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L’objectif de ce texte est d’examiner les fondements des politiques publiques en matière de pluralisme ethnoculturel des cinq plus grandes municipalités québécoises. Notre intention n’est pas de faire la nomenclature de ces politiques, mais plutôt de comprendre l’interaction entre ces différentes composantes, de montrer les (dés)équilibres entre ces dernières et de faire un certain nombre de constats quant à la compréhension que les acteurs publics ont des politiques qui relèvent de cette problématique. L’approche privilégiée combine donc une brève réflexion normative portant sur le concept d’interculturalisme et la manière dont celui-ci a alimenté les politiques publiques à l’échelle de l’État provincial et d’un certain nombre de municipalités.

L’angle choisi dans ce texte est celui de la macro analyse des politiques publiques. Il s’agit d’appréhender comment les autorités publiques, à la fois à l’échelle provinciale et municipale, conçoivent leurs interventions dans le domaine de la diversité. L’interculturalisme, vu comme un ensemble de politiques, se distingue donc de la dynamique interculturelle, vue dans sa dimension sociologique ou anthropologique, qui renvoie plutôt aux interactions sociales, à la cohabitation dans un espace donné (celui des villes), aux tensions sociales liées au pluralisme, à la construction de la représentation de l’altérité, aux processus sociétaux favorisant l’inclusion (ou l’exclusion), aux mobilisations induites par ces rapports, à la qualité et à la fréquence des interactions et aux conditions favorisant les rapprochements. L’approche proposée cherche à jeter un regard en surplomb à partir des modes d’organisation et de gouvernance mis en place par les institutions elles-mêmes et de dégager la signification qu’elles donnent, de manière souvent implicite, à l’interculturalisme.

Ce regard me semble important pour qui veut, ultérieurement, s’inscrire dans l’approche de l’anthropologie des institutions. Comme le rappelle Marc Abélès,

La tâche de l’anthropologue consiste précisément à déconstruire ce qui se donne comme une institution, autonome dans ses finalités, maîtrisant ses instruments techniques et intellectuels en sécrétant sa culture.

Abélès 1995 : 76

Or, la matérialité des institutions – et partant des choix et des instruments en fonction d’un ordre particulier – s’inscrit dans une conception particulière des fins souhaitées par l’action publique. C’est cette question qui retient ici notre attention. Cette démarche est essentielle pour l’anthropologie qui veut accéder au terrain pour appréhender ce qui se produit au sein des institutions dans leur quotidienneté à la lumière de leurs constructions symboliques et de leurs représentations (Herzfeld 1992 ; Shore et Wright 1997).

Ce texte se divise en deux sections. La première s’interroge sur les dimensions constitutives de l’interculturalisme et leur transcription dans un ensemble de politiques publiques. Nous montrerons qu’il est possible de distinguer les trois volets complémentaires qui composent ce modèle : volet instrumental, volet humaniste, et un dernier qui met l’accent sur les dimensions propres à la citoyenneté (cohésion sociale, appartenance, loyauté et participation). La seconde partie présente un bref bilan des politiques québécoises en matière d’interculturalisme ainsi que les politiques publiques développées dans les cinq plus grandes municipalités du Québec, ventilées en fonction des trois composantes susnommées.

Comprendre les dimensions constitutives de l’interculturalisme[2]

D’entrée de jeu, disons qu’il n’existe pas de définition explicite du modèle de gestion des rapports interculturels et de lutte contre le racisme et la discrimination au Québec (Rocher et al. 2007 ; Bouchard et Taylor 2008 : 99). L’État québécois n’a jamais officiellement adopté un modèle qualifié d’interculturel équivalent à la politique canadienne du multiculturalisme, ce qui ne veut pas dire que plusieurs de ces éléments constitutifs n’ont pas été mis en place au cours des dernières années (Rocher et White 2014). Néanmoins, cette absence ne l’a pas empêché de soutenir récemment qu’il adhère au modèle de l’interculturalisme[3]. En effet, l’État québécois, tout comme l’État canadien avant lui, a explicitement adhéré à un modèle qui reconnaît et valorise le pluralisme ethnoculturel, cherche à diminuer les tensions sociales qui pourraient en découler, et vise à favoriser la participation et renforcer la loyauté, voire même l’identité, des citoyens à l’endroit de la communauté politique. Il importe surtout de mentionner que nous avons assisté, tant au Canada qu’au Québec, à

[D]e véritables efforts de conceptualisation de l’intervention des villes dans la gestion de la diversité ethnoculturelle. Ces efforts s’appuient sur les idéologies étatiques et sur la promotion de valeurs d’égalité, de justice sociale, de respect du pluralisme.

Icart et al. 2005 : 4[4]

Dans le contexte québécois, marqué notamment par la présence d’une identité nationale minoritaire articulée autour d’une culture de tradition française, les décideurs publics, tout comme les observateurs et analystes des politiques publiques en matière de pluralisme ethnoculturel, ont insisté sur le caractère central de la présence et de la valorisation d’une culture publique commune à laquelle toutes les composantes de la société sont appelées à adhérer, tout en reconnaissant le caractère poreux et changeant de cette culture. La gestion de la diversité ethnoculturelle et la lutte contre le racisme et la discrimination visent donc non seulement à favoriser l’intégration et la pleine participation de tous les citoyens, peu importe leur origine, mais imposent aussi un cadre à travers lequel cette dynamique se déploie. Au cours des vingt dernières années, ce cadre s’est constitué des six éléments suivant : 1) le français comme langue commune ; 2) les institutions politiques démocratiques ; 3) un ensemble commun de valeurs et de normes juridiques ; 4) une connaissance raisonnable de l’histoire ; 5) le régime économique de type libéral ; 6) des comportements renvoyant à une certaine civilité dans les rapports interpersonnels et avec les institutions (Gouv. du Québec 1993 : 3)[5]. La culture publique commune interpelle donc les Québécois de toutes les origines.

