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L’ouvrage collectif dirigé par Jean-Pierre Olivier de Sardan et Giorgio Blundo prolonge la réflexion stimulante sur la description engagée dans la revue Enquête (1998). Les neuf contributions abordent la question sous des angles fort différents. Quoi de commun, en effet, entre la description envisagée comme un dispositif de production des données pour les sciences sociales et la description utilisée comme outil d’administration coloniale ou pour faire la guerre? Cette diversité permet d’appréhender ce que chaque description doit au contexte politique ou scientifique qui l’a produite. Mais l’ensemble manque d’unité. Et pour l’anthropologie, les contributions présentent un intérêt inégal.
La première partie de l’ouvrage, « Décrire en sciences sociales », est la plus intéressante de ce point de vue. De Sardan poursuit sa réflexion sur le travail en acte. Partant d’une distinction entre « description au sens large » – « l’objet » décrit n’est jamais observable en tant que tel : une culture, une société, une classe sociale… – et « description au sens restreint », à laquelle il s’intéresse ici – ce qui est décrit est directement observable, « filmable » –, l’auteur s’attache à dégager quelques points de repère qui devraient permettre de produire des données. Si l’anthropologie s’attache effectivement à décrire des évènements ou des objets sociaux nettement identifiés, situés dans l’espace et dans le temps, alors le corpus ainsi constitué peut prétendre à « l’adéquation descriptive » : le souci de « véridicité » des descriptions les rend « quasi réfutables », c’est-à-dire discutables du point de vue de la pertinence anthropologique. Sans rien occulter des contraintes qui pèsent sur l’observation – la « séquentialité » qui oblige à isoler l’évènement que l’on veut décrire –, c’est tout le savoir-faire anthropologique qui est en jeu ici : contre l’arbitraire descriptif et son pendant postmoderne, Olivier de Sardan cherche une voie qui permette d’accorder toute leur valeur argumentative et probatoire aux descriptions.
Yannick Jaffré esquisse, à partir de textes classiques, un bilan des problèmes que pose la description, selon ce que l’on cherche à décrire – objet, rite, conduite ou sentiment – et la posture du chercheur : à qui la description est-elle destinée? Que le chercheur succombe à la tentation du « grand partage » ou qu’il suppose une proximité entre ce qui est décrit et ses lecteurs, et c’est la description elle-même qui s’en trouve transformée : exégèse dans un cas, elle devient explicitation de stratégies dans l’autre.
Giorgio Blundo, pour sa part, relève un défi : comment « décrire le caché », en l’occurrence la corruption? À partir d’une critique des rares travaux sur la question et de ses propres enquêtes menées au Sénégal, Blundo s’interroge sur les ressources dont dispose l’anthropologue. Parce que la corruption est cachée et condamnable, l’observation participante ne permet d’en approcher qu’une dimension anecdotique – « la petite corruption ». Les entretiens sont alors un complément indispensable. Mais loin de ne fournir que des descriptions, ils sont saturés de jugements de valeur, variables selon que l’on est corrompu ou corrupteur, victime ou extorqueur. Blundo propose de restituer des « itinéraires bureaucratiques » : en choisissant un lieu propice à la corruption (un port, par exemple), en combinant recherche documentaire, observations et entretiens avec tous les acteurs en présence, l’enquête serait à même de dévoiler « l’univers de la corruption ». L’article de Blundo présente un double intérêt : en réfléchissant à partir de matériaux empiriques, l’auteur échappe aux travers de la théorisation ; et l’objet qu’il aborde exemplifie les difficultés ordinaires de l’enquête ethnographique.
Le reste du volume est constitué d’un article excessivement théorique du sociologue américain Andrew Abbott, et pour la seconde partie, « Décrire les descriptions », d’une analyse des descriptions produites par les topographes de l’armée française au tournant du 19e siècle (Valeria Pansini), de la vaste enquête descriptive engagée par la couronne espagnole au 16e siècle dans ses colonies américaines (Alain Musset), des descriptions de la Méditerrannée dans les Géographies universelles (Daniel Nordman) et des régimes descriptifs dans la sociologie et le roman du 19e siècle (Jérôme David). Mentionnons enfin l’intéressante publication juxtaposée de notes de terrain de Michel Leiris lors de son séjour à Gondar, en Ethiopie, en 1932, et leur reprise dans son ouvrage La possession et ses aspects théâtraux chez les Ethiopiens de Gondar (Christiane Touati). Le travail de sélection opéré par Leiris devrait convaincre que la question de la description est au coeur du projet anthropologique.
Parties annexes
Référence
- Enquête, 1998, « La description I », n° 6.