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Depuis la première moitié du 20e siècle, nous assistons à une véritable explosion de représentations culturelles dans la sphère publique : la culture a été mobilisée par l’État au nom de la nation, par les industries culturelles et touristiques au nom de l’entertainment, et par différents mouvements autochtones au nom de l’auto-détermination[1]. Cette instrumentalisation de la culture a été facilitée par les technologies de reproduction mécanique et de diffusion qui ont beaucoup marqué l’imaginaire mondial du 20e siècle (Benjamin 1988), mais aussi par l’émergence d’un certain discours scientifique anthropologique. Dans cette nouvelle réalité, où la notion anthropologique de « culture » devient de plus en plus visible et ses utilisations semblent s’éloigner de plus en plus de son contexte d’origine, comment devons-nous, en tant qu’anthropologues, parler de la culture? Quel avenir est réservé à cette notion et quel rôle à l’anthropologie, qui se considère comme la génitrice du concept?

Les auteurs de ce numéro spécial, aussi curieux qu’inquiets d’observer comment la culture est devenue un « objet » public, posent simultanément une question et un défi. La question est de savoir en quoi cette mobilisation conceptuelle pourrait avoir des incidences sur notre façon de conceptualiser la culture. Alors que la notion anthropologique de la culture prend de l’importance au sein des politiques culturelles, du tourisme et des médias de masse, le métier d’anthropologue se diversifie aussi. Ces deux mouvements devraient-ils nécessairement évoluer de façon parallèle? Si oui, comment? Le défi est de résister à la tentation de penser que cette mobilisation de la culture mène nécessairement à l’aliénation, qu’elle soit collective ou individuelle. En fait, il en est tout autrement : les textes de ce numéro montrent que la mise en public de la culture représente autant de pièges que de possibilités. Notre petite idée de « culture », devenue grande, a tracé un itinéraire parfois surprenant et dont certains virages sont davantage source de consolation que d’autres. Maintenant que la poussière soulevée par le postmodernisme commence à retomber, chacun doit regarder autour de lui pour décider quoi faire de notre patrimoine disciplinaire. Si nous voulons que notre travail reste pertinent, il faudra non seulement s’ouvrir à d’autres utilisations du concept, mais aussi participer à la vie publique de ce golem que nous avons créé [CW, sons : « golem »].

« The Culture Concept »

Culture is one of the two or three most complicated words in the English language.

Raymond Williams

Les anthropologues semblent prendre du plaisir à citer le fameux texte de Kroeber et Kluckhohn (1952) qui permet de montrer à quel point le concept fondateur de leur discipline est complexe. Et pourtant, l’anthropologie s’érige depuis près d’un siècle sous la bannière de « la » culture, et nous travaillons (du moins en ethnologie) avec une définition qui a relativement peu changé. Quand les anthropologues parlent entre eux, le cadre théorique employé ou l’explication de tel ou tel phénomène humain peut être une source de divergence d’opinions, mais quand ils emploient le mot « culture », les anthropologues parlent généralement d’une seule et même chose : la culture consiste en un ensemble de pratiques, croyances et valeurs qui sont acquises socialement et qui servent à renforcer l’identité d’un groupe[2]. La version standard de l’histoire du concept de « culture » en anthropologie propose un passage d’une définition universaliste de la culture à une définition pluraliste, ce passage correspondant à la rupture historique entre les lettres (humanities) et les sciences sociales. En réalité, l’évolution du terme est beaucoup plus complexe, non seulement parce que plusieurs mouvements artistiques et intellectuels du 20e siècle se sont inspirés d’une notion anthropologique de la culture, mais aussi parce que cette évolution n’était ni linéaire ni nécessairement universelle.

Dans un livre récent sur l’émergence de la notion moderne de culture, le critique littéraire Marc Manganaro fait état de plusieurs générations d’expérimentation et d’échanges entre certains penseurs anthropologiques et littéraires du 20e siècle. En 1922, T. S. Eliot publie The Waste Land [CW, images : « Wasteland »], qui sera aussi critiqué qu’admiré pour sa vision esthétique de la culture et qui, selon Manganaro, reproduit plusieurs éléments de la collecte et de l’exposition ethnographique (intérêt pour les objets quotidiens, présentation des objets en dehors de leur contexte d’origine, suggestion d’équivalence entre culture matérielle et identité culturelle). Trois ans plus tôt, Edward Sapir (un des premiers étudiants de Boas) décide d’utiliser le même forum intellectuel (le prestigieux magazine littéraire The Dial) pour élaborer sa célèbre distinction de « genuineculture » et « spurious culture ». Selon Manganaro, le regard anthropologique d’Eliot (lui-même familier avec les principaux textes anthropologiques de son époque) et la sensibilité esthétique de Sapir n’étaient pas le résultat d’une influence de l’un sur l’autre, mais plutôt celui d’un engouement général qui, depuis la dernière partie du 19e siècle, signalait des changements importants dans l’évolution du terme. Trente ans plus tard, Kroeber et Kluckhohn (eux aussi étudiants de Boas), accusent Eliot de vouloir jeter un pont entre les utilisations faites en sciences et celles des lettres[3]. Il est bien connu que la première partie du 20e siècle a vu un nombre important d’expériences artistiques et littéraires s’inspirant d’une vision anthropologique de la culture[4]. Ce que Manganaro semble ignorer, c’est que 1922 était aussi l’année de Nanook (voir la page couverture, l’explication en couverture 2 et Boukala et Laplantine dans ce numéro) [CW, images : « Mise en public de Nanook »].