Nombre d’études ont cherché à appréhender les politiques publiques en matière de diversité ethnoculturelle au Canada et au Québec[6]. Elles mettent souvent l’accent aussi bien sur les politiques d’immigration que sur la problématique du multi- ou de l’interculturalisme. Elles portent sur les conditions plus générales du « vivre ensemble », de l’intégration, de la participation et de la reconnaissance mutuelle. D’autres travaux ont essayé de montrer les similarités et les différences entre les approches canadienne et québécoise, parfois en insistant sur la supériorité morale de l’une par rapport à l’autre[7].

Plusieurs typologies plutôt générales pour analyser ces politiques publiques ont été proposées, distinguant entre régimes inclusifs et exclusifs (Sainsbury 2006), relevant les divergences et les convergences sur différents enjeux touchant l’intégration et la lutte contre la discrimination raciale (Bannerji 1996 ; Mahning et Wimmer 2000), sur les fonctions essentielles remplies par les villes (Icart et al. 2005 ; Good 2009 ; Tolley et Young 2011 ; Fourot 2013, 2015a), ou sur les intersections entre les différents types de relations hôte-étranger (transitoire, travailleur temporaire, assimilationniste, pluraliste) et les politiques publiques (Alexander 2003 ; Wood 2010). En dépit des différences de points de vue et d’approches, les auteurs s’entendent généralement sur le fait que les politiques canadienne (multiculturalisme) et québécoise (interculturalisme) s’inscrivent dans des politiques publiques de type pluraliste. Comme le rappelle Alexander,

L’objectif de la politique pluraliste (y compris les politiques « multicul-turelles » et « interculturelles ») est d’intégrer les migrants sans empiéter sur leur altérité. En effet, les qualités uniques du migrant (par exemple, solidarité communautaire, initiative commerciale) devraient être mises à profit dans le processus d’intégration. Les politiques vont de la prise en compte de besoins culturels spécifiques (par exemple des pratiques religieuses) à l’autonomisation proactive des communautés minoritaires (par exemple en soutenant des organisations ethniques).

Alexander 2003 : 420, traduction libre

Ces politiques sont présentes dans l’espace politicosocial québécois, que ce soit à l’échelle de l’État provincial ou des municipalités.

La majorité des recherches sur les politiques publiques en matière d’intégration se penchent sur le rôle des gouvernements nationaux (Glick-Schiller et Çaglar 2008 ; Fourot 2015a). Cependant, un nombre croissant d’études récentes insistent sur l’importance de prendre en considération les politiques et les pratiques à l’échelle municipale[8]. La principale particularité de cette échelle de gouvernement relève de la capacité de répondre à des enjeux à la fois globaux et locaux et, à cet égard, elle dispose d’une certaine marge d’autonomie par rapport aux initiatives du gouvernement provincial et peut faire preuve d’innovation pour répondre aux besoins locaux (Fourot 2013, 2015a, 2015b ; Rocher et White 2014). L’importance des gouvernements municipaux s’explique en partie par le facteur de proximité, ce qui signifie que les gouvernements locaux sont en mesure de répondre aux problèmes locaux plus rapidement et plus efficacement que les autres ordres de gouvernement (Penninx et al. 2004). Mais il existe d’autres facteurs qui doivent également être pris en considération, notamment la mobilisation des groupes qui oeuvrent à l’intégration ou à la défense des droits des populations racisées.

Compte tenu de leur accent traditionnel sur les États, les études sur les politiques publiques et les migrations ont souvent supposé que les paradigmes politiques sont développés au niveau national et que les gouvernements municipaux appliquent simplement des idées et principes venant d’en haut (Good 2009 ; Schiller 2015). Toutefois, on constate que les gouvernements des villes ont pu organiser des programmes et des politiques qui facilitent l’émergence d’une approche intégrée et multisectorielle de l’action interculturelle ou d’un cadre de politique interculturelle (parfois qualifiée de « gestion de la diversité » ou de « politiques d’intégration »). Malheureusement, nous avons encore une connaissance limitée des principes sous-jacents à ces cadres et des processus impliqués dans leur mise en oeuvre. Ces études présentent les initiatives de différentes municipalités, les ressources déployées ainsi que les intentions des acteurs sans toutefois les analyser en fonction d’un cadre permettant de distinguer entre les différentes composantes des politiques de gestion de la diversité. En d’autres termes, on y fait la nomenclature des dynamiques institutionnelles, des programmes et des actions entreprises, mais la mise en forme des principes qui les alimentent demeure implicite (voir, par exemple, Chiasson et Koji 2011 ; Fourot 2013). C’est ce que notre contribution cherche à mettre en lumière.

Le politologue Daniel Salée distingue pour sa part trois différents modes d’appréhension de l’interculturalisme, trois écoles de pensée qu’il qualifie tour à tour d’instrumentale, d’humaniste et d’étatique (Salée 2010). Selon lui, il s’agit de trois facettes complémentaires de la vision actuellement proposée de l’interculturalisme comme modèle d’aménagement de la diversité ethnoculturelle au sein des démocraties libérales. S’inscrivant dans une perspective critique, il prend ses distances à l’endroit de l’interculturalisme, et par extension des politiques publiques de gestion de la diversité, dans la mesure où celles-ci ne feraient que s’inscrire dans des dynamiques de domination et de pouvoir au profit de l’hégémonie culturelle de la population de descendance européenne.

Si la contribution de Salée permet d’identifier les apories normatives du modèle pluraliste portant sur la diversité ethnoculturelle, c’est moins cet aspect qui retient ici notre attention que les catégories analytiques qu’il suggère. En effet, les trois approches proposées nous semblent utiles pour départager les différentes politiques publiques en matière d’interculturalisme. En d’autres mots, nous nous réapproprions, bien qu’en des termes différents et nettement plus empiriques, les catégories proposées par Salée dans le but d’analyser les initiatives mises de l’avant par les administrations publiques. Bien qu’elles se distinguent les unes des autres et que les frontières soient poreuses, ces catégories doivent être appréhendées de manière complémentaire. C’est pourquoi nous parlerons de dimensions plutôt que d’approches.

