Corps de l’article

Étrange tribu vue du Brésil que ces irréductibles Québécois qui ont produit la plupart des Premiers ministres de la fédération canadienne au cours des dernières décennies, mais qui persistent à réclamer plus d’autonomie et de reconnaissance de la part d’un pays du G8 reconnu par l’Organisation des Nations Unies comme offrant à ses citoyens une des meilleures qualités de vie au monde. Inspiré par la philosophie politique de Charles Taylor, Jürgen Habermas, Hans Gadamer et de Peter Strawson, entre autres, ce livre de l’ethnologue brésilien Luís Roberto Cardoso de Oliveira tente de cerner le « noyau du problème » des droits de citoyenneté en montrant que leur reconnaissance ne peut et ne doit pas reposer uniquement sur des bases légales et constitutionnelles. Le présent ouvrage est un recueil d’articles écrits entre 1997 et 1999, d’abord paru au Brésil en 2002. Il comporte certaines répétitions, quasi inévitables dans ce genre de publication, mais qui, heureusement, n’entachent pas la qualité de l’ensemble.

Un des intérêts de cette contribution est d’offrir une réflexion originale au sujet de la médiation possible entre les identités collectives et les droits de citoyenneté en contexte démocratique. Les droits de citoyenneté sont conçus comme devant présenter « un équilibre raisonnable entre les principes de justice et de solidarité, entre le respect des droits […] de l’individu et la considération envers la personne ou l’identité du citoyen » (p. 138). L’absence d’équilibre se traduit par un déficit de citoyenneté, notion qui apparaît ici comme un intéressant outil d’analyse. Ainsi, au Brésil, une préoccupation démesurée et sélective pour la considération se traduit par une difficulté à respecter les droits civils fondamentaux des citoyens « qui ne sont pas vus comme dignes d’une attention spéciale » (ibid.). En contraste, aux États-Unis, l’auteur note une difficulté à reconnaître la singularité de l’individu en contexte d’interactions sociales, ce qui entraîne une absence de considération pour les insultes à l’honneur ou à la dignité de la personne. Le cas du Québec au sein de la fédération canadienne apparaît comme « une demande légitime de reconnaissance, dont la négation est ressentie comme un acte de déconsidération ou comme une insulte morale » (p. 139).

La notion d’insulte morale ou d’acte de déconsidération découle de la recherche que mena l’auteur, à titre de conseiller bénévole, au sein d’une Cour des petites créances de la région de Boston aux États-Unis. Il observa alors que, dans beaucoup de cas, la dimension strictement monétaire et légale de la cause ne justifiait ni le temps, ni l’argent consacrés par les plaignants à leur démarche. En fait, une importante motivation des demandes formulées au tribunal découlait de la perception d’agression et d’insulte morale que pensaient avoir subies les plaignants. Ce sentiment de révolte contre une attitude perçue par le demandeur comme une agression envers son statut ou son identité en tant que personne morale était assorti, lors des diverses étapes de la démarche judiciaire, d’une recherche de reconnaissance et de réparation de l’insulte morale subie.

Une dimension que n’explore pas le présent ouvrage est celle de la « déconsidération économique » qu’un État indûment centralisateur inflige à ses citoyens et à ses constituantes régionales (argument que Lucien Bouchard avait efficacement mis de l’avant lors du référendum de 1995). L’auteur propose justement une analyse de « l’effet Bouchard » lors du référendum de 1995. Bouchard, alors chef du Bloc québécois, un parti voué à la défense des intérêts du Québec au Parlement fédéral, fut nommé négociateur en chef du camp souverainiste un mois après le début de la campagne référendaire. Luís R. Cardoso de Oliveira compare ce tribun passionné et charismatique à un chamane qui traversa une expérience éprouvante (l’amputation de sa jambe gauche atteinte par une infection) avant d’acquérir des pouvoirs spéciaux (p. 84). L’analyse d’extraits des discours de Bouchard se limite à une seule dimension de leur contenu : la rhétorique du ressentiment provoquant un sentiment d’indignation, mais l’auteur montre que Bouchard a su rendre intelligible, pour une partie de la population encore indécise, le sentiment d’insulte morale découlant de la non-reconnaissance de l’identité distincte du Québec par les instances fédérales.

Il faut souligner en terminant l’originalité et la fécondité de l’approche proposée par l’auteur qui met l’accent sur l’ethnographie et l’aspect symbolique des relations sociales pour repenser la citoyenneté, le droit et le champ politique, approche qu’il applique à trois contextes nationaux distincts qu’il a lui-même étudiés avec rigueur et considération.