Dans la mesure où on peut parler du « triomphe » de la notion anthropologique de culture, il est nécessaire de situer cette évolution dans le contexte de l’hégémonie (dans le sens utilisé par Gramsci) de l’anthropologie étatsunienne (Cuche 1996). Dans un article qui trace l’émergence d’un certain pluralisme dans l’anthropologie culturelle étatsunienne, Christopher Hann (2002) remet en question l’idée que le relativisme boasien soit l’héritage du philosophe allemand Johann Herder [CW, images : « Herder »]. À l’époque de Herder, dans la seconde moitié du 18e siècle, l’Allemagne vivait sa propre version des « culture wars ». Dans sa lecture de Norbert Elias, Denys Cuche (1996) explique que l’intelligentsia bourgeoise allemande de cette époque cherchait à se distinguer idéologiquement d’une aristocratie qui, à ses yeux, était devenue corrompue et aliénée de sa culture propre par son association avec la vie de cour française. Le terme allemand Kultur (emprunté au français) qui s’employait au départ comme un synonyme du terme français « civilisation », est devenu à l’époque de Herder un terme d’opposition que l’intelligentsia allemande utilisait pour critiquer l’hégémonie culturelle française de l’époque. Les écrits de Herder doivent donc être situés dans le contexte de cette dynamique[5]. Mais selon Hann, Herder « was no more of a cultural relativist than his teacher Kant », réflexion qui suggère que le pluralisme culturel de Boas est plutôt le résultat de son dialogue avec le Nouveau Monde (2002 : 262 ; voir aussi Trouillot 2002) [CW, images : « Boas »].

Sans prétendre résoudre ici le problème des origines du pluralisme culturel, la lecture de Hann soulève des questions importantes au sujet du rapport entre la notion anthropologique de culture et celle du nationalisme. Mais le fait de constater la spécificité ou les caractéristiques uniques d’un groupe de personnes en particulier ne constitue pas nécessairement quelque chose de nouveau ni quelque chose de problématique. Les vraies difficultés surgissent au moment où la culture est utilisée pour revendiquer une identité nationale (et dont l’un des premiers exemples est la notion herderienne de Volksgeist, ou « génie national »). Quand culture et nationalisme s’alignent sur un même horizon, plusieurs questions se posent. Premièrement est-ce possible de défendre l’idée d’une culture nationale et en même temps de défendre une vision de la culture qui n’exclut pas la complexité de l’autre? Deuxièmement, quand identité culturelle et identité nationale se fusionnent avec, en toile de fond, le trope du territoire, comment faire pour éviter les pièges de la notion de l’appartenance par le sang? Une chose est certaine : le projet intellectuel de Boas a été fortement marqué par son expérience personnelle d’anti-sémitisme (des deux côtés de l’Atlantique) et par le besoin de dénoncer le racisme du darwinisme social de son époque[6]. Afin d’assurer une place légitime pour les approches non évolutionnistes au sein de l’académie, Boas a beaucoup misé sur la méthodologie et la pédagogie. Ses efforts de professionnalisation et de vulgarisation de la discipline anthropologique (qui ont reçu leur plus grand élan avec certains de ses étudiants, notamment Benedict et Mead) ont contribué de façon importante à l’objectification de la notion de la culture (Trouillot 2002 ; voir aussi Stocking 1968)[7].

Il faut dire que tout récit sur l’émergence de l’école « américaine » en anthropologie court le risque d’alimenter lui-même un discours hégémonique[8]. Mais il existe d’autres dangers encore plus graves, dont le premier est probablement celui de l’essentialisme. Plusieurs observateurs ont remarqué que l’anthropologie étatsunienne a investi le concept de culture dans le but de solidifier sa position au sein des sciences sociales. La présence d’un appareil conceptuel a toujours été importante pour l’anthropologie, d’abord en raison de la complexité de son objet d’étude (la variabilité humaine), mais aussi du caractère subjectif de sa démarche (l’observation participante). Si l’objectification de la culture était en quelque sorte le prix à payer pour que l’anthropologie gagne une place permanente dans le champ scientifique, cette objectification demeure paradoxale, puisque ce qui a commencé par une vocation pluraliste sert maintenant à plusieurs sauces essentialistes (Trouillot 2002 : 41)[9]. La notion de culture engendrée par le projet culturaliste boasien a dépassé le contexte originel de sa production, et cette évolution est devenue une véritable source d’inquiétude (Dominguez 1992 ; Friedman 2004). Pour reprendre la question de Michael Elliott, « What does it mean […] for “culture” to be an “American” word? » (2002 : xi). La question brûle encore plus maintenant, dans une période où un « président de guerre » sème le conflit partout dans le monde au nom des « valeurs démocratiques ».

