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À première vue, l’ouvrage présenté ici a piqué ma curiosité pour une raison centrale : les expériences de recherche et de publication originales de ses directeurs. De fait, Antonius Robben et Jeffrey Sluka n’en sont pas à leur première réflexion sur la question du terrain en anthropologie. Chacun de leur côté, les directeurs ont dirigé un ouvrage collectif sur cette thématique centrale, et tous deux abordaient alors certaines des facettes de l’ethnographie entreprise dans des contextes de conflits armés et de violence.

Cela étant, Ethnographic Fieldwork… explore de manière beaucoup plus extensive la question du terrain ethnographique. C’est par l’entremise d’un reader que les auteurs ont choisi d’en explorer de nombreuses facettes, procédé qui a l’avantage de nous faire (re) découvrir certains textes classiques tout en nous mettant en contact avec des textes plus contemporains et moins connus, mais très pertinents. L’objectif se profilant derrière cette publication semble didactique et le résultat en est très convaincant. En fait, il est aisé de penser que l’ouvrage puisse servir d’assise à un cours sur la question du terrain en anthropologie, dans la mesure où chacune des dix sections présente de nombreux enjeux, questionnements et problèmes rencontrés par les anthropologues, aussi bien lors de la planification ou de l’exécution du terrain qu’au moment d’en rendre compte par l’entremise de l’écriture. Ce livre permettra au lecteur d’explorer les réflexions classiques et contemporaines que soulève la pratique du terrain, les relations entre l’anthropologue et les participants à sa recherche, la question de l’éthique, les conflits qui peuvent survenir, les différents types d’ethnographie, les différentes manières d’écrire, etc. « […] [T]he intention is not only to highlight the central role of fieldwork in anthropology, but also to explore its wider significance to the discipline » (p. 4). En outre, cet ouvrage constitue une source féconde de références bibliographiques, car, en plus de l’incontournable bibliographie et des textes eux-mêmes, il contient cinq appendices énumérant des ouvrages clés relatifs aux méthodes qualitatives, aux expériences de terrain, aux apports réflexifs sur la pratique du terrain ainsi qu’aux écrits classiques provenant de journaux de bord d’anthropologues chevronnés.

Par ailleurs, l’originalité de cet ouvrage est à découvrir à l’intérieur des dix différentes thématiques abordées par les directeurs du fait de l’intérêt suscité par chacune des courtes introductions synthétisant la problématique abordée. Les aspects classiques sont bien sûr présentés, par exemple les débuts du terrain avec d’incontournables textes de Boas et de Malinowski ; l’approche de plus en plus employée du multi-site ; l’éthique de la pratique du terrain inaugurée par le texte d’Horowitz sur le Projet Camelot, etc. Et d’autres parties de l’ouvrage offrent l’inspiration nécessaire afin d’amorcer des réflexions sur l’expérience vécue du terrain et sur l’écriture ethnographique.

De la sorte, la deuxième partie de l’ouvrage – intitulée « Fieldwork Identity » – aborde notamment les impacts du genre et de l’appartenance ethnique de l’ethnographe. Les directeurs du volume veulent ainsi montrer que ces différentes catégories peuvent affecter la nature des données recueillies. L’épineuse question des relations sexuelles sur le terrain et de la subjectivité érotique du chercheur qui, tout comme le genre et l’appartenance ethnique, façonnent la collecte et l’interprétation des données, est aussi explorée. Les dangers du terrain font l’objet de la cinquième partie du volume. Les maladies, les attaques, la prise de position dans des contextes où la neutralité se révèle impossible, la suspicion d’espionnage ; autant d’enjeux essentiels sur lesquels les anthropologues se doivent de réfléchir et qui ont été très longtemps balayés sous le tapis. Une autre section intéressante en regard de l’expérience vécue du terrain est celle qui examine la question de la réflexivité, c’est-à-dire la mise en examen consciente de l’expérience ethnographique par l’ethnographe lui-même. Elle propose notamment des textes de Rabinow, de Clifford et de Favret-Saada.

Deux autres sections abordent quant à elles la question large de l’écriture ethnographique. Dans la section IV, les directeurs présentent des textes qui rendent compte de l’expérience d’anthropologues qui ont vu leurs écrits lus et critiqués par les sujets de l’étude. Ce talking back – pour reprendre l’expression bien à propos – a contraint les anthropologues à l’introspection de leurs écrits. En outre, la section est introduite avec un texte de 1969, rédigé par un étudiant sioux qui critique sévèrement la conduite des anthropologues et leur manque de réciprocité face aux Premières Nations. Enfin, la dernière section de l’ouvrage ne manque pas d’étonner. Elle est consacrée à la tradition, bien établie d’après les directeurs, de l’écriture de fiction entreprise par des anthropologues dont les récits sont documentés par les recherches et l’expérience de terrain de l’auteur.