La dimension instrumentale est marquée par un rapport assumé à l’altérité : elle cherche à provoquer les occasions de rencontre et à accommoder les différences sur la base de la prémisse selon laquelle toute forme d’échange interculturel engendre ouverture d’esprit et rapprochements intercommunautaires. Néanmoins, c’est le « client » qui est au centre de cette dimension. Du point de vue de la représentation sociale, la diversité, l’hybridité, la mixité culturelle sont sources d’enrichissement à la fois collectif et individuel. La dimension instrumentale s’inscrit dans la dynamique des bouleversements démographiques et des mouvements de population induits par le processus de mondialisation économique. Cette dimension reconnaît d’emblée les inégalités et les rapports de pouvoir : l’occasion, l’espace de rencontre ne sont pas suffisants ; il faut aussi que les participants y aient accès et qu’ils soient suffisamment outillés pour éviter d’assister à la rencontre en tant que simple spectateur ou objet folklorique. Ainsi, du point de vue des politiques publiques, les initiatives mettent l’accent sur les considérations suivantes :

  1. Répondre aux besoins du marché du travail en privilégiant les notions d’adaptabilité et d’employabilité ;

  2. Favoriser l’insertion en emploi, notamment pour éviter une déqualifi-cation des individus qui se traduirait par une perte de compétence et, plus encore, par une mauvaise utilisation des ressources humaines disponibles – il faut donc éviter ce « gaspillage » et cette utilisation « inefficiente » des ressources humaines ;

  3. Assurer la maîtrise de la langue officielle en fonction des impératifs liés à la dynamique d’insertion au marché du travail ;

  4. Adapter les institutions de socialisation et les programmes aux besoins issus de l’hybridation de la clientèle ;

  5. Conclure des ententes de partenariat avec des groupes communautaires afin que ceux-ci contribuent, à leur échelle, à l’intégration économique et sociale.

En bout de piste, la dimension instrumentale appréhende l’individu comme un client et cherche à l’insérer de manière fonctionnelle au marché du travail ou à lui fournir les outils lui permettant de s’adapter à l’environnement institutionnel garant de sa socialisation.

La dimension humaniste cherche à faire en sorte que la rencontre se fasse dans un esprit d’ouverture, de reconnaissance et de respect de la diversité. C’est donc la « personne » qui est au centre de cette dimension. Pour reprendre les termes de Salée, la personne vise à :

[V]ivre en harmonie dans une société pluraliste, à communiquer sans préjugé dans un contexte multiethnique et multiculturel, à s’ouvrir à la différence (sans pour autant nier sa propre identité culturelle) et à embrasser sans réserve le caractère pluriel de la société.

Salée 2010 : 153-154>

L’ouverture cherche à valoriser la diversité afin de minimiser la portée des conflits que cette dernière peut créer. Ainsi, le foyer principal d’attention est la personne et il faut intervenir de manière à sensibiliser et à modifier la manière d’appréhender la diversité ethnoculturelle du milieu. Du point de vue des politiques publiques, on privilégie de :

  1. Mettre en place des mécanismes permettant de contrer le racisme et toutes les formes de discrimination ;

  2. Reconnaître la centralité de la normativité juridique associée aux droits de la personne ;

  3. Favoriser la compréhension et la (re)connaissance mutuelle, la rencontre des cultures, le dialogue par l’accroissement des occasions d’interaction entre tous les citoyens par-delà leur origine ethnoculturelle ;

  4. Former les employés de l’État (des gestionnaires aux intervenants de première ligne) à la diversité ;

  5. Financer les associations de la société civile en fonction des activités favorisant le rapprochement interculturel.

La dimension citoyenne cherche à poser les conditions de la rencontre, à fixer le cadre commun à l’intérieur duquel l’hôte pourra recevoir l’étranger. L’objectif avoué est celui du maintien d’une certaine cohésion sociale où l’intégration se présente comme un rempart contre la fragmentation sociale et la balkanisation des appartenances. Cette préoccupation est partagée par toutes les démocraties libérales. Il s’agit donc de prendre ses distances avec les approches qualifiées de « communautaristes » ou « multiculturalistes » auxquelles on reproche de préconiser la reconnaissance politique de systèmes de valeurs différents (celui des minorités), de favoriser l’opposition entre majorité et minorités, de maintenir la ségrégation des communautés, l’incompréhension mutuelle et de contribuer à l’affaiblissement des droits des individus, et plus particulièrement des femmes. À l’opposé, un discours privilégiant l’identification de points de convergence doit être promu. La diversité ethnoculturelle cherche à réduire les tensions par l’intégration et l’incorporation citoyenne. Ainsi, du point de vue des politiques publiques, l’insistance est mise sur :

  1. Identifier les « valeurs communes et universelles », à vocation civique ;

  2. Mettre sur pied des politiques publiques favorisant l’identification à la communauté politique, sinon sociétale ;

  3. Renforcer la culture démocratique de participation et de respect de la règle de la primauté du droit ;

  4. Promouvoir une langue publique commune, vue ici comme une condition essentielle au rapprochement et au dialogue ;

  5. Améliorer la représentation des individus issus des minorités ethnoculturelles et religieuses au sein des institutions publiques et politiques.

Si la dimension citoyenne interpelle tout autant la « majorité » que les « minorités », il n’en demeure pas moins que les attentes exprimées et les efforts devant être faits pour une intégration harmonieuse sont plus élevés de la part des minorités.