De nos jours, le terme « culture » est généralement utilisé pour décrire quatre types d’objets ou de phénomènes[10]. D’abord, « culture » s’utilise comme synonyme des termes « raffinement » ou « goût cultivé », usage qui correspond généralement à une vision universaliste de la condition humaine[11]. Ensuite il y a cette « culture » qui fait référence à un mode de vie basé sur un système de pratiques, valeurs et croyances, la définition la plus largement employée en anthropologie. Puis, il y a une certaine « culture » qui renvoie aux phénomènes expressifs considérés comme des manifestations d’une tradition particulière, c’est-à-dire les performances ou les produits culturels tels que la musique, la peinture, la danse, le cinéma, la littérature et la poésie, sans oublier les traditions orales. Cette acception, qu’on peut aussi nommer « culture expressive », est souvent associée à la première définition, mais elle est aussi imbriquée avec la notion anthropologique de la culture puisque toute « performance » ou tout produit culturel sont en principe le reflet de la culture dont ils sont issus. Enfin, le quatrième (et le plus récent) des usages est celui de la culture expressive qui traverse un processus de médiation technologique ou commerciale et qui, en raison de sa grande visibilité dans la sphère publique, est souvent appelée « la culture populaire ». Ensemble, ces quatre définitions (raffinement, mode de vie, culture expressive et culture populaire) couvrent la plupart des utilisations qui traversent ce numéro spécial. Plusieurs auteurs ont fait un effort pour attirer l’attention là où les usages s’entrecroisent ou s’entrecoupent, mais par la force des choses, la définition de la notion de « culture » est un travail toujours inachevé.

La mise en public de la culture

I have observed with growing anxiety the career of this word culture.

T. S. Elliot

« Culture » a écrit Clifford Geertz, « is public because meaning is » (1973 : 12) [CW, images : « publicmeaning »]. Dans l’introduction de son livre TheInterpretation of Cultures, Geertz évoque Tylor (souvent cité comme le père de la définition moderne de la culture) et Tyler (le fou du roi postmoderniste) pour se situer vis-à-vis de plusieurs générations de protagonistes de la pensée culturelle. Afin de faire une place à l’anthropologie interprétative, Geertz critique la définition de Tylor parce qu’elle est trop vaste et celle de Tyler parce qu’elle se passe dans la tête de l’observateur, deux points de vue qui pourraient d’ailleurs, selon Wikan (1992), s’appliquer au travail de Geertz. Mais c’est plutôt l’utilisation du mot « public » dans la phrase de Geertz qui m’intéresse ici. En utilisant la métaphore de « public », Geertz semble vouloir parler de la sociabilité (« Contracting your eyelids on purpose when there exists a public code in which so doing counts as a conspiratorial signal is winking » (1973 : 12) [CW, images : « winking »]. Ici il n’y a rien d’étonnant : l’anthropologie a toujours su que la signification est quelque chose de partagé, mais une des contributions de Geertz est d’avoir situé ces codes en dehors du village (« We do not study villages, we study in villages » (ibid.) [CW, images : « village »], mais aussi entre les villages (1963) et entre les villages et l’État (1981) :

Anthropologists have not always been as aware as they might be of this fact : that although culture exists in the trading post, the hill fort, or the sheep run, anthropology exists in the book, the article, the lecture, the museum display, or sometimes nowadays, the film.

Geertz 1973 : 16

Geertz avoue que le début de sa carrière a été marqué par le désir de se positionner par rapport à la mise en public massive de la culture par ceux qui l’ont précédé, surtout Margaret Mead, qui selon Geertz « made the anthropological idea of culture at once available to, well, the culture » (2000 : 12). Ce rappel historique de Geertz souligne le fait que le discours anthropologique est toujours en rapport avec la perception de sa vocation publique (Gonzales 2004).

Le mot « public » (comme le mot « culture ») a une carrière sémantique complexe et une longue généalogie, dont il convient de dégager certaines pistes de travail. Il faudrait d’abord élargir la définition de la sphère publique formulée initialement par Habermas (1997), qui a été critiqué pour avoir généralisé à partir d’un seul cas, important certes, mais pas pour autant généralisable[12]. Ensuite il faudrait rappeler la différence entre le substantif « public » et l’adjectif « public ou publique »[13]. Le premier représente un nombre infini de combinaisons, allant du « public » comme collectivité à l’« assistance » lors d’un événement. Le second, l’adjectif, s’emploie de diverses façons, puisqu’il peut renvoyer, entre autres, à l’État ou à la population. La mise en public de la culture, c’est-à-dire les processus par lesquels la culture est rendue visible dans la sphère publique, nous permet de voir comment la culture est mobilisée et à quelles fins. Il est facile de constater que la culture est reprise pour des fins (politiques, économiques, communautaires) en dehors du sens originel du terme. Il est plus difficile de montrer comment cette mise en public de la culture participe à la production de nouvelles formes de subjectivité et d’appartenance. Le défi pour l’anthropologie à l’avenir sera de pouvoir adapter l’approche ethnographique aux nouveaux espaces de sociabilité (Warner 2005) qui sont créés à travers les médias (Abu-Lughod 2005), le marché (Mazzarella 2003), le tourisme (Stanley 1998), et les discours étatiques (Hansen et Stepputat 2001).

