Essai bibliographique

La « société civile » au Québec : fondement des normes sociales ou espace procédural d’interactions?[Notice]

  • Stéphane Vibert

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  • Stéphane Vibert
    Chaire Approches communautaires et Inégalités de santé – GRIS
    Université de Montréal
    C.P. 6128, succursale Centre-ville
    Montréal (Québec) H3C 3J7
    Canada

Cet essai porte sur l’ouvrage de Gary Caldwell, La culture publique commune. Les règles du jeu de la vie publique au Québec et les fondements de ces règles, (2001) et sur celui de Denise Helly et Nicolas van Schendel, Appartenir au Québec. Citoyenneté, nation et société civile (2001). Les deux travaux, bien que de facture fort différente, exposent la même interrogation fondamentale : quelle est la nature, la forme, l’intensité des liens civils indispensables aux relations entre citoyens d’une société moderne, une société à la fois individualiste dans ses valeurs et ses finalités (notamment sous la figure tutélaire des constitutions ou chartes définissant droits et libertés essentielles) et étatiste dans son organisation et son mode de légitimité (sous la forme de la souveraineté populaire et de la démocratie représentative). Tant la réflexion politico-philosophique à charge polémique de G. Caldwell que l’enquête monographique d’obédience sociologique de D. Helly et N. van Schendel approchent la situation contemporaine du Québec par le biais de la « société civile », questionnant les valeurs, règles, normes implicites ou explicites des conduites quotidiennes qui forment le soubassement existentiel d’une « culture » avant même de se formaliser en institutions étatiques ou contrats officialisés. Les deux ouvrages visent à mettre au jour la présence d’un ethos à la fois universaliste (en tant que hiérarchie de valeurs portant sur la condition ontologique de l’homme en société : liberté, égalité, responsabilité, etc.) et particulier (en tant que correspondant à une histoire et une culture spécifiques se condensant dans l’existence dynamique et conflictuelle de la société québécoise actuelle), qui nourrit et traduit l’intelligibilité et la cohérence des interactions interpersonnelles, impose des droits, devoirs et vertus substantielles, mais aussi inévitablement provoque des attentes, des déceptions et des désaccords interprétatifs. Si Caldwell défend sa propre vision des choses, sa conception de la « culture publique commune » vitale pour la construction d’une société plus juste et harmonieuse, l’enquête sociologique de Helly et van Schendel, datée de 1995 et portant sur 84 résidents de Montréal, entend plutôt exposer les représentations de citoyens « ordinaires » quant aux liens primordiaux qui tissent les rapports intersubjectifs d’une part, la relation au Québec comme société globale d’autre part. Cette liaison dialectique entre les niveaux microsociologique (civilité, solidarité, tolérance entre les individus) et macrosociologique (le Québec comme identité collective) se trouve sous-jacente aux deux ouvrages, à travers une continuité entre règles de la vie quotidienne d’un côté, principes de base et croyances fondamentales de l’autre. Mais ce qui oriente la réflexion commune des deux ouvrages et incarne finalement au mieux leur divergence conceptuelle se saisit dans la compréhension respective du terme récurrent de leur problématique : la « société civile ». L’épanouissement des êtres humains suppose leur insertion dans un horizon de significations partagées, une « société » au sens fort du terme, définissant des valeurs et normes qui donnent sens à l’existence personnelle dans son rapport à soi-même et à autrui. Généralement, la transmission de la culture s’effectue de manière informelle et implicite, à travers de multiples canaux de socialisation qui, pour Caldwell, constituent l’architecture de la « société civile » (famille, école, église, quartier, associations), mais qui pour des raisons diverses (médias sous influence de l’utilitarisme marchand, école publique étatisée, enseignement relativiste, crise de la famille), ne jouent plus leur rôle de nos jours. Énumérer les composantes de cette « culture publique commune » peut sembler ressortir d’une ambition excessive, d’autant plus qu’une codification statique masque sa nature historique et évolutive, ce dont l’auteur est bien conscient. Néanmoins, la « crise de la transmission » s’avère d’une gravité sans précédent, ainsi que le démontrent …

Parties annexes