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Daniel Miller (dir), Materiality. Durham, Duke University Press, 2006, bibliogr., index.[Notice]

  • David Sutton

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  • David Sutton
    Department of Anthropology
    Southern Illinois University
    Carbondale IL 62901
    États-Unis

On se heurte au titre percutant de cet ouvrage comme à un objet dur. Aïe! On pourrait même penser que le titre a eu une agence (agency) mais laquelle? L’agence dérobée d’un sujet absent, selon l’expression d’Alfred Gell, ou celle d’un réseau d’éditeurs, d’ordinateurs, d’anthropologues, de personnel de soutien et autres humains et non-humains, comme le dirait Bruno Latour? Ces questions ne sont pas hors propos dans ce livre, puisque les auteurs, tous anthropologues, présentent des approches récentes de la matérialité, et s’engagent principalement, bien que non exclusivement, à travers la grille de ces deux théoriciens. Mais qu’est ce que la matérialité? Non pas celle – Daniel Miller prend la peine de le préciser dans son introduction – des simples choses, substances, objets façonnés, comme pourrait le suggérer un matérialisme vulgaire. Il inclut des images, des rêves, des logiciels, etc. L’introduction détaillée de Miller, qui vaut le détour en elle-même, plaide pour une théorie de la matérialité tirée de Hegel et de Marx, qui entendent dépasser la distinction entre sujet et objet en la remplaçant par une dialectique « d’objectification » par laquelle nous créons les « choses » qui nous créent en retour. « Tout ce qui a lieu dans l’objectification est un processus temporel dans lequel l’acte de créer la forme crée la conscience […] et transforme de ce fait la forme et la conscience de soi de celui qui a la conscience […] » (p. 9). Ainsi, plutôt que de voir la culture matérielle comme une projection des relations symboliques ou sociales (comme dans l’anthropologie symbolique ou dans celle de Durkheim), Miller postule que nous voyons les humains et l’environnement comme se constituant mutuellement. Heureusement, après la présentation de cet argument, Miller précise qu’en tant qu’anthropologues, nous vivons dans un monde dans lequel les sujets ethnographiques se pensent comme des « sujets » utilisant des objets. Ainsi pendant que nous gardons à l’esprit la tentation d’appréhender les choses par l’illusion du sujet et de l’objet, Miller propose d’examiner ethnographiquement des projets de la matérialité et de l’immatérialité. L’« immatérialité » est ici le traitement du monde des choses et notre perception sensorielle de ces choses, c’est-à-dire une illusion cachant une plus grande vérité, qu’elle soit religieuse ou autre. Ironiquement, l’impossibilité de dépasser le matériel – débarrassez vous des objets et vous vous débarrasserez des sujets – se heurte au fait que l’« idée » de l’immatérialité doit toujours s’exprimer elle-même par des formes matérielles et des perceptions sensorielles. Les protestants, par exemple, peuvent rejeter plusieurs des pièges de l’Église, mais cela les amène à donner au « bon livre » le statut d’un fétiche. Les chapitres de ce volume explorent de tels projets à partir de différentes perspectives unies par un intérêt commun pour le travail de Gell et de Latour. Bien qu’ils ne s’engagent pas spécifiquement dans une anthropologie des sens, ces auteurs sont pertinents pour un tel projet dans la mesure où ils mettent l’accent sur les propriétés sensuelles et matérielles des « objets ». Les thèmes traités s’étendent des pyramides et momies égyptiennes (Lynn Meskell) aux pratiques de guérison de l’Afrique chrétienne (Matthew Engelke), aux dérives financières (Hirokazu Miyazaki), aux « vêtements intelligents » (Suzanne Küchler), en passant par les archives photographiques (Christopher Pinney) et des écrans de divers sortes, incluant l’ordinateur (Nigel Thrift). Certains sont explicitement ethnographiques, alors que d’autres essayent d’ajouter à la critique de Miller quant à la réduction des objets matériels à des contenants de symboles ou de relations sociales. Certains de ces chapitres ne sont pas de lecture facile si vous n’avez pas déjà une bonne compréhension …