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Ce livre relate le destin des principaux groupes hassidiques depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, pendant laquelle ils furent presque tous exterminés. Les hassidim sont ces personnages, tout de noir vêtus et arborant de vastes chapeaux de fourrure lors de leurs fêtes. Ces groupes qui se réfèrent à des « dynasties » de chefs charismatiques, des rèbbe, professent un judaïsme qui se veut très rigoureux. C’est le destin de ces groupes et leur histoire contemporaine qui nous sont ici présentés. Ces survivants se sont établis dans divers pays, y formant de nouvelles communautés, chacune avec ses particularités. Une brève introduction historique sur l’origine du mouvement et son expansion en Europe orientale au XVIIIe siècle nous amène en 1945, date à laquelle il ne reste presque plus de hassidim dans leurs pays d’origine, exterminés avec les autres juifs par les Nazis. Les hassidim payèrent un tribut plus lourd que leurs coreligionnaires, étant particulièrement reconnaissables par leur apparence vestimentaire et par le fait de vivre concentrés dans des quartiers particuliers, les bien connus shtètlech.

Le second chapitre décrit situation des juifs de la ville d’Anvers où, en 1939, vivait une importante communauté liée à l’industrie du diamant, et qui incluait quelques groupes hassidiques. Il ne restait plus qu’environ huit cents juifs dans cette ville à la fin de la guerre, dont quelques hassidim, mais cette petite colonie fut rejointe par de nombreux survivants d’Europe orientale qui firent d’Anvers une sorte de relais et une étape vers d’autres destinations, les États-Unis, le Canada (surtout Montréal et en particulier Outremont), Londres et Israël.

Dans chacun de ces pays, les hassidim se sont regroupés dans des quartiers de ville où leurs talents et leurs occupations traditionnelles, par exemple comme bouchers et préparateurs d’aliments cacher, subviennent aux besoins d’autres coreligionnaires conservateurs ou réformés, notamment aux États-Unis et aussi au Canada. Grâce à un taux de fécondité très élevé, car les hassidim obéissent à l’injonction des Livres Saints « Croissez et multipliez », ils sont aujourd’hui très nombreux. C’est le cas à Williamsburg, un quartier de Brooklyn, qui accueillit surtout des Satmarer, aujourd’hui au nombre de 40 000 (chapitre trois), à Borough Park, un autre quartier de Brooklyn, peuplé, lui, d’une vingtaine de dynasties hassidiques, avec la plus grande, les Bobover, qui compte entre 10 000 et 12 000 personnes. Les résidents de ce quartier sont moins traditionalistes et plus « embourgeoisés » (c’est le terme de Gutwirth) que l’ensemble ultra-orthodoxe de Williamsburg (chapitre quatre). Crown Heights, un autre quartier « à fortes turbulences » de Brooklyn, a eu une histoire assez mouvementée jusqu’à sa stabilisation par les hassidim Loubavitcher (chapitre cinq). Ceux-ci sont différents, car ils pratiquent intensément du prosélytisme, tentant d’inciter les juifs peu religieux ou tout simplement incroyants à revenir à un judaïsme « orthodoxe ». C’est par ce zèle missionnaire qu’ils sont surtout connus et aussi parce qu’ils n’hésitent pas à s’engager dans des actions politiques au niveau municipal ou national, ce que la plupart des autres groupes pratiquent aussi, mais quelquefois avec plus de discrétion. Avant la Shoah, tous les groupes hassidiques étaient antisionistes, la création d’un État israélien, selon la Torah, devant suivre, et non précéder, la venue du Messie toujours attendue. Aujourd’hui, seuls les Satmarer sont encore antisionistes, les autres groupes étant plus ou moins engagés dans le débat, sauf les Loubavitcher qui sont résolument annexionnistes, prônant la non-restitution des territoires pris à l’Egypte lors de la guerre du Kippour et d’autres territoires conquis. Le rèbbe principal des Loubavitcher était ainsi devenu, jusqu’à sa mort en 1994, un personnage très écouté dans l’État hébreux où il n’avait pourtant jamais mis les pieds.

Les chapitres six et sept sont consacrés aux hassidim qui ont migré en Israël, qu’ils soient annexionnistes ou pas. Il y aurait ainsi 200 000 hassidim aujourd’hui en Terre sainte. Déjà au XVIIIe siècle, quelques juifs, dont plusieurs hassidim, s’établirent en Palestine mais le gros des émigrés vint plus tard, la plus grosse affluence, on s’en doute, s’étendant entre 1948 et 1952. Les hassidim vivent principalement à Jérusalem, dans le quartier Méa Shearim, et à Bné Brak, près de Tel Aviv, mais on trouve aussi quelques petits groupes ailleurs, même dans les territoires occupés. Ils ont tous leurs particularités donnant des « tonalités » différentes à chaque communauté.

Le chapitre huit est consacré à la France, pays reconnu pour abriter une communauté juive à pratiques religieuses peu traditionnelles. Quelques hassidim ne firent que transiter en France avant et après la Seconde Guerre mondiale mais les Loubavitcher demandèrent à une trentaine de familles d’y rester pour leurs tentatives de conversions qui furent, le moins qu’on puisse dire, fort modestes au début mais qui attirèrent nombre de juifs séfarades d’Afrique du Nord immigrés en France après l’indépendance du Maroc et de la Tunisie en 1956 et de l’Algérie en 1962. Ce sont surtout ceux de la seconde génération de ces Maghrébins qui adhérèrent au hassidisme, d’une manière qui peut sembler paradoxale, car ils parlaient français, une langue que ne faisaient qu’écorcher leurs mentors et ignoraient le yiddish que ces derniers pratiquaient. Cependant, ils avaient des pôles d’intérêts communs, d’autant plus que certains de ces Nord-Africains avaient déjà eu des contacts avec les missionnaires loubavitch dans leur pays, ces derniers y ayant établi des petites colonies pour fins de prosélytisme en 1951. Pour ceux d’entre-eux qui désiraient mener une vie juive plus traditionnelle que celle de la plupart des juifs français, adhérer au hassidisme était la solution à portée de la main. L’ouvrage se clôt par une très informative comparaison des problèmes communs à toutes ces situations particulières.

Il faut dire, pour terminer, un mot sur la méthodologie suivie par l’auteur qui la donne en postface. Il connaît de première main toutes les communautés dont il parle, mais il les a visitées tout au long d’une période de plus de quarante ans. Pour se tenir au courant des développements récents de chacune d’entre elles, il a utilisé les travaux de sociologues et ethnologues qui étudient les hassidim (c’est un des groupes certainement les plus scrutés, du moins en Amérique du Nord, mais beaucoup moins en Israël) et Internet où quantité d’informations ont pu permettre des mises à jour précises. Le « terrain » est essentiel mais le suivi doit être perpétuellement inventé dans chaque cas et il fallait le dire.