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Il fut un temps où études et langues classiques, loin d’être l’apanage d’érudits philologues et autres spécialistes, étaient à la base du cursus pédagogique occidental. Ce naguère, pourtant, nous venons juste d’en sortir. Inutile ici de vanter la brillance et l’absolue nécessité de comprendre cette culture grecque antique dont nous sommes toujours inconsciemment les fruits, disons tout simplement que, faute d’un enseignement scolaire, le livre de John Hazel, Who’s Who in the Greek World, tombe à point. Ouvrage de référence, facile d’accès et détaillé, il est principalement composé d’un lexique alphabétique des principaux acteurs de la culture grecque, artistes, philosophes, scientifiques, voyageurs, rhéteurs, hommes politiques, tandis que le monde tout aussi proliférant des acteurs divins est traité dans un autre titre de la collection, Who’s Who in Classical Mythology (Hazel et Grant 2002[1]). À la question « comment s’orienter dans ce monde perdu, perdurant? », le livre de Hazel répond en offrant une courte biographie et un résumé de l’oeuvre ou de l’action de la personnalité décrite, ce qu’on portait à son crédit dans l’Antiquité ainsi que son influence pour la culture occidentale postérieure. L’orientation dans ce monde touffu est aussi facilitée par des cartes géographiques, une chronologie historique du monde grec et hellénique de 776 à 101 av J.-C., une liste chronologique des principaux dirigeants grecs, perses et hellènes, ainsi qu’un lexique où sont décrits de nombreux termes, notions aujourd’hui opaques, comme le dème, division politico-administrative qui servait de nom de famille à Athènes, ou notions susceptibles de contresens comme tyran, qui, à l’époque, désignait tout dirigeant non démocratique sans cette connotation péjorative prise par le terme aujourd’hui. Enfin, à la fin de la plupart des rubriques biographiques sont suggérés des livres de référence pour les recherches ultérieures.

L’atout de cet ouvrage est de condenser des informations qu’on trouvait éparses dans des éditions critiques de livres antiques (éditions modernes de Platon, d’Euripide, par exemple), dans des livres spécialisés, dans des encyclopédies et dans des biographies antiques (Suidas, Diogène, Laërce). Il a aussi l’avantage de bénéficier des nouvelles thèses et progrès effectués par la recherche antique depuis quelques années. On sait la difficulté de vérifier l’exactitude de sources et de documents dans un champ d’étude constitué de lambeaux, de ouï-dires, de légendes, de copies de copies, etc. Mais à la traditionnelle philologie, qui elle-même a fort changé depuis quelques années, sont venues s’ajouter des disciplines telles que l’archéologie et l’ethno-linguistique, insufflant un vent nouveau sur des questions sans cesse débattues, d’où l’importance d’un ouvrage de référence mis à jour. Prenons pour exemple le cas d’Homère, dont la paternité de l’Iliade et de l’Odyssée a été contestée dès l’Antiquité par des chercheurs alexandrins (appelés « chorizontes », diviseurs, parce qu’ils attribuaient l’écriture des ouvrages à plusieurs auteurs) relayés par les chercheurs modernes qui, depuis le dix-neuvième siècle, ont l’habitude de considérer ces deux chefs-d’oeuvre comme une collection de diverses compositions dues à plusieurs bardes à différentes époques. Mais depuis peu, le vent a tourné. En effet, l’analyse stylistique soulignant la singularité de la composition, la prise en compte de l’unité et de la constance des références sociologiques, politiques, économiques et techniques étayées par de toutes récentes découvertes archéologiques tendent aujourd’hui à confirmer la thèse d’un auteur unique.

Ouvrage accessible aux néophytes et profitable aux spécialistes, on peut néanmoins déplorer ne trouver aucun mot grec dans ce Who’s Who in the Greek World. Tous les noms d’auteurs et les notions sont simplement en anglais, ce qui pour des chercheurs de langues étrangères est un inconvénient de taille. En effet, tout chercheur dans ce domaine maîtrise habituellement l’anglais, le français et l’allemand, mais ne connaît pas nécessairement les équivalents des noms d’auteurs et de certaines notions bien précises dans toutes ces langues. C’est pourquoi, d’ordinaire, dans les études spécialisées, l’équivalent grec (dans sa graphie originale ou en caractère latin) de telle ou telle notion spécifique est placé entre parenthèse. Dans le même ordre d’idée, on aurait pu espérer – vain espoir pour celui qui connaît l’autarcie du monde de la recherche anglo-saxonne! –, que les références invitant à poursuivre la lecture citée à la fin des notices biographiques prennent en compte le monde de la recherche antique dans son ensemble au lieu de se cantonner au strict domaine anglo-américain.

Malgré tout, le travail de John Hazel reste passionnant et invite à la découverte, l’esprit du lecteur à la recherche d’un point bien précis se laissant happer par une notice voisine, et ainsi de suite, découvrant ici, dans ce lexique, des personnalités hors du commun.