En somme, ces trois dimensions ne sont pas exclusives et certaines politiques publiques peuvent s’inscrire dans plus d’une. Il existe donc des zones qui se superposent et s’interpénètrent. Il importe surtout de rappeler qu’elles doivent être considérées dans leur complémentarité. En effet, si l’accent n’est mis, par exemple, que sur le premier élément, l’inclusion et la reconnaissance de l’altérité demeurent incomplètes en raison de l’absence de politiques visant à lutter contre les manifestations de discrimination ou celles cherchant à favoriser le rapprochement intercommunautaire. De la même manière, l’insistance sur la seule dimension citoyenne serait en porte-à-faux par rapport à la valorisation du pluralisme, puisque ne seraient favorisées que des politiques s’inscrivant dans une vision assimilationniste inspirée par le besoin de renforcer la cohésion sociale. En d’autres termes, du point de vue normatif, un déséquilibre marqué entre ces trois dimensions remettrait en question l’adhésion au modèle interculturel.

La prochaine section propose une cartographie portant sur la manière dont l’État du Québec et les cinq plus importantes municipalités du Québec en termes de population ont développé des politiques en matière de gestion de la diversité ethnoculturelle.

Les pratiques et les politiques publiques

Au Canada, l’immigration est un domaine de compétences partagées entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. L’accord Canada-Québec en matière d’immigration signé en 1991 encadre les responsabilités des deux gouvernements.

Le présent Accord traite de la sélection des personnes qui souhaitent s’établir au Québec à titre permanent ou temporaire, de leur admission au Canada, de leur intégration à la société québécoise et de la détermination des niveaux d’immigration à destination du Québec.

Gouv. du Canada 1991 n.p.

C’est donc au Québec que revient la responsabilité de l’intégration sociale et économique des nouveaux arrivants. À cet égard, l’État québécois a développé un ensemble de politiques et de programmes en matière non seulement d’immigration, mais aussi d’intégration. Les municipalités doivent s’inscrire dans un cadre préalablement prédéfini par les autorités gouvernementales responsables de la gestion de l’intégration même si elles disposent d’une certaine marge d’autonomie pour développer des approches singulières répondant à leurs réalités spécifiques.

Les politiques québécoises en matière de diversité

À l’échelle de l’État québécois, de nombreux programmes ont été mis sur pied pour prendre en compte ce pluralisme, que ce soit en matière d’éducation[9], de santé[10], d’appui aux organisations de la société civile[11], d’accompagnement des immigrants[12], d’aide aux employeurs, etc.

Les politiques gouvernementales évoluent évidemment au fil du temps et montrent que les priorités peuvent aussi se déplacer. Dans la foulée de la publication du rapport Bouchard-Taylor en 2008, le gouvernement a rendu publique sa politique dans un document intitulé La diversité : une valeur ajoutée (Gouv. du Québec 2008 ; voir aussi Rouzier et Petit 2010). Trois orientations stratégiques étaient identifiées : 1) reconnaître et contrer les préjugés et la discrimination par l’éducation et le rapprochement interculturel ; 2) renouveler les pratiques susceptibles d’améliorer l’efficacité de l’organisation (par la formation, le transfert d’expertise et la concertation afin d’assurer des services publics culturellement sensibles et exempts de discrimination au sein des ministères et organismes gouvernementaux, des organismes des réseaux de l’éducation, de la santé et des services sociaux, de même que des municipalités) et favoriser le respect et l’exercice des droits inscrits dans la Charte des droits de la personne ; 3) coordonner les efforts en impliquant les organisations de la société civile. Les trois dimensions constitutives du modèle interculturel sont prises en considération. Tous les citoyens sont interpellés pour atteindre l’objectif d’offrir une chance égale à tous dans la réalisation de leurs aspirations. Le terme de cohésion n’est jamais évoqué. Toutefois, la nécessité de faire connaître le cadre sociétal québécois est présente. Le document rappelle l’importance de « développer chez les personnes immigrantes la connaissance et la compréhension de la société québécoise, notamment son histoire, ses valeurs et ses institutions démocratiques » (Gouv. du Québec 2008 : 8), et plus particulièrement le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Les municipalités étaient directement invitées à participer à la politique gouvernementale. Le gouvernement du Québec les encourageait à en adopter des politiques de gestion de la diversité « tant pour créer un milieu de travail inclusif et exempt de discrimination que pour adapter les services aux besoins d’une clientèle diversifiée » (ibid. : 25), à faire des efforts pour accroître la représentation des Québécois des communautés culturelles au sein de leurs administrations publiques, à définir le rapprochement interculturel comme un élément pertinent de leur politique familiale, à faire la promotion de la participation à la vie démocratique municipale, en signant des ententes de régionalisation de l’immigration. On le voit, les grandes orientations furent élaborées par le gouvernement du Québec, les municipalités étant, quant à elles, invitées à ajouter leur pierre à l’édifice de la gestion de la diversité.

Le dernier plan stratégique actualisé, déposé à l’Assemblée nationale en décembre 2013, identifie quatre enjeux et six orientations générales de l’État à l’égard de la diversité (Gouv. du Québec 2013a). Le plan souscrit au modèle interculturel, vu encore exclusivement sous l’angle du rapprochement. Deux de ces enjeux s’inscrivent dans la dimension instrumentale. Le premier enjeu renvoie aux priorités en matière d’immigration. On insiste particulièrement sur ses retombées économiques et le processus de sélection doit :

[A]dopter des activités de promotion ciblées vers les personnes ayant le profil recherché, en vue d’admettre au Québec en priorité celles qui sont jeunes et scolarisées, qui maîtrisent le français et dont les compétences correspondent aux attentes du marché du travail.

Gouv. du Québec 2013a : 11

Un autre objectif s’adresse davantage à l’efficience organisationnelle. Deux enjeux s’inscrivent plus clairement dans les dimensions humaniste ou citoyenne. Un enjeu porte sur la contribution de l’immigration à la vitalité du français, et chevauche les trois dimensions : la maîtrise du français facilite l’insertion en emploi, mais favorise aussi la participation à la vie collective et fortifie à la fois le sentiment d’appartenance et l’attachement au Québec. L’autre enjeu fait explicitement référence au modèle interculturel et vise la pleine participation au développement du Québec en tenant compte aussi bien des impératifs instrumentistes (accroître la régionalisation de l’immigration), humanistes (lutter contre les préjugés et la discrimination, amener les acteurs socioéconomiques à considérer la diversité ethnoculturelle comme un facteur stratégique de développement vitalité) que citoyens (mesurer la participation aux différentes sphères de la vie collective).

