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André Corten, Diabolisation et mal politique. Haïti : misère, religion et politique. Paris, Les Éditions du CIDHCA/Karthala, 2000, 245 p., bibliogr., index.[Notice]

  • Raymond Massé

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  • Raymond Massé
    Département d’anthropologie
    Université Laval
    Sainte-Foy (Québec) G1K7P4
    Canada

Plusieurs font, de l’extérieur, une lecture de la situation sociale et politique haïtienne en termes de barbarie. Pour les Haïtiens eux-mêmes, soutient Corten, de l’intérieur, la violence s’interprète sous la forme d’une satanisation de l’adversaire et d’une diabolisation du mal. Une fois diabolisé, et dès lors dépouillé de ses droits humains, le citoyen sera soumis au régime de la terreur. Déshumanisation perçue comme irréversible, désarroi face à l’arbitraire, terreur débordant l’ordre de l’intelligible, de l’explicable et de l’humainement soutenable, voilà le terrain fertile du religieux en Haïti. La religion, là-bas, occupe largement l’espace politique que ce soit par le biais du catholicisme ou protestantisme classique. Aristide lui-même ne revendique-t-il pas la théologie de la libération, bien qu’« il théologise le politique plus qu’il ne politise le mal » (p. 21). Toutefois, loin d’entraîner un assouplissement moral, la religion en Haïti apparaît comme « une mise en scène souvent tragique » du politique. Tel est, du moins, l’hypothèse centrale de ce livre que Corten présente comme un ouvrage de philosophie politique dont l’objectif est de penser l’impensable de la pauvreté, de la déshumanisation et de la terreur extrêmes. Au premier chapitre, l’auteur dresse un état des lieux concernant l’état d’extrême pauvreté et de déshumanisation qui caractérise la vie des masses haïtiennes. La misère absolue s’exprime pour Corten en tant que désolation soit « la destruction de toute vie privée par la saleté, la promiscuité, l’affaiblissement physique et la peur » (p. 34) dans des conditions de vie telles que la dignité humaine ne peut y survivre. Ici, « la voix de la fatalité devient celle de Satan » (p. 44). Les quatre chapitres suivants sont consacrés à l’analyse des positions prises par chacun des quatre grands types de récits religieux face à une telle désolation ; ceux du vodou, du catholicisme, du protestantisme historique (surtout baptiste) et des pentecôtismes. Corten y analyse les façons dont la déshumanisation est défiée et approfondie par ces mouvements religieux. Selon une lecture politique, la diabolisation est définie comme « le fait de transformer, au sens propre ou au sens figuré, des acteurs de la société en forces du mal personnifiées par un être avec lequel toute conciliation est, par essence, impossible et condamnable » (p. 44). Bien sûr, le vodou nourrit en premier lieu les croyances en la diabolisation et dans les forces persécutives. Manipulé par le duvaliérisme dans le contexte d’une crise du système symbolique, l’imaginaire vodou voit dans l’État un sorcier qui capte et « mange » ses ennemis. Duvalier ne se réclamait-il pas lui-même du vodou pour conforter son pouvoir sur les masses? À sa façon, l’Église catholique alimentera elle aussi cet imaginaire lié à la diabolisation. Elle le fera en menant des campagnes anti-superstitieuses (1898 puis 1941) qui mettront en vedette les houngans (prêtres vodouesques) et Satan. Le protestantisme, pour sa part, apparaît comme un lieu de refuge contre les mauvais esprits chez des protestants puritains qui vivent « une sorte d’intériorisation de la conception persécutive du mal » (p. 82). Soucieux d’une analyse sociopolitique du religieux, l’auteur suggère que cette conception persécutive du mal résulte tout autant d’« un mécanisme de défense communautaire » (p. 81) dans une société marquée par la désorganisation sociale que d’un « déséquilibre cumulatif dans l’ordre des forces du mal » (ibid.). Dans la foulée de ses derniers travaux, Corten accorde une attention particulière au récent mouvement de pentecôtisation du protestantisme, haïtien cette fois. Ce discours, centré sur la louange plus que sur le repentir, attribuerait un sens plus terrestre à la cité de Dieu. Le penchant vers le pentecôtisme produirait une « …

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