Au début de ma réflexion sur ce sujet, j’ai rencontré plusieurs obstacles générés, il me semble, par le sens du mot « public ». Non seulement mon emploi du terme semblait provoquer un scepticisme marqué par son association avec le postmodernisme étatsunien, mais aussi parce que le mot « public » dans le contexte québécois (et peut-être canadien) fait référence à « la chose publique », c’est-à-dire à tout ce qui relève des ressources et biens publics, et donc par définition à tout ce qui est géré par l’État au nom de la population. La revue Public Culture, source d’inspiration pour ce numéro spécial, a créé un espace de réflexion critique au sujet de la production culturelle et de la production de la culture dans les espaces médiatiques et politiques du monde contemporain [CW, images : « PublicCulture »]. Le problème de cette notion de « public » est que, d’une part, elle ne fait pas de distinction assez claire entre les processus et les produits de la culture (puisqu’elle combine souvent théorie critique et production artistique à l’intérieur des mêmes numéros) et que, d’autre part, elle a tendance à confondre la mondialisation (mouvements de capitaux) et le transnationalisme (mouvements d’êtres humains). Pour cette raison, ce n’est pas vraiment la « culture publique » qui se trouve au coeur de ce numéro spécial, mais quelque chose de plus circonscrit que j’appelle la « mise en public » de la culture[14]. Puisque la mise en public de la culture nécessite souvent des ressources importantes, le rôle de l’État est crucial (White, ce numéro ; voir aussi Buchanan 2005), mais cela n’exclut pas l’apport des entreprises privées, par exemple la création de la catégorie de la « world music » (voir Feld [2004], Martin [2002] et White [2002b]) ou le résultat d’une rencontre entre les deux (Roueff, ce numéro).

La mise en public de la culture effectuée par les intellectuels fait rarement l’objet de discussion dans les milieux scientifiques. Dans une critique de l’analyse de la mondialisation menée par l’anthropologue Arjun Appadurai, Martin Roberts (1992) met à nu l’anthropologie étatsunienne. Selon Roberts, les diverses sphères d’activité et de circulation identifiées par Appadurai (ce qu’il appelle les « scapes ») pourraient (avec certaines exceptions) nous servir de dispositif heuristique pour naviguer dans la complexité de la mondialisation, mais elles ne nous aident guère à comprendre notre rôle en tant que chercheurs dans le contexte de la circulation des savoirs[15]. Suivant Roberts (ainsi qu’une longue lignée de penseurs qui se sont prononcés sur le rôle des intellectuels dans la société, dont Boas, Gramsci, Bourdieu et Said), j’aimerais non seulement problématiser l’opposition entre savoir « expert » et savoir « populaire », mais aussi impliquer la production du savoir scientifique dans la trajectoire historique et dans la vie publique du concept de culture. Prendre cette position nous oblige à accepter le « mauvais » avec le « bon », mais l’expérience récente a démontré que la recherche anthropologique peut être mobilisée pour créer des ponts entre le milieu universitaire et les communautés dans lesquelles (et au nom desquelles) nous travaillons.

Depuis 1997, j’ai organisé un cycle d’ateliers-spectacles qui, avec le concours de musiciens et de chercheurs de la République démocratique du Congo, explorent les liens entre la musique populaire, la violence politique et la mémoire. L’idée initiale du projet, intitulé The Rumba Workshop, est venue de mon interaction avec le chanteur congolais J.P. Busé, qui, lors d’une présentation musicale informelle, a été saisi d’émotion par une chanson qui lui rappelait une scène de violence politique vécue dans son enfance [CW, vidéos : « Rum-baWorkshop1 »]. Les expériences de ce genre nous apprennent beaucoup sur les barrières qui instaurent une distance entre l’université et les publics « extérieurs » à l’institution universitaire, mais elles ne se produisent pas sans heurts. Souvent, il en ressort que les organisateurs (en général un chercheur universitaire en collaboration avec des artistes) conçoivent différemment les objectifs de l’activité. Au lieu de devenir un champ d’exploration intellectuelle, cette tension tend à s’exprimer sous la forme de plaintes au sujet des termes de l’entente (horaire, rémunération, diffusion des résultats, etc.). Quant aux différents publics qui assistent à l’activité, leurs objectifs sont encore plus divergents. Les ateliers-spectacles du Rumba Workshop attirent une grande variété de « tropicophiles », dont la majorité sont des amateurs de musique du monde et d’anciens coopérants internationaux [CW, vidéos : « RumbaWorkshop2 »]. Souvent à la recherche d’une culture « authentique », les spectateurs quittent l’atelier comblés : ils ont la confirmation que les autres cultures sont anciennes et spirituellement pures. Les résultats d’une telle « rencontre interculturelle » sont loin d’être prévisibles.

