Comptes rendus

Béatrice Fontanel, L’éternel féminin. Une histoire du corps intime. Paris, Le Seuil, 2001, 142 p., illustr., bibliogr.Martin Monestier, Les seins. Encyclopédie historique et bizarre des gorges, mamelles, poitrines, pis et autres tétons des origines à nos jours. Paris, Le cherche midi éditeur, 2001, 351 p., illustr.[Notice]

  • Yves Laberge

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  • Yves Laberge
    Département de sociologie
    Université Laval
    Québec (Québec) G1K 7P4
    Canada

« Nous appellerons normaux les faits qui présentent les formes les plus générales et nous donnerons aux autres le nom de morbides ou de pathologiques » (Durkheim 1992 [1937] : 56). Comme l’expliquait Émile Durkheim dans Les règles de la méthode sociologique, le normal et le pathologique servaient autrefois à distinguer deux grands types de phénomènes, et les deux nouveaux livres que nous comparerons pourraient se ranger respectivement dans ces deux catégories : celui de Béatrice Fontanel étant consacré à l’esthétique de l’intimité féminine et celui de Martin Monestier explorant les limites d’un certain culte du corps féminin. Leurs recherches s’inscrivent dans le cadre d’une sociologie du corps qui rejoint des chercheurs en sciences de l’homme (Kaufmann 2001), en esthétique (Paris 1965), en histoire de l’intimité (Foucault 1984). Nous présenterons successivement ces deux livres abordant un sujet assez proche de manières opposées. Béatrice Fontanel a voulu explorer les variations des normes de la beauté féminine dans la France moderne, de la Renaissance jusqu’au début du 20e siècle, en se penchant particulièrement sur le maquillage et les autres soins du corps. Elle met en évidence, d’une époque à l’autre, les tendances extrêmes d’une quête de l’idéal : du modèle de la femme ronde du 19e siècle à celle plus svelte des années 1920 ; du goût obsessif pour la peau la plus blanche possible, au moyen de mille artifices, à partir du 17e siècle, vers un attrait irrésistible pour le bronzage au milieu du 20e siècle. L’art sous toutes ses formes, des extraits de pièces de théâtre de Molière au roman de Huxley, et principalement de splendides toiles de peintres du 19e siècle (Dante Gabriel Rossetti, Frederick Leighton, Bougereau, Courbet), servent d’illustrations à l’essai, ajoutant grâce et subtilité aux commentaires. La moitié de l’ouvrage contient des reproductions en couleurs de tableaux parfois méconnus, d’une beauté enchanteresse et toujours reliés au texte. Dans chaque aspect étudié, Fontanel s’attarde aux types de produits utilisés naguère pour tonifier et « mettre en scène » le visage et le corps : onguents, poudres, liquides de provenances insolites. L’épilation, le manucure, les coiffures, les parfums sont chaque fois étudiés selon les modes qui se sont souvent contredits au fil des décennies : passant de l’opulence à la discrétion, des cheveux longs et des perruques élaborées jusqu’aux coupes à la garçonne des années 1920. On comprend aussi que les moyens employés pour augmenter la beauté constituaient quelquefois une forme de supplice pour celle qui devait se frotter à de petits animaux bizarres ou employer des produits les plus imprévisibles dans la promesse d’obtenir une belle peau. Destiné autant à la contemplation qu’à la lecture, le très beau livre de Béatrice Fontanel sur L’Éternel féminin constitue à la fois une brève réflexion historique sur le corps et un très abordable livre d’art. L’ouvrage de Martin Monestier est au contraire on ne peut plus « bizarre », mais non sans intérêt. Pour son 36e livre, l’auteur s’est penché très rigoureusement sur un sujet apparemment léger et insolite, à savoir les représentations (le plus souvent masculines) du corps féminin, du Moyen-Âge à nos jours, en se concentrant sur les images de la poitrine. De la nourrice innocente au modèle professionnel dessiné, peint, photographié, filmé, les représentations étudiées ici sont nombreuses et variées, parfois audacieuses et souvent déroutantes, car l’auteur s’est aussi attardé sur des cas limites parfois insoutenables de femmes souffrant de malformations (p. 163-167). On y découvre, sur un mode encyclopédique, des publicités, des oeuvres de peintres importants, des images clandestines, et l’on reste étonné de la multitude d’aspects soulevés par ses …

Parties annexes