu n’avait pas été atténué afin de diminuer ses effets sur la population étatsunienne et mondiale.

La ville de Washington D.C. constituait mon deuxième site. En plus de me rendre compte des conséquences importantes qu’avait eues le scandale d’Abou Ghraïb sur les médias et la population des États-Unis, j’ai pu consulter la National Security Archive (NSA), organisme indépendant qui collige des documents gouvernementaux rendus publics par la Freedom of Information Act (FOIA). J’ai aussi récolté auprès d’organismes humanitaires et de défense des droits comme Human Rights Watch, School of the Americas Watch et le Comité international de la Croix-Rouge des archives qui me permettront d’approfondir ma réflexion sur les modalités d’acceptation de la torture par l’univers militaire étatsunien.

Finalement, afin de répondre à ma troisième question – le sens des actes commis à Abou Ghraïb pour les soldats étatsuniens – je voulais explorer le savoir scientifique militaire afin de mettre en lumière le discours de l’institution sur la culture arabo-musulmane et irakienne. Comme les tortionnaires recourent à la déshumanisation et à l’annihilation de l’autre, ils visent le groupe d’appartenance du torturé, la « part collective de l’individu » pour emprunter l’évocatrice expression de Françoise Sironi (1999 : 47). Une connaissance culturelle et sociale de cet autre est un élément essentiel au développement des méthodes de torture. Les collèges militaires étatsuniens, haut lieu de création et de transmission de savoir, forment les officiers qui servent les Forces armées. Je voulais dans cet esprit entrer en contact avec des militaires qui sont engagés dans les Middle East Studies du Regional Studies Detachment à la JFK Special Warfare Center and School, collège de l’armée américaine situé à Fort Bragg en Caroline du Nord, et cerner ainsi le savoir militaire sur les cultures et sociétés arabo-musulmanes et irakienne.

Le terrain : là où les ennuis commencent

Au moment d’écrire cette note de terrain – moins de trois mois après mon retour – je me suis demandé de quelle façon je devais aborder mon expérience pour amener une ébauche de réflexion nouvelle sur la démarche scientifique en anthropologie et plus particulièrement en anthropologie des conflits et de la violence. Ce champ de la discipline est peu développé ; la violence des États occidentaux comme objet d’étude, sa signification et ses implications apparaissent rarement et tardivement (Blok 2000 ; Scheper-Hughes et Bourgois 2004) et les méthodes pour en rendre compte sont peu développées (Robben et Nordstrom 1995 ; Sluka 1999a ; Kovats-Bernat 2002). Les anthropologues qui s’intéressent aux phénomènes de violence étatique sont donc prisonniers d’un cercle vicieux ; ces phénomènes n’ont pas soulevé l’intérêt des anthropologues, des méthodes n’ont ainsi pas été développées. Il devient par conséquent ardu de se pencher sur de telles problématiques. En effet, comme le souligne Carole Nagengast,

Anthropology has not been in the forefront of the study of collective violence, terrorism, and especially violence in state societies, in part because its methods and theory depend on months and years in the field, until recently defined as a relatively small, self-contained community that did not include the state.

Nagengast 1994 : 112

Il faut ainsi dans ces contextes réinventer ou au moins revisiter les méthodes anthropologiques. À cet égard – et même si plusieurs anthropologues ont déjà fait des ethnographies dans des situations de conflits armés[2] – une ethnographie au sens propre m’a semblé quasiment impossible à accomplir dans le cadre de mon projet de maîtrise pour deux raisons majeures. En premier lieu, je n’avais pas accès à l’Irak et encore moins à Abou Ghraïb. En second lieu, un séjour prolongé où j’aurais pu mener une ethnographie dans une institution de pouvoir comme les Forces armées étatsuniennes me paraissait une option vaine considérant ma problématique de recherche ainsi que mes moyens monétaires et temporels. Voilà pourquoi j’ai adopté une méthode multi-site, qui m’a permis de contourner ces difficultés tout en continuant une collecte de données pour me renseigner sur les liens entre les violences infligées aux prisonniers d’Abou Ghraïb et la culture militaire étatsunienne. Notons ici que les méthodes d’étude à distance des institutions violentes a une assez longue histoire en anthropologie, comme en fait foi par exemple l’étude de Margaret Mead sur l’attitude des Soviétiques à l’égard de l’autorité effectuée dans les années 1950 (1966).

J’ai de cette façon élaboré un projet de terrain anthropologique. J’étais tout à fait consciente qu’objectivement parlant mon terrain était moins périlleux que certains autres que des anthropologues avaient déjà effectués, puisque je ne me trouvais pas sur les lieux mêmes des événements. De plus, contrairement à beaucoup de recherches faites en anthropologie des conflits et de la violence, les personnes que j’ai rencontrées n’ont pas de responsabilité directe ou n’ont pas été victimes des actes commis, quoique le thème de ma recherche reste sensible pour eux. Ainsi, en raison de cette situation quelque peu singulière, je me suis permis d’émettre une réflexion sur des thèmes qui m’ont paru cruciaux en regard de mon expérience : les contraintes imposées par les instances d’éthique de la recherche et le bagage conceptuel du chercheur. Ces deux thèmes, d’abord développés séparément, se réuniront en conclusion.

