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L’historien et anthropologue du tourisme Franck Michel nous livre ici une réflexion sur le voyage d’une richesse exceptionnelle. Alimenté par d’abondantes citations bien amenées dans le corps du texte, l’essai de cet auteur français est un hymne au voyage.

Dès la découverte du titre « Désirs d’Ailleurs », le lecteur se prend à rêver. Il a envie de relever cette invitation au voyage et de fuir en dehors de soi « vers le prochain et le lointain ». Ces désirs d’ailleurs révèlent ce besoin des Autres, cette rencontre du bout du monde, dans une aventure personnelle qui peut se transformer en multiples mésaventures, mais qui se termine en général par « le retour vers le proche et le soi » (p. 20).

D’emblée l’auteur précise qu’il considère le touriste comme un voyageur (p. 21), qu’il soit « bon ou mauvais ». Le tourisme, extension du voyage, serait à l’image de la « déchirure du monde », écartelé entre riches rentiers et vagabonds-mendiants (p. 29). Grand voyageur lui-même, Michel témoigne de la fascination des touristes du Nord pour la pauvreté exotique « plus tolérable du simple fait de son étrangeté » (p. 31). Les interdits et les tabous de la société occidentale sont facilement transgressés au cours de ce voyage qui mène vers des ailleurs désirés.

Mais cette liberté de voyager serait en passe de disparaître et l’écrivain lance un véritable cri d’alarme contre notre temps d’incertitudes, dans lequel il vaut mieux être un sédentaire qu’un nomade. À notre avis, Michel fustige principalement la société française dans laquelle sécurité et confort sont les maîtres mots, société qui « exècre le (vrai) risque et le doute (de soi) » (p. 41).

Parce que le but du voyage est la rencontre, il y aurait nécessité de voyager seul pour trouver l’insolite, l’inattendu et l’action. L’auteur prône une pratique buissonnière du voyage qui procure ainsi des vibrations uniques. De plus, il plaide, de manière fort intelligente, pour une éducation au voyage. Il nous convie à une forme d’art, celui de voyager, qui passe par « la remise en question de nos croyances et de nos convictions » (p. 99).

Il énonce ensuite les différents modèles de voyageurs, en présentant tout d’abord ceux, les plus nombreux, qui se nourrissent aux sources du texte. Il remarque que ces touristes ne sont que rarement « producteurs d’histoire immédiate » (p. 105). Ceux-ci ne cherchent pas à valoriser leurs propres expériences, mais à vivre à la place d’un Autre précurseur. L’auteur semble plutôt accorder sa préférence aux voyageurs en chambre, sédentaires qui pourtant grâce aux livres « partent finalement plus loin, plus en profondeur, plus librement que les masses de voyageurs pressés de tout faire et de tout voir » (p. 105). Derrière ces deux prototypes de pèlerins se profile l’écrivain-voyageur, l’auteur lui-même. Pour celui-ci, l’écriture se transforme en un médium de diffusion et de transmission du goût de l’aventure aux générations plus jeunes et à tous les sédentaires « d’une manière qui élève l’expérience du voyage au rang d’un art de vivre heureux » (p. 108). Ce noble dessein semble pouvoir particulièrement se réaliser en Asie, terrain de prédilection de l’auteur. L’Asie, « terre des Dieux », ne serait-elle pas une des portes du Paradis dans l’imaginaire de nombreux voyageurs et touristes occidentaux ?

Mais cet appel de l’Orient suscite un flux touristique croissant qui génère de nombreuses nuisances. L’éco-tourisme est aussi touché par ce phénomène dévastateur de la sur-consommation des lieux de désirs. Michel cite notamment le Népal, et se demande si l’éco-tourisme ne serait pas en train de devenir un égo-tourisme dont les pratiques privilégieraient la découverte de la nature à celle des hommes. Ce rendez-vous manqué entre le touriste et l’Autre s’accompagnerait d’une action désastreuse sur l’environnement : les déchets de la société occidentale viendraient souiller un milieu vierge, une nature extrême.

L’auteur pense que l’avenir est au tourisme « véritablement alternatif » (p. 194). L’accent est mis sur un tourisme de rencontres partagées (p. 201), où les autochtones seraient les instigateurs, les décideurs et les bénéficiaires de ce tourisme. Ce credo cache une triste réalité, celle de l’inégalité fondamentale que souligne le voyage : celui-ci demeure « l’apanage d’une minorité bruyante et agissante » (p. 205).

Nous avons aimé ce livre par la qualité de son message et pour le courage de sa franchise. Ainsi l’auteur ne cache pas son horreur des pratiques d’exploitations perverses et abjectes pour le plaisir des riches touristes occidentaux. Sa réflexion générale sur le tourisme est nourrie. Le livre est bien écrit et mérite d’être lu.