Il faut dire aussi que ce genre d’atelier n’est pas tout à fait nouveau. Depuis des années, il existe des programmes d’enseignement dans les traditions musicales non occidentales, telles que le gamelan indonésien [CW, images : « gamelan »], le djembe d’Afrique de l’Ouest [CW, images : « djembe »], et le mbira du Zimbabwe [CW, images : « mbira »]. Ces genres performatifs s’accompagnent souvent d’un dispositif d’exposition et de spectacles (à ce sujet, voir l’excellent ouvrage dirigé par Solis en 2004). Mais ces programmes, normalement organisés dans des départements de musique, de théâtre ou de beaux-arts, sont souvent destinés à des spécialistes ou à des amateurs de musique, et donc ne s’inscrivent pas dans des contextes politiques ou historiques. Quelques spécialistes de ce format (notamment Robert Farris-Thompson, Paul Berliner et Bennetta Jules-Rosette) ont varié la formule en essayant de toucher un public plus large et en poussant la réflexion au sujet des potentielles applications théoriques et méthodologiques[16]. Gage Averill (2004) utilise ce format comme moyen de pousser plus loin la réflexion sur les stéréotypes qui pourraient être véhiculés par la mise en scène de la musique non occidentale, même s’il reste ambivalent quant aux résultats.

En dehors de la recherche et de l’enseignement, il existe plusieurs modèles scientifiques pour la mise en public des arts et traditions populaires, comme par exemple le cycle de conférences publiques organisées par les historiens Bogumil Jewsiewicki et Donatien Dibwe dia Mwembu. Mémoires de Lubumbashi, qui réunit depuis plusieurs années des chercheurs et des praticiens des arts plastiques et performatifs à Lubumbashi (dans le sud-est de la République démocratique du Congo) est le fruit d’une collaboration entre la Chaire en histoire comparée de la mémoire de l’Université Laval, l’Université de Lubumbashi et le Musée de Lubumbashi [CW, vidéos : « Mémoires1 »]. Cette série de programmes cherchait non seulement à mettre en évidence le travail d’un bon nombre de chercheurs qui « luttent » depuis de nombreuses années au Congo, mais insistait aussi sur l’importance de la mémoire populaire dans l’élaboration d’un récit collectif sur l’histoire d’une ville. À cette fin, les ateliers avaient lieu souvent dans un espace public urbain (musée, bars, etc.) et non dans l’enceinte universitaire [CW, vidéos : « Mémoires2 »]. À travers les images, la parole, la musique et les objets, ces journées d’étude ont porté sur plusieurs thèmes d’intérêt scientifique mais aussi communautaire : colonisation, violence, mémoire, deuil, réconciliation et pardon[17] [CW, vidéos : « Mémoires3 »].

Un autre exemple de la mise en public de la culture par des chercheurs universitaires est le programme de recherche mené par le Center for the Study of Public Scholarship (CSPS) de l’Emory University, à Atlanta. Depuis 1995, le CSPS organise des activités de recherche qui visent à provoquer des rencontres entre le milieu universitaire et différentes sortes de communautés non universitaires, ainsi qu’à explorer de nouveaux modèles de recherche collaborative. Chaque année, le centre invite des chercheurs étrangers à organiser des activités publiques (spectacles, expositions, ateliers de réflexion) qui présentent les préoccupations du chercheur et servent d’espace d’échanges entre les différentes communautés culturelles et le milieu de la recherche [CW, images : « CSPS1 », « CSPS2 », « CSPS3 »][18]. Les directeurs de ce projet, Ivan Karp et Corinne Kratz, possèdent une longue expérience de recherche et de publication sur le rôle des musées en tant qu’institutions publiques, surtout d’un point de vue comparé. Le deuxième livre de la série de trois volumes édités (Karp et al. 1992) explore les dislocations et les rapprochements entre plusieurs sortes d’institutions publiques (non nécessairement gouvernementales) et une grande diversité de communautés qui sont censées être desservies par les musées. Le livre récent de Corinne Kratz (2002) au sujet d’une exposition de photos de terrain et les différentes façons dont il a été reçu dans des contextes africain et nord-américain sont un rare exemple du mariage entre le travail ethnographique et l’analyse critique des représentations publiques de la culture [CW, images : « OnesWanted »].

Les textes de ce numéro

The massive diffusion of the word « culture » in recent times awaits its ethnographer […].