L’éthique et la recherche

Au Canada, les comités d’éthique dans la recherche se donnent comme mandat, entre autres, d’« [é]valuer tout projet de recherche impliquant des sujets humains, […] réalisé sur place ou par les membres de l’Université […] » (CÉRUL 2005) afin que toute recherche effectuée soit conforme aux normes éthiques telles que le prescrit l’Énoncé de politique des trois conseils[3]. Ces normes reposent sur le principe de dignité humaine, « clé de voûte de l’éthique moderne » (CRM, CRSNG et CRSH 2003 : i.5) pour faire en sorte qu’aucun projet ne nuise à ses sujets de recherche, tant au niveau corporel que psychologique ou culturel (ibid.). Bien que les normes éthiques imposées par ces comités semblent fondées sur des réflexions émanant des relations chercheurs-sujets dans le cadre de recherches biomédicales, les précautions dictées sont certainement nécessaires dans le contexte d’une anthropologie des conflits et de la violence[4].

Toutefois, il semble qu’un débat doive être amorcé sur cette question dans la mesure où le cadre de ces comités, établis pour protéger des sujets vulnérables face à des chercheurs en position de pouvoir, peuvent s’avérer problématiques lorsque les rapports de pouvoir entre le chercheur et le sujet sont inversés. Autrement dit, il faut réfléchir aux mécanismes éthiques imposés – non sans raison – à la recherche scientifique lorsque le chercheur veut « étudier vers le haut »[5]. Qui plus est, une plus grande considération de la responsabilité du chercheur envers le public et envers la discipline dans laquelle il ou elle s’inscrit est nécessaire. L’expérience de terrain que j’ai vécue illustrera ces propos dans les lignes qui suivent. Je voulais étudier une institution de pouvoir, institution susceptible de s’avérer responsable d’actes de négation de la dignité humaine. Les relations entretenues avec les informateurs s’inscrivaient dans une tout autre perspective que celle de l’Énoncé de politique des trois conseils. En effet, les rapports de pouvoir multiples sont permutés : je suis une chercheuse qui étudie une puissante institution fondée sur le secret, la violence et son exécution (Winslow 1997 ; Hawkins 2001 ; Huggins et Glebbeek 2003) ; et je suis une femme qui analyse une institution à prédominance masculine. Cela étant, il faut souligner que le débat concernant l’éthique a déjà été amorcé dans la discipline. Entre autres, Kovats-Bernat propose :

We need not abandon wholesale the discipline’s ethical codes, but we might well consider the adoption of a more localized ethic if it can decrease our exposure to danger while on job, even if such an adoption at times runs counter to the established ethics of traditional anthropology.

Kovats-Bernat 2002 : 219

Ne devrait-on pas exporter un tel débat au-delà des frontières de l’anthropologie? D’autant plus qu’au Canada – il faut le souligner – toute recherche concernant des « sujets humains » doit être approuvée par des comités d’éthique fondés sur l’Énoncé de politique des trois conseils avant d’être entreprise.

La décision de partir aux États-Unis dans le cadre de mon terrain s’est prise moins de deux mois avant le départ. Cela a eu pour conséquence que je n’ai pas eu le temps de soulever un débat auprès des membres du Comité d’éthique de mon institution d’enseignement. Ce qui me préoccupait était l’obligation de révéler à mes informateurs militaires tous les objectifs de ma recherche. Il me semblait qu’aborder une seule de mes trois questions– celle qui concerne le savoir martial sur les cultures et sociétés arabo-musulmanes et irakienne – aurait suffi, d’autant plus que je ne les aurais questionnés que sur cette thématique. Ainsi, pendant la préparation de mon dossier à présenter, avais-je abordé cette interrogation avec une personne qui travaille au Comité d’éthique de mon institution. On m’avait alors répondu qu’on refuserait probablement d’approuver mon projet même si j’étais prête à aller défendre ma cause devant les membres du Comité. Je me suis donc pliée rapidement aux exigences réclamées – il y a tant à faire avant un départ – et j’ai préparé feuillets d’information et formulaires de consentement qui exposaient tous les objectifs de ma recherche.

Le bagage conceptuel

Il est rare que le bagage conceptuel d’un chercheur en sciences sociales soit problématisé (Campbell 2002) même si on accepte largement que la discipline dans laquelle il s’inscrit teinte sa vision du monde. Il est encore plus rare que ce bagage conceptuel et les émotions du scientifique soient liés : la tradition de la science occidentale stipule que l’émotion n’y a pas sa place (Jaggar 1989 ; Campbell 2002 ; Huggins et Glebbeek 2003).