Les politiques des cinq grandes municipalités québécoises

Dans le but de permettre une certaine régionalisation de l’immigration, le ministère de l’Immigration, de la diversité et de l’inclusion (MIDI) – qui portait le nom de ministère de l’Immigration et des communautés culturelles (MICC) jusqu’en avril 2014 – travaille de concert avec les municipalités afin de susciter leur engagement à inclure l’immigration ainsi que les questions de relations interculturelles au sein de leurs stratégies de développement. Depuis 2004, cette collaboration entre le ministère et les municipalités a donné lieu à l’élaboration de plusieurs plans régionaux et d’ententes avec les conférences régionales des élus (CRÉ) (Germain et Trinh 2010). De plus, entre 2005 et 2007, le MICC a conclu des ententes avec six municipalités (Montréal, Québec, Sherbrooke, Shawinigan, Laval et Gatineau) visant à mettre en oeuvre les mécanismes nécessaires permettant l’intégration des immigrants (ibid.)[13]. Or, bien que ces ententes soient en place et que le MICC/MIDI travaille conjointement avec les divers acteurs au niveau régional afin d’inciter ceux-ci à s’engager en matière d’intégration des nouveaux arrivants, la notion d’interculturalisme n’est pas abordée de la même façon dans l’ensemble des municipalités du Québec, notamment au sein des cinq plus grandes agglomérations de la province que sont Montréal, Québec, Laval, Gatineau et Longueuil. Elles représentent 38,2 % de la population du Québec (figure 1). Les régions où sont situées ces municipalités, et plus particulièrement la grande région métropolitaine de Montréal qui comprend trois des cinq villes retenues, totalisaient 75,2 % des immigrants venus s’installer au Québec (figure 2).

Figure 1

Population du Québec et des cinq plus grandes municipalités (2016)[14]

Population du Québec et des cinq plus grandes municipalités (2016)14

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Figure 2

Population immigrante admise au Québec de 2002 à 2011 et présente en 2013 selon la région de résidence (Québec 2013b : 31)

Population immigrante admise au Québec de 2002 à 2011 et présente en 2013 selon la région de résidence (Québec 2013b : 31)

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Considérations méthodologiques liminaires

Le choix de ces cinq municipalités s’explique non seulement par leur taille, mais aussi par le fait que quatre d’entre elles comptent plus de 100 000 habitants et plus de 10 % d’immigrants (Montréal, Gatineau, Laval, Longueuil). Ces villes accueillent la très large majorité des immigrants du Québec, et représentent cinq des dix grandes villes (plus de 100 000 habitants), y compris les quatre grandes villes dont la population née à l’étranger est de plus de 10 %. Ces villes reçoivent non seulement la très large majorité des immigrants du Québec, mais aussi la très large majorité des membres des minorités ethnoculturelles (Gouv. du Québec 2014). Ce choix rend à la fois compte de la région de concentration des minorités ethnoculturelles et racisées, soit la Région métropolitaine de Montréal (RMM), mais aussi la municipalité de Québec, où cette population est moins présente.

Pour chacune d’entre elles, nous avons répertorié les documents relatifs à leurs politiques en matière de diversité, d’interculturalisme, d’intégration, d’accueil des populations immigrantes, etc. La période couverte s’étend du milieu des années 1990 (pour Laval) jusqu’aux derniers plans d’action adoptés. Chacune des sections portant sur chaque municipalité identifie les documents retenus. Ce choix s’inscrit dans une approche par instrument propre au courant de l’institutionnalisme sociologique. En effet, les institutions produisent et véhiculent des systèmes de symboles, des schémas cognitifs et des modèles moraux qui façonnent la perception des acteurs quant à leur rôle et leur influence sociétale[15]. L’instrument d’action publique se présente donc comme :

[U]n dispositif à la fois technique et social qui organise des rapports sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses destinataires en fonction des représentations et des significations dont il est porteur.

Lascoumes et Le Galès 2004 : 13

Pour chacun de ces documents, nous avons identifié les objectifs ainsi que les moyens (ou les engagements) annoncés. Il importe de rappeler que cette étude porte sur les conceptions prégnantes de l’interculturalisme (ou de l’une ou l’autre de ces composantes) mises de l’avant par les villes faisant l’objet de notre étude. Nous n’avons pas cherché à savoir si les intentions avaient été suivies d’actions, ni quelle proportion de ce qui avait été annoncé avait été réalisée. Nous avons ensuite assigné chacun de ces objectifs/moyens à l’une ou l’autre de nos catégories analytiques en tenant compte de sa dimension prépondérante lorsqu’il y existait des chevauchements ou des zones de rencontre entre les catégories. Il est donc possible qu’un objectif ou un moyen se situe dans une zone tampon de nos catégories. Par exemple, pour la Ville de Montréal seulement, il s’agit de 15 objectifs et de 25 actions ; Gatineau a identifié pour sa part 18 objectifs qui ont donné lieu à 75 programmes.

Nous reconnaissons d’emblée que cette manière de procéder peut sembler mécanique (et elle l’est) et quelque peu réductrice. Toutefois, il faut comprendre qu’il s’agit d’une première étape permettant de mieux situer la nature, la signification et la portée des objections et des actions entreprises par les municipalités ayant fait l’objet de cette étude. Cette dernière ne permet pas de montrer comment ces approches ont évolué dans le temps, ni d’analyser comment les actions identifiées par les municipalités ont été mises en oeuvre (143 programmes au total), ni d’examiner leur mode de financement, les mécanismes de reddition de compte, les organisations responsables, l’implication des citoyens, les débats auxquels ils ont pu donner lieu, etc. En somme, il faut considérer la modestie de cette étude, la considérer comme un survol préliminaire et exploratoire des initiatives des cinq plus grandes municipalités du Québec.

