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Le temps du pub, fruit d’une ethnographie menée entre 2001 et 2006, se présente comme un ouvrage modeste tant par ses dimensions que par la portion congrue des considérations théoriques qu’on y trouve. Cette ethnographie des pubs dans une bourgade anglaise cherche à décrire leur quotidien, les montrant comme un microcosme de la société anglaise où s’expriment publiquement les sentiments de classes, les relations de genre et l’attachement à son lieu de naissance et aux divers rites et rythmes qui scandent la vie sociale.

L’auteure aura recours à quelques éléments éclairants de contextualisation historique et à des éléments de comparaisons avec les quelques autres ethnographies sur le sujet, y compris celle de George Orwell, non-anthropologue professionnel, mais au regard combien lucide et perçant.

Elle procède initialement à une description physique des pubs (leur apparence, leur organisation, leur ambiance, etc.) et à celle de leurs caractéristiques légales et économiques, puis enchaîne en nous présentant les maîtres des lieux, les publicans, réputés excentriques, dévoilant un monde dominé par les femmes où la distinction entre le privé et le public tend à s’affaisser. Un chapitre nous peint le monde des habitués qui incarnent la stabilité culturelle du pub et constituent une clientèle importante de par leur régularité et leur capacité d’ingestion ; un autre nous décrit les différentes activités qui ont lieu dans les pubs ou qui y sont associées, les pubs possédant des équipes de pétanque ou de football. Dans les deux cas, l’auteure s’attache à mettre en évidences les rythmes temporels qui viennent de loin (le temps long) et qui sont associés à de nombreux éléments de la vie sociale.

Unique espace de loisir de la bourgade et principal espace de socialisation avec l’Église avec laquelle l’auteure établit un parallèle, le pub se présente comme un espace de consommation, essentiellement alcoolique, de conversation et de jeux (dominos, dards, quiz, etc) ; la nourriture, la musique et la télévision n’y jouent qu’un rôle périphérique.

Le lecteur restera d’ailleurs l’impression que c’est sans doute à l’église que se courtisent les habitants du village étudié, gardera car la description ethnographique ne fait en aucun moment état de rapports de séduction. Le seul contact physique mentionné entre clients est une accolade chaleureuse donnée à une femme qui aurait 90 ans…

Bien qu’il s’agisse d’une description plutôt impressionniste, sans recours à des moyens d’enquête plus systématiques, qu’on n’imagine pas ici une ethnographie valorisant la subjectivité de l’auteure dont on ne saura jamais si elle préfère la lager ou la ale ou encore ce qu’elle pense des pubs et si son appréciation a évolué au cours de l’étude. On soupçonne que l’auteure qui avoue ne pas parvenir à dépasser l’ingestion d’une pinte par période d’observation, n’apprécie pas énormément la bière, auquel cas son faible intérêt expliquerait l’attention donnée essentiellement aux quantités consommées (plus qu’à l’expérience sensuelle et psychotropique) et l’inexactitude, perceptible par le plus simple amateur, qu’elle commet lorsqu’elle affirme (p. 42) que la ale est « consommée presque exclusivement en Angleterre et en Irlande ». Elle ignore qu’elle occupe une grande importance en Belgique, dans certaines régions de l’Allemagne et dans les provinces de l’est du Canada, en particulier à Terre-Neuve. La consommation de bière constituant l’activité essentielle des fréquenteurs du pubs, il aurait été intéressant d’approfondir l’appréhension du phénomène de la consommation de bière dans toutes ses dimensions.

Quoi qu’il en soit, mieux saisir la subjectivité de l’auteure aurait pu éclairer le lecteur sur ses motivations (qui demeurent largement un mystère) et sur la nature de ses relations avec ses informateurs, questions d’importance cruciale dans ce type d’ethnographie où la qualité des données repose sur une relation de confiance.

Il s’agit néanmoins d’un ouvrage d’une grande clarté et d’une lecture agréable, abordant un sujet peu exploré et important, et contribuant à la compréhension de la société britannique à travers des données peu révolutionnaires mais convaincantes. Le lecteur plus visuel pourra regretter l’absence complète de photos, d’illustrations ou de schémas, la description de l’espace cédant ici la place à celle du temps.