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Dans The Politics of Insecurity…, Huysmans offre une synthèse précieuse des réflexions théoriques en études critiques de la sécurité tout en dégageant de nouvelles perspectives pour analyser la sécurisation de l’immigration au sein de l’Union européenne (UE).

Un ouvrage portant sur la sécurité et rédigé par un spécialiste des relations internationales… Quel intérêt cela peut-il bien représenter pour l’anthropologie? Cela tient justement à la volonté de Huysmans de déplacer l’analyse de la sécurité, généralement cantonnée aux relations internationales, pour jeter les bases d’une sociologie politique de la sécurité. Pour ce faire, l’auteur puise abondamment dans l’oeuvre de Michel Foucault dont les outils conceptuels lui permettent d’ouvrir la boîte noire de l’État et de plonger dans une analyse micropolitique des processus technocratiques d’(in)sécurisation. Voyons plus en détails les déplacements qu’il opère par rapport aux approches établies en études critiques de la sécurité.

Au début des années 1980, des chercheurs ont questionné la prééminence de l’État en tant qu’objet référent des études de la sécurité. À cette époque de bipolarité, cette sous discipline proposait des solutions pour endiguer toute menace pouvant mettre l’État en danger. Les chercheurs cultivaient l’a priori que la sécurité concernait uniquement la défense de l’État. Des auteurs critiques, dont Barry Buzan, ont alors questionné ce présupposé et ont opposé à la sécurité de l’État des préoccupations pour la sécurité humaine, sociétale, culturelle, etc. Dès lors, il était possible d’élever au même niveau la sécurité des réfugiés, par exemple, à celle de l’État. Dans son livre, Huysmans explique cette première démarche critique et propose d’aller plus loin. S’appuyant sur les travaux de Foucault, Huysmans suggère d’ébranler plus fortement les bases des études « non critiques » de la sécurité non pas en multipliant les objets méritant protection, mais en déconstruisant la catégorie analytique de l’État. Il s’agit, comme le suggère Foucault (2004), de rendre compte des techniques de gouvernement ainsi que du caractère diffus et technocratique de l’exercice du pouvoir. Bref, d’arrêter de considérer l’État comme une catégorie donnée et de faire éclater la boîte noire qu’il représente.

Véritable révolution dans le domaine des relations internationales, cette perspective théorique n’apporte cependant pas beaucoup d’eau au moulin des anthropologues qui ne situent généralement pas leurs analyses au niveau infra étatique. Les avancées théoriques utiles pour l’élaboration d’une anthropologie de la sécurité découlent davantage du mariage que propose Huysmans entre cette perspective foucaldienne et l’approche constructiviste de la sécurité développée par Weaver (1995). En bon maître de cérémonie, Huysmans introduit le lecteur à chacun des convives et sait transmettre son enthousiasme devant cette rencontre porteuse de promesses.

Revenons d’abord aux propositions de Waever. Comme l’explique Huysmans, Weaver a profondément marqué les réflexions critiques sur la sécurité en élaborant une perspective constructiviste détonnant avec le positivisme ambiant des relations internationales. Selon lui, un enjeu de société devient une question de sécurité des lors qu’il est objectivé comme tel. Il y a bien sûr des menaces « objectives » mais il est difficile de les mesurer et aucun outil théorique positiviste n’a jusqu’ici permis d’expliquer comment certains phénomènes s’imposent comme enjeux de sécurité alors que d’autres demeurent de simples défis à relever. Pour Weaver (1995) et Huysmans, ce qui est intéressant pour l’analyste critique, c’est l’étude du processus de sécurisation (securitization) ; c’est-à-dire le processus par lequel un enjeu est construit en question de sécurité. Chez Weaver, la sécurisation est un acte de langage (speech act) : elle est la construction discursive d’un phénomène social en menace existentielle pour une communauté politique et la légitimation des mesures exceptionnelles pour endiguer ces menaces.

Encore une fois, Huysmans explicite bien les possibilités qu’offre une telle perspective pour l’étude des préoccupations sécuritaires contemporaines. Il souhaite cependant aller plus loin. Cherchant à appliquer le cadre théorique de Weaver à l’analyse du processus de sécurisation de l’immigration et de l’asile dans l’UE, Huysmans se trouve limité par cette approche exclusivement discursive. Il puise donc chez Foucault et complète les propositions de Waever en défendant qu’il faille étudier le « security framing as a multidimensional process in which various policy questions are knitted together by means of security technologies, skills, expert knowledge and discourses » (Huysmans 2006 : 150).

Dans un va-et-vient entre réflexions théoriques et études de cas, Huysmans déplace ainsi le regard au fil des articles qui composent ce livre. Il réussit à synthétiser les propositions principales des études critiques de la sécurité et à identifier de nouveaux outils pour l’analyse sociologique des processus d’ (in)sécurisation.