Ville de Montréal

La région métropolitaine de Montréal accueillait, en 2011, 70 % de l’ensemble des nouveaux résidents du Québec, mais 76,3 % de ces derniers s’établissent sur le territoire de la Ville de Montréal elle-même qui est constituée d’une population immigrante à 31 %. La municipalité regroupe ses actions sous trois axes : l’intégration des personnes immigrantes, les relations interculturelles et la lutte contre le racisme et la discrimination. Au cours des 15 dernières années, la Ville de Montréal a mis sur pied une série d’instruments s’inscrivant dans ces trois axes. Parmi les actions majeures dans ce domaine, on compte le renouvellement en 2004 de la Déclaration de Montréal pour la diversité culturelle et l’inclusion initialement adoptée en 1989, ainsi que l’adoption en 2005 de la Charte montréalaise des droits et des responsabilités. Depuis 1999, la Ville de Montréal a conclu des ententes avec le MICC en matière d’immigration. La ville a également préparé, en 2000, un document intitulé Construire ensemble : Orientations 2000-2001-2002. Ce document peut être considéré comme la politique de la ville en matière d’immigration. Bien qu’il ait été adopté il y a près de quinze ans, aucun nouveau document ne semble l’avoir remplacé. La ville a aussi développé un Plan d’action de la région de Montréal en matière d’immigration, d’intégration et de relations interculturelles, publié en 2006. Or, ce document a été élaboré par la Conférence régionale des élus (CRÉ) qui regroupe plusieurs municipalités dans la région de Montréal, et non par la Ville de Montréal. Ainsi, notre analyse porte donc sur le document Construire ensemble : Orientations 2000-2001-2002. Toutefois, comme ce document se veut un document d’orientation, il ne comporte pas d’actions spécifiques. Afin de bien comprendre la politique interculturelle de la Ville de Montréal, nous avons inclus dans notre analyse la liste des mesures qui sont présentement en place en matière de relations interculturelles dans la Ville de Montréal.

Le document d’orientation Construire ensemble… comporte quatre cibles. Parmi celles-ci, trois s’inscrivent dans la dimension humaniste (application des principes d’équité, de non-discrimination et de non-exclusion ; prise en compte la diversité dans les orientations stratégiques et l’offre de service ; consolidation du caractère cosmopolite de la ville) et une seule dans la dimension instrumentale (accueil et établissement des nouveaux arrivants) (Peyton 2001). Le document présente 15 objectifs stratégiques qui sont répartis comme suit : huit d’entre eux (53 %) s’inscrivent dans la dimension humaniste, six (40 %) sont instrumentaux, et un dernier (7 %) valorise la dimension citoyenne. À première vue, Montréal semble donc favoriser la dimension humaniste en matière de relations interculturelles.

Comme nous l’avons noté précédemment, Construire ensemble… ne comprend pas d’actions proposées précises comme le font les politiques des autres municipalités. Afin de bien comprendre la politique interculturelle de la Ville de Montréal, nous nous sommes donc attardés aux 25 actions mises de l’avant par la ville et qui sont recensées sur son site web. Plusieurs des programmes et actions en matière d’immigration et de gestion des relations interculturelles sont élaborés par la Direction de la diversité sociale de Montréal dont la mission est de :

[F]avoriser l’équité sociale, économique et culturelle ainsi que la valorisation des compétences des personnes et des collectivités montréalaises pour contribuer activement au développement d’une ville solidaire et inclusive.

Montréal 2013 n.p.

Figure 3

Ville de Montréal Les dimensions de l’interculturalisme – objectifs et moyens

Ville de Montréal Les dimensions de l’interculturalisme – objectifs et moyens

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Notre analyse nous permet de constater que la majorité de ces actions (60 %) s’inscrivent dans la dimension humaniste, 32 % instrumentale, 4 % citoyenne, et 4 % superposent à la fois les dimensions humanistes et citoyennes. Contrairement aux autres villes, la Ville de Montréal souscrit fortement à la dimension humaniste qui vise à encourager les relations interculturelles et l’acceptation de la diversité.

Ville de Québec

Deuxième plus importante agglomération de la province, la Ville de Québec accueille sur une base annuelle environ 4 % des nouveaux arrivants. Depuis 2001, la Ville de Québec négocie des ententes avec le MICC afin de mettre sur pied des mesures facilitant l’intégration sociale et économique des immigrants sur son territoire (Ville de Québec 2010a). Dans le cadre de ces ententes, la ville intervient dans trois domaines : la promotion et l’attraction, l’intégration et le rapprochement interculturel (Ville de Québec 2010a). Dès 1996, avant les fusions municipales, elle s’était dotée d’une Politique d’accueil et d’intégration des immigrantes et immigrants de la Ville de Québec (Ville de Québec 1996) dans le but de favoriser les relations interculturelles. En 2010, elle a adopté la Politique municipale sur l’accueil, l’intégration et la rétention des personnes immigrantes (Ville de Québec 2010b), qui est toujours en vigueur. Cette politique repose sur quatre principes généraux, dont deux (reconnaissance des personnes immigrantes comme des citoyens à part entière ; collaboration et partenariat) s’inscrivent dans la dimension citoyenne, un principe (reconnaissance de la diversité) correspond à la dimension humaniste et un dernier (gestion proactive de la diversité) combine les dimensions humaniste et citoyenne. Aucun des principes directeurs de la politique ne correspond à la dimension instrumentale, ce qui signifie que la politique a comme fondement la recherche d’une compréhension mutuelle ainsi que d’une cohésion sociale favorisant l’intégration sociale, économique et culturelle des immigrants afin d’éviter la fragmentation sociale.