Trouillot

Plusieurs questions d’ordre théorique et méthodologique sont suggérées par l’analyse de la mise en public de la culture ; les contributions réunissent du matériel qui pourrait permettre des avancées importantes dans ce domaine de recherche. Premièrement, elles ouvrent de nouvelles pistes de réflexion sur la question de l’authenticité. Olivier Roueff décrit un véritable carrefour culturel et géopolitique dans l’organisation et la mise en scène de la culture noire étatsunienne dans la période de l’Entre-deux-guerres à Paris. La Revue Nègre, en 1925, jouait sur un double exotisme (américain et noir) et sur une multiplicité de regards (un pouvoir colonial qui regarde les relations raciales chez son semblable), à travers la présence ludo-érotique de Josephine Baker, qui parodiait l’essentialisme tout en renforçant une image caricaturale de l’identité noire. Le problème d’authenticité dans le texte d’Hélène Giguère fait ressortir les paradoxes d’un discours globalisant (celui de l’UNESCO sur les patrimoines culturels) qui essaie de naviguer à travers une distinction scientifique et historique entre culture matérielle et immatérielle. Le texte de Giguère pose un regard sur l’aspect problématique de la notion de « mise en valeur » d’un objet qui, malgré son caractère éphémère, est convoité par plusieurs institutions et intérêts publics, comme c’est le cas de l’identité gitane en Espagne. Le texte de Bob White sur les politiques culturelles dans le Zaïre de Mobutu met en évidence le paradoxe d’un ensemble de discours et de pratiques politiques qui se distancient du passé colonial en utilisant une notion qui est aussi moderne qu’occidentale : le soi authentique. Le terme « authenticité », mot-clé du régime pendant plusieurs années, a connu un succès certain dans le contexte Zaïrois, mais il devient par la suite le symbole de la corruption morale et politique. Sur la question de l’authenticité, les textes de ce numéro sont plus proches de la position de Walter Benjamin que de celle de Théodor Adorno dans le sens où ils révèlent la rupture entre l’original et la copie, mais cette rupture, au lieu d’être une réponse, est un nouveau point de départ.

Suivant la pensée de Benjamin, on pourrait dire que cette nouvelle reproductibilité pourrait mener aussi facilement au fascisme qu’à la démocratisation de la culture (dans tout ce que le terme veut dire), mais beaucoup d’indices donnent à croire que les ressources financières des industries culturelles sont aussi (sinon plus) concentrées qu’il y a un siècle (Hesmondalgh 2002) ; ce n’est pas parce que la technologie est plus accessible que la démocratie l’est aussi, contrairement à ce que Jacques Attali aimerait nous faire croire (2001). Comme l’explique le texte de Giguère, la notion du patrimoine émerge souvent comme réponse à l’hégémonie croissante des industries culturelles étatsuniennes, et cela, non seulement de la part des gens de l’hémisphère sud (voir l’influence du Québec, du Japon et de la France dans l’élaboration de la notion de patrimoine culturel). Certaines technologies de la représentation comme le cinéma doivent leur succès à un dispositif mécanique qui permet plus que la simple évasion (Boukala et Laplantine), pendant que d’autres technologies prennent la forme d’une interactivité en temps réel : un nouveau genre de spectacle (Roueff), une sorte de chorégraphie « tradi-moderne » (White), ou une esthétique d’exposition mondiale (Curien). Dans certains cas, le dispositif médiatique ne fait qu’amplifier ou magnifier le message, comme dans le cas présenté par Denis-Constant Martin sur les chants populaires au sujet d’Ambedkar en Inde. Ces nouvelles technologies de la représentation peuvent se cacher derrière leur caractère spectaculaire, mais l’interprétation de celles-ci est souvent empreinte de politique (Martin, White) et peut avoir une incidence sur la forme et l’itinéraire particuliers de ce qui est produit (Giguère).

Plusieurs auteurs ont remarqué l’aspect dialectique de la mise en public de la culture. Le texte de Saskia Cousin explique que l’institution récente du tourisme culturel en France est le résultat d’une coproduction des acteurs potentiellement antagonistes, « les gens de la culture » et « les gens du tourisme ». Pour que le tourisme culturel puisse s’épanouir, il a besoin d’abord d’un discours commun qui se situe entre « la liberté d’entreprise » et « la défense des valeurs culturelles ». Nous sommes témoins non seulement de l’émergence d’une nouvelle catégorie de politiques culturelles, mais aussi de la reproduction d’une culture politique (elle-même objet du patrimoine français) toujours menacée par une culture de la privatisation. Pour Denis-Constant Martin, la poésie populaire en Inde constitue une conversation avec le pouvoir, et cette dynamique nous permet de voir que le charisme politique devrait être vu non pas comme un don, mais comme un contrat social : une relation tissée par des chants qui sont, pourtant, très intimes malgré leur vie publique, puisque le personnage s’appelle « Bhim » et non « Ambedkar ». Dans le texte de Pauline Curien sur la prise de conscience de l’identité québécoise à travers l’Expo 67, c’est le « discours ambiant » qui fait de l’événement un moment où la modernité semble émerger de la rencontre. Plusieurs contributions à ce numéro montrent comment l’identité culturelle (régionale et nationale) s’articule dans une relation dialectique : la France se définit par rapport aux États-Unis, non seulement comme gardien de la civilisation mais aussi comme gentil colon (Roueff), l’Espagne se positionne vis-à-vis de la présence historique du monde musulman (Giguère) et les Québécois voient moins leur identité nationale dans leur pavillon que dans le regard ravi des visiteurs, étrangers ou non, qui découvrent un nouveau Québec (Curien).

