Comptes rendus

Stéphanie Eveno, Le suicide et la mort chez les Mamit-Innuat. Paris, L’Harmattan, 2003, 319 p., bibliogr.[Notice]

  • Camil Girard

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  • Camil Girard
    Groupe recherche histoire (GRH)
    Université du Québec à Chicoutimi
    555 boul. de l’Université
    Chicoutimi (Québec) G7H 2B1
    Canada

Dans le cadre des relations actuelles des Premières nations autochtones et des gouvernements du Canada et du Québec, force est de constater que le discours sur la question autochtone souffre d’une méconnaissance profonde des cultures autochtones alors que notre histoire nationale, trop simpliste, tend à exclure les autochtones des véritables enjeux sociaux, économiques et culturels contemporains. C’est dans ce contexte global de déconstruction et de reconstruction des rapports aux cultures marginales que se situe cette monographie sur le suicide chez les Innuat (montagnais) de la Côte-Nord du Québec. L’auteure se place d’emblée dans une perspective où elle cherche à déconstruire le discours sur la question pour tenter de saisir la place du suicide et de la mort dans la culture innue, car c’est véritablement le rapport à la mort qu’il s’agit d’étudier ici. En amorçant la réflexion sur le changement culturel, l’auteure montre que l’autochtone se retrouverait dans une inadéquation où il est écartelé entre les vestiges d’une culture d’origine et l’intégration au bas de l’échelle des sociétés modernes (p. 32-33). Dans ce contexte, nous pourrions parler d’une vision qui tend à surinvestir les problèmes (écart entre la réalité et le discours), ce qui tend à renforcer les stéréotypes. Ainsi, la déstructuration de la famille en milieu autochtone, les problèmes de violence, d’alcoolisme, de drogue font l’objet d’études nombreuses qui envahissent presque tout l’univers de la recherche et par conséquent du discours. L’auteure divise sa recherche en cinq chapitres. Le premier porte sur le cadre d’analyse et sur la méthodologie. Le second trace un survol des communautés étudiées. Le troisième traite de la mort et des rites funéraires. Les deux derniers chapitres font état du suicide à travers les données recueillies sur les facteurs de risque ou de protection et sur la construction narrative du suicide chez les Innuat. Au-delà des explications qui se rattachent à l’impact des problèmes sociaux sur les conduites suicidaires, l’auteure cherche à étudier la position de la culture innue eu égard à la mort ; elle veut comprendre les valeurs que cette culture accorde à cette forme de décès que l’on identifie au suicide. Pour les fins de son étude, l’auteur tente de dépasser le discours ambiant et les statistiques. Son enquête se déroule dans deux communautés innues du Québec et porte sur 35 personnes (20 femmes, 15 hommes) qui ont été touchées de près par la question du suicide. À partir d’entretiens ouverts, d’entrevues thématiques et d’histoires de vie, l’auteure se propose d’observer le suicide chez diverses personnes touchées, soit directement (tentative) soit par le départ d’un proche. Premier constat, il y aurait un certain décalage entre le discours sur le suicide et la réalité étudiée. Eveno retrace l’histoire de la situation historique et actuelle des communautés étudiées dans le deuxième chapitre de son ouvrage. Elle se limite ici à une réflexion sur la mise en place des réserves et des problèmes qui ont suivi. Elle fait le choix judicieux de chercher à mieux comprendre la dynamique actuelle en questionnant les acteurs et en étudiant le rapport à la mort dans la culture innue. Le chapitre troisième qui porte sur la mort et les rites funéraires chez les Innuat nous semble le plus novateur puisqu’il permet de saisir les rapports entretenus par les Innuat avec l’au-delà. S’il est question d’échange ici, c’est surtout d’échange entre les âmes des vivants et des morts qu’il faut assurer et maintenir. C’est dans ce contexte que se comprend le suicide sacrificiel qui, dans la tradition innue, correspond à la survie du groupe et s’appuie sur des valeurs fondamentales de partage, d’entraide et de réciprocité (p. 160). L’auteure montre …