Bien que les grands fondements de la politique reposent sur les dimensions citoyenne et humaniste, en pratique, afin d’atteindre ces objectifs, les 18 engagements spécifiques adoptés par la municipalité s’inscrivent plutôt dans une dimension instrumentale axée sur l’insertion fonctionnelle de l’individu au marché du travail ou à l’environnement institutionnel. Selon cette logique, la disponibilité d’outils facilitant l’insertion professionnelle permettra une socialisation du nouvel arrivant, contribuant ainsi à une meilleure intégration sociale de celui-ci. Parmi ces engagements, dix (56 %) adhèrent à la dimension instrumentale (et touchent, par exemple, l’accès aux services municipaux, les programmes de stage pour les nouveaux arrivants, etc.), cinq (28 %) répondent à la dimension citoyenne (développement de partenariat ; représentation au sein des activités municipales, etc.), deux (11 %) s’inscrivent dans la dimension humaniste, et un dernier (6 %) combine des objectifs instrumentaux et humanistes.

Figure 4

Ville de Québec Les dimensions de l’interculturalisme – objectifs et moyens

Ville de Québec Les dimensions de l’interculturalisme – objectifs et moyens

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Ville de Laval

La Ville de Laval constitue la troisième ville la plus populeuse au Québec. Chaque année, elle accueille environ 7 % de l’ensemble des nouveaux résidents de la province. En 2006, le MICC a conclu une entente triennale avec la Ville de Laval en matière d’immigration. Cette entente a été renouvelée en 2011 pour une durée de trois ans. Elle a élaboré deux documents de référence relatifs aux questions d’immigration et de relations interculturelles : Ensemble à Laval (document général d’orientation) et le Plan d’action en immigration 2010-2012. Adopté en 1993 par la ville, Ensemble à Laval présente les trois principes directeurs qui guident les interventions entre la ville et les citoyens. Bien que ce document ait été adopté il y a plus de vingt ans, il constitue toujours un document de référence pour la ville (Laval 1993, 2010). Deux de ces trois principes directeurs s’inscrivent dans la dimension humaniste (égalité de droits et de devoirs ; accès équitable aux services et instances) et un participe à la dimension citoyenne (développement du sentiment d’appartenance) visant à favoriser une intégration entière des nouveaux arrivants et ainsi maintenir une cohésion sociale.

Le Plan d’action en immigration 2010-2012 de la Ville de Laval comporte sept grands objectifs ainsi qu’une série d’actions en lien avec chacun des objectifs. Parmi ceux-ci, trois (43 %) s’inscrivent dans la dimension instrumentale (immigration comme stratégie de développement durable ; promotion du potentiel de cette main-d’oeuvre auprès des employeurs, etc.), un (14 %) correspond à la dimension citoyenne, un (14 %) s’inscrit dans la dimension humaniste et deux objectifs (29 %) chevauchent les dimensions instrumentale et citoyenne.

Figure 5

Ville de Laval Les dimensions de l’interculturalisme – objectifs et moyens

Ville de Laval Les dimensions de l’interculturalisme – objectifs et moyens

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Les dix-neuf actions proposées dans ce plan sont réparties un peu différemment dans les trois dimensions. Ainsi, alors que dix actions (53 %) proposées s’inscrivent dans la dimension instrumentale, six (32 %) peuvent être regroupées sous la dimension humaniste et seulement une action (5 %) se situe dans la dimension citoyenne. Aussi, une action (5 %) s’inscrit à la fois dans la dimension instrumentale et citoyenne, et une autre (5 %), dans la dimension humaniste et citoyenne. D’une façon similaire à la Ville de Québec, on constate que les actions proposées par le Ville de Laval sont principalement de nature instrumentale. Elles visent une intégration fonctionnelle des nouveaux arrivants, bien que plusieurs d’éléments ne négligent pas pour autant les finalités humanistes.

Ville de Gatineau

La Ville de Gatineau constitue la quatrième ville en importance au niveau démographique au Québec. Chaque année, elle accueille sur son territoire trois pour cent des nouveaux résidents du Québec. La ville a publié en 2008 Ensemble ! Politique en matière de diversité culturelle de la Ville de Gatineau (2008a) et celle-ci est toujours en vigueur et constitue le document de référence pour la municipalité en matière d’immigration et de diversité culturelle. Le MICC et la Ville de Gatineau ont également conclu une entente triennale en matière d’immigration en 2008 (Gatineau 2008b). Des négociations entre le ministère et la ville concernant le renouvellement de l’entente sont en cours.

La politique comporte six grandes orientations. Parmi celles-ci, deux peuvent être regroupées sous la dimension humaniste (inscription dans le modèle interculturel ; promotion de la proximité), deux autres sous la dimension citoyenne (participation active et vision commune) et une seule orientation favorise la dimension instrumentale (intégration intersectorielle des services). Une autre orientation s’inscrit à la fois dans la dimension humaniste et instrumentale. D’une façon très générale, nous pouvons donc dire que la politique de la municipalité s’appuie surtout sur des principes qui cherchent l’ouverture envers la diversité et l’intégration sociale des nouveaux arrivants.

La politique de la Ville de Gatineau comporte également un total de dix-huit objectifs répartis comme suit : sept peuvent être regroupés sous la dimension instrumentale, six sous la dimension citoyenne et quatre objectifs sous la dimension humaniste. Un objectif chevauche les dimensions citoyenne et humaniste. Bien que les grandes orientations de cette politique s’inscrivent davantage dans des dimensions humaniste et citoyenne, la nature des objectifs de la politique correspond davantage à la dimension instrumentale.

La politique de la Ville de Gatineau inclut un total de 75 actions proposées. Alors que 30 de ces 75 actions (40 %) s’inscrivent dans la dimension instrumentale, 21 (28 %) peuvent être regroupées sous la dimension humaniste, 20 (27 %) sous la dimension citoyenne, trois (5 %) sous les dimensions instrumentale et humaniste, et une (1 %) sous les dimensions humaniste et citoyenne. Ainsi, tout comme pour les objectifs, on remarque une prédominance d’actions de nature instrumentale malgré le fait que les grandes orientations de la politique ne s’inscrivent pas nécessairement dans cette dimension. Tout comme à la Ville de Québec et à la Ville de Laval, la dimension préconisée par Gatineau se concrétise par le biais d’actions de nature instrumentale visant essentiellement l’intégration fonctionnelle des nouveaux arrivants.