En plus des éléments déjà mentionnés, l’étude de la mise en public de la culture nous montre que la discipline anthropologique peut faire état des nouveaux phénomènes, y compris de l’émergence de nouvelles formes de subjectivité : le changement (autant constitutionnel que spirituel) qui permet à des centaines de milliers d’Intouchables de se penser comme des acteurs politiques (Martin), la prise de conscience d’une nouvelle identité collective qui devient le fondement d’une « expérience démocratique affective » (Curien), la frustration causée par une politique non gouvernementale qui sert aux artisans de la culture pour faire passer le message d’un discours universaliste (et donc non discutable) (Giguère), une politique d’État qui tente de domestiquer un esprit capitaliste au nom d’une entente avec « la culture » (Cousin), l’ambiguïté d’une machine de propagande qui crée un sentiment d’appartenance et de fierté collective (White), un spectacle qui révèle les vraies sources d’inspiration du show business à l’américaine (Roueff). Bref, il s’agit d’un nombre de cas fort intéressants où la mise en public de la culture, examinée d’un point de vue anthropologique, nous permet de comprendre comment l’imaginaire d’une société se modifie lentement à travers une série de rencontres avec l’histoire.

Parmi toutes les questions soulevées dans ce numéro spécial, celle de la démarche ethnographique reste encore peu développée. Les différentes contributions au numéro présentent non seulement des terrains impossibles à observer puisqu’ils se déroulent dans le passé (Curien, Roueff, White), mais aussi des nouvelles situations qui correspondent difficilement à la démarche ethnographique traditionnelle (Cousin, Giguère, Martin). Parmi les six textes du numéro, seulement la moitié sont le résultat d’un travail de terrain proprement dit (c’est-à-dire une combinaison d’entrevues, de participation et d’observation : Cousin, Giguère, Martin), preuve peut-être que la mise en public de la culture est un objet d’étude trop difficile à saisir. Le texte de Boukala et Laplantine, plaidoyer pour l’utilité du cinéma dans les sciences sociales, pose une question particulièrement intéressante : est-ce que l’analyse du cinéma pourrait complexifier l’anthropologie? Il soulève en même temps une question particulièrement inquiétante : l’anthropologie peut-elle exister sans l’ethnographie? Autrement dit, comment pouvons-nous étudier « the massive diffusion of the word “culture” » (Trouillot 2002) sans perdre ce qui constitue le coeur de notre contribution au savoir scientifique de notre époque? L’étude de la mise en public de la culture, qui risque toujours la confusion entre objet et méthode, demande une pause de réflexion sur l’avenir et la redéfinition du travail de terrain ethnographique (Marcus 2002).

Lâcher prise

Culture is a deeply compromised idea I cannot yet do without.

James Clifford

L’angoisse disciplinaire exposée par Fox et King (2002) est particulièrement pertinente pour la simple raison que nous n’avons « jamais autant parlé de culture qu’aujourd’hui » (Augé 1988). Dans un monde d’ethnographie généralisée (Marcus et Fischer 1986), nous sommes de plus en plus conscients du fait que le rôle de traducteur de culture ne nous appartient plus exclusivement. « Small is beautiful », certes, mais la culture n’est plus small : « The way people think now, in much of the world, is shaped by books, postcards, telenovelas, and the evening news […] » (Hannerz 1986 : 367) [CW, images : « Schumacher », « Disney »]. Cela veut dire que les observateurs de la culture sont plus nombreux et que la critique culturelle est une activité de plus en plus diversifiée. La discipline anthropologique, qui partout au monde a vu ses effectifs augmenter de façon significative dans les trente dernières années, n’est pas small non plus. « Je déteste les grands colloques », entend-on souvent dire, « il y a trop de monde ». « There is no longer any central debate », disent les autres[19]. S’agit-il d’une crise existentielle disciplinaire? Ou l’anthropologie est-elle simplement devenue trop vaste? [CW, images : « AAA »]

Dans la courte histoire centenaire de notre discipline, il y a eu plusieurs moments de profonde remise en question : la critique de la pensée évolutionniste (Boas), les débats sur la pensée existentialiste (Lévi-Strauss), la prise de conscience de l’histoire coloniale (Asad), et plus récemment, la crise de la représentation (Marcus et Fischer). Clifford Geertz donne l’image d’une discipline en guerre avec elle-même :

Anthropology is a conflicted discipline[. It] keeps falling into its parts, complaining about the fact, and trying desperately, and unsuccessfully, to project some sort of new unity to replace the unity it imagines itself once to have had […].

