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La parole des enfants n’est pas toujours entendue.

Ce livre mène une réflexion méthodologique pertinente en portant un regard spécialement attentif au point de vue des enfants et des jeunes. Dans une démarche socio-anthropologique de l’enfance et la jeunesse, il présente la construction de ces âges de la vie en objet d’étude scientifique. Alors que de nombreux manuels francophones en sciences sociales sont publiés, peu de travaux en France portent sur les précautions nécessaires à prendre dans l’adaptation des modalités habituelles de l’enquête. Cet ouvrage est donc original dans sa démarche. Son approche a pour objectif d’aider les chercheurs étudiant les enfants ou la parole des enfants.

La première partie vise à accompagner le lecteur dans la construction-reconstruction de cet objet d’étude. Quelques repères épistémologiques remettent en question les acceptions usuelles des termes « enfance », « jeunesse ». Ils les définissent en s’appuyant sur des propos de chercheurs dont ceux de James et Prout (1990) qui, loin d’y voir des individus en devenir, les considèrent comme des « êtres actuels ». De fait, les auteurs mettent en garde sur « la fausse évidence de l’enfance conçue comme réalité naturelle » et sur la nécessaire inscription de l’objet d’étude dans son contexte social et dans une perspective historique. Les auteurs interrogent aussi une autre évidence : « l’illusion de l’homogénéité de l’enfance » pour une meilleure construction problématique de l’objet de recherche.

Cette démarche saine est scientifique. Elle respecte l’enfant et sa parole. Elle propose de jeter un regard nouveau sur la population enfantine en revisitant des objets d’étude bien connus des chercheurs, tels que « la famille », « l’école » et en s’attachant à les construire non à partir des préoccupations des adultes mais à partir de celles des enfants eux-mêmes.

C’est ainsi qu’en se basant sur les activités sociales, telles que le jeu, le loisir, les vacances, les ludothèques, la télévision, les travaux réunis traitent de l’enfant dans sa famille et dans différents espaces de vie. Les recherches sur lesquelles se fonde cet ouvrage relèvent essentiellement de la sociologie et de l’ethnologie francophones. Quelques études se situent dans des pays en voie de développement ou dans des sociétés traditionnelles.

Les questions et les propositions méthodologiques constituent la seconde partie de l’ouvrage. Elles permettent d’évoquer à la fois les aspects théoriques tenant au statut de l’objet de recherche « enfant », et les aspects plus pratiques des moyens les plus efficaces pour pénétrer leur vision du monde. Tout en s’appuyant encore sur leurs expériences de recherche et sur l’analyse de diverses études, les auteurs n’écartent pas les difficultés méthodologiques rencontrées. Ils proposent, sans prétention, des dispositifs pour tenter de les résoudre en étant bien « conscients que l’activité de recherche en sciences humaines relève d’un bricolage plus ou moins contrôlé ». En voulant saisir le point de vue des enfants et des jeunes, les auteurs ont été amenés à les rencontrer directement, à les observer, à les interroger, selon des modalités peu balisées par les manuels habituels de sciences humaines et sociales. Cet ouvrage nous montre que le chercheur doit créer un rapport adulte-enfant inédit qui atténue la différence de statut pour générer une relation de confiance. L’enquêteur n’est ni parent, ni enseignant, et l’enfant doit devenir informateur, porteur d’une vision qui lui est propre et l’exprimer librement ; les conditions d’enquête doivent générer une forme de complicité avec le chercheur.

Voici donc un ouvrage bien documenté et novateur. Il est à conseiller à tous les méthodologues des sciences sociales travaillant sur l’analyse du discours des enfants. Il s’adresse aux plus anciens en actualisant leur réflexion sur la problématique de la parole de l’enfant ainsi qu’aux débutants désireux de conduire des recherches où le statut et la place de la parole de l’enfant doivent être revisités afin de coller au mieux avec la réalité sociale d’aujourd’hui.