Comptes rendus

In memoriamAlbert Doutreloux, Continent noir. Montréal, Les Éditions Francine Breton, 2000, 144 p., carte.[Notice]

  • Paul Charest

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  • Paul Charest
    Département d’anthropologie
    Université Laval
    Sainte-Foy (Québec) G1K 2P7
    Canada

Le professeur Albert Doutreloux est décédé à Québec le 29 décembre dernier à l’âge de 76 ans. Avec Marc-Adélard Tremblay, il a été l’un des pionniers de l’enseignement de l’anthropologie à L’Université Laval de 1963 à 1969, avant la création du département en 1970. Lors de son retour au Québec à la fin des années 1980 il a aussi été chargé de cours chez nous. Sa thèse de doctorat publiée sous le titre L’ombre des fétiches a été un des premiers volumes de ma bibliothèque africaniste. La présente recension constitue donc l’expression de ma reconnaissance pour ce qu’il m’a apporté au tout début de ma carrière. Tout au long du volume, quelques événements servent de déclencheurs à une série d’analyses généralement brèves mais révélatrices d’un grand esprit de synthèse portant sur de nombreux thèmes africanistes : a) la société dite traditionnelle : parenté, chefferie, ancêtres, initiation, sorcellerie, féticheurs, palabre, collectivisme, gérontocratie ; b) la colonisation et ses avatars : missionnaires et conversion, scolarisation, partis politiques, bureaucratie, développement, individualisme, prophétisme. À travers cette multitude de thématiques, la trame centrale demeure toujours celle des rapports entre colonisateurs et colonisés, entre soi-disant primitifs et soi-disant civilisés, les uns et les autres n’étant pas nécessairement ceux que l’on pense. Au début du livre, l’auteur donne justement une définition remarquable des uns et des autres : « être colonisé, c’est accepter de se laisser définir par un autre, intérioriser les évaluations que l’autre fait de vous et les conclusions pratiques qu’il en tire. Coloniser, d’autre part, c’était bien sûr dominer et exploiter une population et un pays mais pour le bien des peuples concernés » (p. 24). La colonisation, par ailleurs, représente un processus d’une grande ambivalence, à la fois pour la volonté d’un réel développement qu’il a pu incarner chez certains et des tentatives d’aliénation et de domination chez d’autres, tous les colonisateurs n’étant pas nécessairement de la même étoffe. Le thème le plus longuement traité par l’auteur est le « développement ». Dans une formule lapidaire, le développement est décrit comme « une restauration des entreprises coloniales » (p. 122). Il y est donc question des échecs du développement qui se sont succédé « sans aucun changement substantiel » (p. 123), en raison des incompréhensions mutuelles sur la teneur d’un « véritable développement » répondant d’abord et avant tout aux besoins humains et non matériels. Les difficultés de la communication interculturelle ne sont pas étrangères à ces échecs, car le plus difficile dans les tentatives d’adapter le développement c’est de pénétrer dans l’imaginaire de l’autre, toute communication n’étant pas communicable sur le mode de n’importe quelle autre (p. 141). Le volume contient aussi des réflexions sur le travail de terrain : apprentissage de la langue, observation participante, premiers contacts et établissement de la communication avec les informateurs. Dans ces passages, l’auteur se décrit comme l’élève des Yombe et présente ses informateurs comme ses maîtres. Il décrit aussi ses terrains comme « un voyage initiatique » (p. 78) et les féticheurs comme des « collègues » (p. 64). Selon lui, la démarche anthropologique peut même rendre plus difficile de véritables échanges interculturels : « Le risque est d’être encombré de tant de bagages — méthodes, techniques, références, ambitions (!) — que le trajet jusqu’à l’autre en devienne impossible » (p. 90). Au sujet de l’observation participante, il propose de renverser la perspective, de « remplacer la question habituelle : comment, eux, font-ils ce que nous faisons de telle manière ? par la question : qu’est-ce qui chez eux tient lieu de ce qu’est pour nous [ceci ou cela] ? » (p. 114). Une des …