Comptes rendusBook Reviews

Jean-Luc Jamard, Emmanuel Terray et Margarita Xanthakou (dir.), En substances, Textes pour Françoise Héritier. Paris, Fayard, 2000, 604 p., schémas, photogr., illustr., bibliogr.[Notice]

  • Bernard Arcand

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  • Bernard Arcand
    Département d’anthropologie
    Université Laval
    Sainte-Foy (Québec) G1K 7P4
    Canada

Rédiger la recension d’un ouvrage de plus de six cents pages réunissant cinquante articles traitant de thèmes variés et fort disparates relève du défi. Parmi les nombreux contributeurs à ce livre, certains proposent une réflexion générale sur des questions largement abstraites comme, par exemple, les notions de violence (E. Terray) ou d’inceste (S. D’Onofrio) ou encore l’avenir du structuralisme (L. Scubla). D’autres abordent et analysent des sujets beaucoup plus circonscrits, entre autres, le fait d’être femme chez les Gimi (G. Gillison), le mariage chez les intellectuels de l’Angleterre victorienne (A. Kuper) ou la laideur du Dieu Priape (M. Olender). D’autres encore racontent leur dette envers Françoise Héritier et le plaisir qu’ils eurent à être associés à ses travaux. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : rendre hommage à l’oeuvre et à la carrière remarquables de Françoise Héritier. On comprend dès lors l’étendue impressionnante des thèmes et la qualité des collègues ayant accepté l’invitation de soumettre un texte pour cet ouvrage. Car dans les trente dernières années, c’est l’anthropologie entière qui a contracté une dette intellectuelle considérable envers Françoise Héritier dont les recherches et les analyses novatrices nous ont beaucoup fait progresser. Depuis ses premiers travaux d’ethnographie au Burkina-Faso jusqu’à la présidence du Conseil national sur le Sida, de son entrée au Collège de France jusqu’à la direction du Laboratoire d’anthropologie sociale, Françoise Héritier a beaucoup travaillé et beaucoup publié. Dans son cas, il ne paraît ni abusif ni ridicule d’affirmer qu’après elle, l’anthropologie ne sera plus jamais la même. En ce sens, cet hommage qu’ont tenu à lui rendre ses collègues représente un succès, puisqu’on y trouve d’excellents exemples de travaux récents fortement influencés ou stimulés par les intuitions, la démarche analytique et la curiosité infatigable de Françoise Héritier. Grâce à elle, il est désormais devenu inconcevable de poursuivre à l’intérieur des mêmes paramètres nos recherches sur les représentations du corps, la parenté, le sexisme, la pensée symbolique en général, l’identitaire, la violence et la différence. L’éventail est considérable, un programme complet de formation à l’anthropologie. Dans chacun de ces champs d’enquête, Françoise Héritier a souvent ouvert des « voies intellectuellement fécondes qu’empruntent aujourd’hui nombre d’anthropologues » (p. 372). Elle qui a si bien étudié les flux et les transferts peut se réjouir de constater à quel point sa passion s’est avérée contagieuse. La dernière partie de l’ouvrage raconte combien Françoise Héritier a suscité l’admiration, le respect et l’amitié. Comme le souligne A. Naouri, en prenant charge d’institutions importantes ou de grandes équipes de recherche, comme dans ses cours, par sa « voix douce et une logique implacable » (p. 78), elle a su accepter le rôle de leader mais sans susciter aussitôt l’agressivité. Cette attitude transpire à travers l’ouvrage, voilà un hommage à une personne aimée. Cela dit, le livre n’a toutefois pas été rédigé par Françoise Héritier. Et ce type d’ouvrage paraît toujours un peu inégal, forcément. On peut regretter le fait que plusieurs contributions sont un peu courtes, car partager à cinquante personnes six cents pages de texte n’est pas chose facile et cela laisse parfois l’impression d’assister à l’un de ces congrès scientifiques où, en moins de vingt minutes, un chercheur essaie de résumer les résultats d’années de labeur. Mais chacun trouvera ici quelques perles. Je ne nierai pas le plaisir de lire, dans un texte récent, Claude Lévi-Strauss faire l’apologie des amibes ancêtres directes de toute sociabilité. L’ouvrage offre de multiples agréables surprises et son titre, au pluriel subtil, semble pleinement justifié.