Pour un projet des humanité[Notice]

  • Bogumil Jewsiewicki Koss

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  • Bogumil Jewsiewicki Koss
    Chaire de recherche du Canada en histoire comparée de la mémoire
    Centre interuniversitaire d’études sur les lettres, les arts et les traditions — CELAT
    Université Laval
    Québec (Québec) G1K 7P4
    Canada

Il ne s’agit en aucun cas de commentaire, moins encore d’une critique, du texte de Zygmunt Bauman. Tomber dans le piège de dire vrai là où Bauman aurait erré serait de ma part d’une prétention déplacée. D’ailleurs, la question fondamentale que Bauman soulève interdit une telle démarche. De quel droit dirais-je mieux que lui quel pourrait être le projet de l’humanité au temps de la globalisation? Qu’il me soit donc plutôt permis de me laisser entraîner dans son sillage et d’ajouter quelques modestes observations, quelques rêveries peut-être. En tout premier lieu, je m’engouffre dans le chemin ouvert par son constat que toute définition de l’humanité, de la nature humaine comme il l’écrit, constitue un acte d’inclusion-exclusion. La justesse de cette observation ne vient pas seulement du fait que nous, Occidentaux – du moins les universitaires –, admettons aujourd’hui que la frontière entre l’humain et l’inhumain est devenue plus fluide. À partir du moment où la conscience, l’âme pour les chrétiens, qui distinguait jadis les humains de la nature, est prosaïquement un fait de l’activité neuronale, l’humanité intègre la continuité de la nature. La conséquence en est radicale, sans même devoir ajouter qu’à peine un minime pourcentage de notre capital génétique nous différencie des chimpanzés. Nous ne connaissons le monde, et donc ne sommes présents dans le monde, que dans la mesure où ce monde est représenté par et dans l’activité neuronale, et le cerveau de l’homo sapiens ne détient à ce titre aucune particularité radicale. Nous n’avons pas d’exclusivité de la conscience même si, par rapport aux primates, nous l’emportons largement par le degré de sa complexité. Et il n’est pas impensable, à la suite de la science fiction, d’envisager à terme une intelligence artificielle se dotant d’une conscience. Mais ce n’est pas pour piètrement faire de la science fiction que j’ai écrit ce paragraphe. Admettre que l’humanité se caractérise par un degré de conscience du soi au lieu d’en être l’unique détenteur, c’est accepter que ce que nous nommons l’humanité est un fait de notre conscience de même nature que l’idée de l’autre, du soi, etc. La conscience et ces cadres sociaux ne sont pas des illusions, bien au contraire. Le soi, l’autre, le monde, l’humanité sont des artefacts de notre conscience d’être d’une certaine manière des humains. Cependant, si c’est la conscience de faire partie de l’humanité qui en constitue le cadre social, alors il peut et il doit exister plusieurs « soi », plusieurs « autre », plusieurs « humanité ». Certes, aussi fluide serait la frontière entre l’humain et le non-humain (ou le pas encore humain, dans la mesure où l’on pense la nature en termes d’évolution), elle est indispensable pour admettre que l’artefact identité soit pensable, pour lui reconnaître une autonomie sans laquelle il n’y a pas de conscience. Fatalement donc, se pensant pour lui-même, l’humain ne saurait échapper à la logique de production d’artefacts discrets, dotés d’une autonomie, capables d’agir sur eux-mêmes et ainsi souverains, en puissance au moins. N’est-ce pas la grande difficulté que nous a léguée notre histoire – autant en termes du passé advenu qu’en termes de son écriture –, le péché originel de l’individu, de l’État moderne, de la nation, etc.? Prendre conscience de son identité en termes d’autonomie et de souveraineté, c’est tout d’abord dire en quoi et comment l’on n’est pas l’autre, dire cet autre étranger à soi. Au lieu de nous épuiser à la tâche sisyphienne de conjurer ce qui fonde, pour le meilleur et pour le pire, la conscience d’être « moderne », il faut plutôt prendre la mesure de ses conséquences. Notre conscience de …

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