Cependant, mon expérience à Fayetteville (Caroline du Nord) m’oblige à faire une réflexion qui lie bagage conceptuel et émotions. Elle s’est déclenchée à un moment très précis : j’en étais à ma deuxième journée dans cette ville voisine de Fort Bragg où j’escomptais faire des rencontres et des entrevues avec des militaires qui travaillent à la JFK Special Warfare Center and School. Je me trouvais à la Fayetteville State University pour visiter la bibliothèque, mais tout était fermé et désert. C’était Vendredi Saint et cela m’avait échappé. Je me dirigeais donc vers l’arrêt d’autobus quand une voiture blanche, avec trois hommes à l’intérieur, se mit à tournoyer autour de moi. Ayant déjà réfléchi longuement à l’attitude à adopter en cas d’agression (étudier le viol a de ces avantages!), je continuai à marcher normalement. Les cercles se resserrèrent. Ça y est, me dis-je, je vais vivre et comprendre intimement les troublants récits de viol que j’ai lus[6] – je ne pouvais songer à une autre éventualité. C’est alors que, en continuant de marcher, je vis se profiler une voiture de police garée à l’ombre d’un édifice. Ipso facto, je m’approchai d’elle et l’automobile blanche repartit comme elle était venue. Je ne saurai jamais si la menace était réelle ou imaginée, et là n’est pas la question. Par contre, il est indéniable que cet événement a déclenché une peur en moi, ou plutôt la conscience d’une peur qui était déjà présente.

Je me suis alors rendu compte que le fait d’avoir passé un an et demi à lire sur le viol, la violence politique et la torture avait modelé mes perceptions de la vie courante. Jaggar illustre bien l’idée que je tente d’avancer :

[…] human emotions are not simple instinctive responses to situations or events ; instead, they depend essentially on the ways that we perceive those situation and events, as well as on the ways that we have learned or decided to respond to them.

Jaggar 1989 : 160

Jamais il ne m’était venu à l’esprit que le bagage conceptuel accumulé pour l’élaboration d’un mémoire de maîtrise pouvait avoir autant d’impact. Et par conséquent, jamais je n’aurais pu me préparer à vivre avec les émotions créées dans le contexte de Fayetteville. J’avais le sentiment de m’être placée dans une position où j’aurais pu devenir victime de ce que j’étudiais. L’isolement me rendait plus vulnérable à des actes de violence gratuite ou politique. Cette vulnérabilité était accentuée par les exigences imposées par le comité d’éthique. J’avais le sentiment d’être contrainte à révéler des questionnements qu’on aurait pu vouloir faire taire par une manoeuvre quelconque. J’ai réalisé en effet que le problème majeur dans mon projet n’était pas de faire une recherche sur un événement particulièrement explosif que l’institution des Forces armées étatsunienne avait condamné comme une infamie[7], mais plutôt d’utiliser cet événement comme point de départ pour une réflexion plus large sur la torture et sa pratique, liées à l’entraînement et à la culture militaires, domaines qui tendent à être gardés secrets. À cet égard, ce séjour à Fayetteville a permis à mon imaginaire chargé d’idées conceptuelles sur le viol, la torture et la violence politique de modeler ma perception de situations qui, a posteriori ou vues de l’extérieur, peuvent sembler plutôt anodines.

Conclusion

Cela étant dit, il convient de se poser une série de questions. Comment peut-on réfléchir à des thèmes qui touchent la violence sans sacrifier une partie de sa sécurité corporelle et de son bien-être mental? Comment se préparer émotionnellement à de telles expériences de terrain même si le chercheur est conscient (contrairement à moi) de l’impact du bagage conceptuel sur les émotions? Si cela n’est pas bien fait, comment effectuer des rencontres et des entrevues lorsque la peur et l’angoisse paralysent le chercheur? N’y a-t-il pas lieu de tenir une importante réflexion concernant l’éthique de la recherche et ses contraintes quant à la protection du chercheur lorsque celui-ci s’efforce de comprendre des actes de négation de la dignité humaine commis par des États?

Un des buts de ce texte est d’amener une ébauche de réflexion sur l’anthropologie des conflits et de la violence. Il émane d’une réflexion personnelle qui a surgi dans un contexte de terrain très précis et sa source est l’idée que les thèmes abordés dans ce champ de la discipline sont souvent extrêmement sensibles. Toutefois, il est loin de prétendre à l’exhaustivité. Ce texte est plutôt un récit, analytique certes, mais témoignant d’une expérience à peine assimilée. Le coeur du propos concernant les émotions du chercheur liées au bagage conceptuel croise un débat sur l’éthique. Ce dernier principe a accentué, par des exigences concernant la révélation des objectifs de la recherche aux informateurs militaires, mon sentiment de vulnérabilité lorsque je me trouvais à Fayetteville. Cela dit, il est selon moi très important d’aborder les difficultés de la recherche en anthropologie des conflits et de la violence. Je tenais à faire cette contribution – aussi mince soit-elle – pour souligner l’importance des thèmes de l’émotion du chercheur et de l’éthique dans ce champ de la discipline. Si mon expérience de terrain était à recommencer, je me préparerais autrement. Partager ces difficultés permettra à d’autres, je l’espère, de prendre conscience de certaines problématiques et faire en sorte que des méthodes davantage fondées voient le jour dans le champ de l’anthropologie des conflits et de la violence, notamment pour briser le cercle vicieux dans lequel des anthropologues s’étourdissent.