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Bernard Cherubini, ethnologue et directeur du Centre Interdisciplinaire de Recherche sur la Construction Identitaire (CIRCI) à l’Université de La Réunion, rassemble ici neuf articles écrits entre 1986 et 1999 sur l’interculturalité et la créolisation dans une société amazonienne plurielle et multiculturelle, la société guyanaise.

Ces contributions s’inscrivent dans la continuité des recherches commencées au cours de sa thèse de doctorat. Il s’attachait alors à comprendre les mécanismes de structuration des différences culturelles au sein de l’espace urbain de Cayenne et de ses proches environs. Il s’inscrit, de ce fait, dans le cadre des nombreux travaux menés depuis une vingtaine d’années en Guyane française sur la question de la dynamique de l’ethnicité et du devenir de cette société pluriethnique, recherches toutes aussi nombreuses que le sont les méthodologies qui les sous-tendent (travaux parmi lesquels on peut citer ceux de : Marie-Odile Géraud sur les Hmongs de Guyane et les Brésiliens, Marie-Josée Jolivet sur les Créoles Guyanais et la créolité en Guyane, Gérard Collomb sur les Kali’na, Sophie Bourgarel sur la santé en Guyane.

La raison d’être des travaux de Cherubini réside dans sa volonté de montrer que l’identité créole guyanaise n’est pas une donnée mais, comme il le spécifie à juste titre, « une dynamique, une structure spécifique des relations sociales qui régit les différents aspects de la vie quotidienne ».

La première partie de l’ouvrage, « La matrice sociale de la créolisation », se compose de quatre articles : « De l’intégration économique à l’intégration socioculturelle : le modèle guyanais » (1986), « Sociétés littorales et processus de créolisation » (1999), « Des Acadiens « habitants » en Guyane de 1772 à 1853 » (1996), et « D’une “société de voisins” à un modèle de petite paysannerie ». L’auteur y appréhende certains aspects de la formation sociale, économique et politique de la société guyanaise à l’aide des méthodes de l’ethnographie historique (« empruntée » aux Comaroff) et de la généalogie. Ces articles contribuent à démontrer que la structuration de cette « société d’immigration » et les situations d’interculturalité qui y naissent se produisent au fil d’un processus historique très complexe. Il montre comment les rapports des différents groupes au travail, à la terre, au territoire y jouent un rôle important.

L’attention portée au processus de production historique de cette société et des relations inter-ethniques conduit tout naturellement l’auteur à poursuivre son cheminement par une présentation de travaux consacrés à des évènements contemporains.

La deuxième partie de l’ouvrage (« Les dynamiques interculturelles ») montre que la dynamique de l’ethnicité prend appui sur la globalité des relations se tissant entre groupes ethniques, selon les évènements et les situations d’interculturalité.

Les recherches menées, pendant une quinzaine d’années, sur divers évènements de la vie sociale guyanaise (la fête patronale de Saint-Laurent-du-Maroni dans l’Ouest guyanais, le recueil d’une histoire de vie d’une Haïtienne au cours d’entretiens de psychiatrie clinique, l’histoire des manifestations festives sur l’île de Cayenne) ont pour objectif de montrer la nature des divers liens interculturels. L’auteur tente d’expliciter le cadre d’émergence des processus identitaires, d’appréhender la dynamique de l’ethnicité dans toute sa dimension et d’exposer la complexité du phénomène de construction des identités « que celles-ci soient ethniques, sociales, culturelles, individuelles ou collectives, qu’elles concernent les communautés rurales ou urbaines, la nation, la région, la commune ou le quartier » (p. 109).

L’atout majeur de cet ouvrage réside dans la mise en perspective de la structuration des relations interethniques, de leurs cadres d’émergence, de leurs natures et de leurs conséquences tant sur les individus (par exemple dans l’article sur les ethnodrames) et sur les divers groupes ethniques de Guyane. Mais l’évolution très rapide de la société guyanaise, depuis la fin des années 1980, dans sa composition ethnique et démographique induit l’obsolescence de certaines des données présentes dans ces articles en ce début d’année 2006.

Cet ouvrage constitue en fin de compte un outil intéressant pour qui souhaite mieux comprendre cette société, son évolution et son devenir. De plus, il illustre parfaitement la démarche intellectuelle d’un chercheur soucieux d’appréhender une société dans nombre de ses expressions.