Geertz 2000 : 97

En d’autres termes, l’anthropologie donne l’impression de tourner éternellement en rond parce qu’elle cherche une cohérence qui n’a jamais existé, ni dans la discipline, ni dans le concept qui est au centre de ses préoccupations [CW, images : « tourner »]. La suggestion radicale proposée par Fox et King serait de simplement passer à autre chose : « […] that there need be no single solution to the problems surrounding the culture concept, that anthropology can go on productively with or without such a concept, and that choice by scholars is both possible and necessary » (2002 : 3).

Au lieu de serrer les rangs disciplinaires autour du concept de culture, pourquoi ne pas suivre l’exemple de Raymond Williams? De retour chez lui après la Deuxième Guerre mondiale, le célèbre critique littéraire constata que le mot « culture » semblait de plus en plus courant [CW, images : « apresguerre »]. De plus, il observait des changements dans l’utilisation du mot, le sens arnoldien laissant de plus en plus de place au sens anthropologique. Fort de cette observation, Williams prit une position résolument anthropologique : il s’interrogea sur la culture du mot « culture ». À partir de cette question, il bâtit une démarche qui lui permit d’utiliser les mots pour articuler une vision dynamique de l’histoire :

The development of the word culture is a record of a number of important and continuing reactions to these changes in our social, economic, and political life, and may be seen, in itself, as a special kind of map by means of which the nature of the changes can be explored.

Williams 1983 : xvii[20]

L’étude de la mise en public de la culture, comme la démarche de Williams, introduit un mécanisme de distanciation qui nous permet d’étudier les changements socioculturels à travers les produits de la culture, sans pour autant commettre l’erreur postmoderniste de réduire la culture à une série de représentations. Le problème avec le virage postmoderniste de l’anthropologie étatsunienne n’est pas le rejet de la science, comme les modernistes aimeraient nous le faire croire (Harris 1995), mais plutôt la mise en place d’un modèle de complexité qui réduit l’autre à un simple objet du regard colonial (en anglais le « Western gaze »). Les solutions de cette version du postmodernisme (réflexivité, plurivocalité, dialogisme) ne sont que des promesses vides, puisqu’il leur manque non seulement une théorisation de la complexité (Agar 1999) mais aussi une analyse du terrain comme espace intersubjectif (Agar 1982). Combattant la forte tendance (non seulement anthropologique) à la généralisation, de nombreux auteurs en anthropologie ont attiré notre attention sur les dangers de l’analyse culturelle : la projection (Wikan 1992), la taxonomie (Fabian 1983), l’effacement (Asad 1973), les stéréotypes (Powdermaker 1944) et le racialisme (Boas 1963). Selon Abu-Lughod, nous devrions essayer d’écrire « contre la culture », c’est-à-dire contre notre propre tendance à réduire la complexité de l’autre. Abu-Lughod n’est pas la seule (ni la première) à vouloir travailler dans ce sens, mais sa sensibilité particulière nous permet d’imaginer une discipline sans culture parce que dans son travail ethnographique nous voyons des gens qui composent constamment avec la culture[21]. Une autre observatrice de la culture et de la société égyptiennes, Unni Wikan, explique l’emprise que sa formation anthropologique a exercée sur sa rencontre avec l’autre : « As an anthropologist I am trained to think that the Balinese are a truly exotic people. But no one makes such a claim on behalf of the Cairo poor. And so I meet them as one human meets another » (1992 : 472).

Dire « adieu » à la culture (Trouillot 2002) ne veut pas dire se débarrasser d’elle, mais plutôt faire de la place pour d’autres éléments d’analyse, notamment l’histoire (Fabian 1996), l’économie politique (Farmer 1993) et l’intersubjectivité (Taylor 1998). Cet « adieu » veut dire aussi céder l’emprise scientifique que nous avons sur le mot « culture » :

It is naive to imagine that anthropologists alone can determine the wider public uses of culture, but we can contribute by decisively rejecting the totalitarian view and by clearly subordinating the concept of culture to that of sociality.

Hann 2002 : 261

Dans un esprit bakhtinien (Nielsen 2002), tout acte de création présume un public et une diffusion (réalisée ou non), et l’expérience montre que l’acte de diffusion mène à des utilisations qui échappent souvent à notre contrôle (Fox et King 2002). Au lieu de nous inquiéter de l’utilisation que les autres feront du terme, nous devrions nous assurer que nos propres utilisations tiennent compte de la transitivité de notre responsabilité, non seulement comme chercheur, mais aussi comme écrivain (Piron 1996). Lâcher prise, laisser partir la culture, c’est croire en la possibilité que nous avons réellement quelque chose à offrir au monde, et non seulement au monde scientifique [CW, images : « lettinggo »]. En même temps, c’est risquer l’échec de l’indifférence, oublier notre besoin de reconnaissance, besoin qui n’a d’ailleurs jamais été une bonne raison pour devenir anthropologue.