Comptes rendus

Albert Schrauwers, Colonial ‘Reformation’ in the Highlands of Central Sulawesi, Indonesia, 1892-1995. Toronto, University of Toronto Press, 2000, xiii + 279 p., illustr., bibliogr., index.[Notice]

  • Jean Michaud

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  • Jean Michaud
    Département d’anthropologie
    Université de Montréal
    C.P. 6127, succursale Centre-ville
    Montréal (Québec) H3C 3J7
    Canada

Cet ouvrage analyse les conséquences de l’oeuvre d’une mission protestante hollandaise, fondée en 1892 dans la région du lac Poso, sur un village To Pamona (un groupe toraja). Il s’agit d’une version remaniée de la thèse de l’auteur soutenue à l’Université de Toronto sous la direction de Shuichi Nagata. Pour sa recherche, Schrauwers a employé l’investigation en archives aux Pays-Bas complétée par deux années de séjour dans la province de Sulawesi central. Schrauwers documente, explique et commente les transferts du discours religieux néerlandais de la métropole vers cet arrière-pays colonial au long du siècle qui suivit l’implantation de la mission. Il relève, dans cette société, ce qu’il nomme une « persistance de la tradition » mais aussi des zones de changement social à mettre directement au compte de l’influence du christianisme néerlandais, ce qui ne saurait surprendre à vrai dire. Tout au long de son texte, Schrauwers serre son sujet indonésien de près, s’appliquant à détailler l’histoire nationale et à décrire les pratiques locales qui portent la marque du legs missionnaire. Mais c’est en fait le rôle du pasteur Albert C. Kruyt, fondateur de la mission, qui sert de fil conducteur au livre, rôle qui est analysé en profondeur à travers les nombreux écrits ethnographiques publiés par le pasteur entre 1893 et 1938, dont plusieurs dans la très sérieuse revue néerlandaise d’études indonésiennes Bijdragen tot de Taal-, Land- en Volkenkunde. Kruyt, analyse Schrauwers, se mit à l’ethnographie avec talent mais d’une manière avant tout prosélyte, c’est-à-dire dans le but de trouver dans la culture des sujets qu’il voulait convertir les canaux que son message pourrait le plus efficacement emprunter pour atteindre les esprits et les coeurs. L’analyse contextualisée du discours ethnographique de Kruyt que sert finement Schrauwers est peut-être la partie la plus réussie du livre. Toutefois, j’éprouve personnellement un malaise envers cet ouvrage. En introduction, Schrauwers expose son objectif en ces termes : « Focusing, as this work does, upon colonial religious missions, my concern is to differentiate mission discourses from those of the colonial state » (p. 11). Pour mettre ainsi en jeu le dispositif colonial, les missions et l’État, je peine à concevoir qu’on puisse se passer d’inscrire explicitement l’ouvrage dans les analyses récentes du discours ethnologique colonial, et plus particulièrement dans la suite des efforts de certains auteurs pour réévaluer l’ethnographie missionnaire coloniale, efforts qui se sont multipliés en anthropologie depuis le débat ouvert en 1980 par Claude Stipe dans Current Anthropology. Ce débat, toutefois, semble avoir échappé à Schrauwers, qui n’y fait pas référence, ni aux auteurs y ayant participé, ni à ceux qui les suivirent (on songe par exemple à Frank Salamone, à Jan Abbink, à R. Bonsen, H. Marks et J. Miedema ; et à James Clifford, lui aussi inexplicablement absent). Il y a ainsi un manque sévère de ramifications, horizontales d’abord, avec des études similaires conduites ailleurs dans la région ; et verticales, pour rattacher légitimement ce livre à la filiation des anthropologues ayant contribué à rouvrir ce dossier missionnaire qu’une génération précédente avait longtemps préféré garder fermé. Tout aussi alarmant est le constat que sont ignorés des auteurs récents et prolifiques comme George Stocking, Peter Pels et Oscar Salemink – ces deux derniers hollandais de surcroît – qui ont contribué notoirement à faire avancer la réflexion anthropologique sur l’ethnographie coloniale. Le paradoxe est tel que sans s’en réclamer d’aucune façon – peut-être même en le boudant – Schrauwers aura, avec ce livre, ajouté sa pierre à l’édifice dont ses devanciers ont posé les fondations.