Figure 6

Ville de Gatineau Les dimensions de l’interculturalisme – objectifs et moyens – pourcentage

Ville de Gatineau Les dimensions de l’interculturalisme – objectifs et moyens – pourcentage

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Ville de Longueuil

La Ville de Longueuil arrive au cinquième rang des villes les plus populeuses du Québec. La région de la Montérégie, où est située cette municipalité, reçoit sur son territoire chaque année environ neuf pour cent des nouveaux résidents du Québec. La Ville de Longueuil ne possède pas de politique spécifique en matière d’immigration. Les objectifs de la ville ainsi que les actions proposées dans ce domaine sont plutôt inclus dans le Plan de développement social et communautaire (PDSC) adopté en 2005 (Longueuil 2005). Ce plan est toujours en vigueur. Il existe également un plan quinquennal de développement régional (2007-2012), mais celui-ci a été élaboré par la Conférence régionale des élus (CRÉ) de Longueuil et non par le Ville de Longueuil. La CRÉ de Longueuil est une instance de concertation et de développement qui regroupe cinq municipalités de cette région, dont celle de Longueuil. À ce jour, il n’existe aucune entente entre le MICC/MIDI et la Ville de Longueuil en matière d’immigration.

Le PDSC de la Ville de Longueuil énumère certains objectifs et actions. Comparativement aux autres villes, le nombre d’actions proposées est très restreint (un total de six actions pour neuf objectifs). Parmi les neuf objectifs de la ville, quatre (44 %) s’inscrivent sous la dimension humaniste (activités de sensibilisation et d’échanges interculturels), trois (33 %) sous la dimension citoyenne (touchant l’intégration, la composition du comité consultatif sur les relations interculturelles) et deux (22 %) sous la dimension instrumentale (accessibilité aux services et apprentissage du français). Les six actions proposées sont réparties également entre les dimensions humaniste et instrumentale. Le nombre restreint d’actions proposées par la ville peut sembler surprenant étant donné que cette dernière accueille une part importante des nouveaux arrivants au Québec. De plus, l’absence d’une entente entre le MICC/MIDI et la municipalité limite peut-être la capacité de celle-ci à mettre de l’avant des instruments visant l’intégration fonctionnelle des immigrants. Ceci expliquerait pourquoi, comparativement aux autres municipalités, Longueuil ne présente pas une prédominance d’engagements de nature instrumentale.

Figure 7

Ville de Longueuil Les dimensions de l’interculturalisme – objectifs et moyens

Ville de Longueuil Les dimensions de l’interculturalisme – objectifs et moyens

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Conclusion

Comme nous l’avons déjà souligné, la responsabilité liée à l’intégration sociale et économique des nouveaux arrivants est de compétence provinciale. Or, dans une approche de régionalisation de l’immigration, le MICC/MIDI a conclu des ententes avec plusieurs municipalités. Au bout du compte, cela se reflète par une prédominance d’actions de nature instrumentale au sein des municipalités qui disposent d’une entente avec le MICC/MIDI en matière d’immigration. Par contre, dans une ville comme Longueuil qui n’a pas conclu ce type d’entente, les actions sont plutôt de nature humaniste. Comme nous l’avons abordé précédemment, Montréal s’avère un cas différent en raison du fort volume d’immigrants accueillis chaque année. Ainsi, le document de référence pour Montréal ne comporte pas d’actions spécifiques, mais plutôt de grandes orientations en matière d’immigration et de relations interculturelles. Afin de bien comprendre la politique interculturelle de Montréal, nous nous sommes donc attardés aux actions mises de l’avant par la ville telles que répertoriées sur le site web de la municipalité.

Une compilation des données pour l’ensemble des villes permet de dégager deux constats. D’abord, en nous penchant sur les grands principes, les grandes cibles ou les grandes orientations qui guident la politique et les actions des villes, nous voyons que la majorité de celles-ci s’inscrivent dans la dimension humaniste. Ainsi, les villes préconisent une approche qui vise prioritairement une ouverture à la diversité culturelle. Toutefois, et c’est le second constat, les actions proposées par les municipalités sont principalement de nature instrumentale (43 % d’entre elles), sauf pour ce qui est de Montréal. Les actions de cette dernière s’inscrivent majoritairement dans la dimension humaniste. Cela pourrait s’expliquer par la forte proportion d’immigrants vivant à Montréal comparativement aux autres villes étudiées. Dans un tel contexte, des politiques visant la compréhension mutuelle et l’harmonie des relations interculturelles peuvent s’avérer une condition essentielle au « vivre ensemble ». De plus, dans une logique de régionalisation de l’immigration, il n’est pas surprenant que les autres villes contribuent directement à l’intégration fonctionnelle des immigrants plutôt que chercher à favoriser, en premier lieu, la compréhension culturelle. En région, la présence d’outils permettant une intégration fonctionnelle devient indispensable pour un nouvel arrivant.

Au chapitre des actions proposées, la dimension citoyenne est beaucoup moins importante. Toutefois, elle occupe une importance égale à la dimension instrumentale si on ne prend en considération que les grandes orientations. Dans cette perspective, la dimension citoyenne et la compréhension culturelle semblent tributaires l’une de l’autre et être le résultat d’une intégration fonctionnelle réussie.

Une analyse comparative des divers objectifs et des actions proposées entre les villes nous permet également de relever des éléments communs ainsi que des distinctions. Ainsi, l’insistance mise sur des relations interculturelles harmonieuses demeure une préoccupation partagée par l’ensemble des villes. Même si certaines villes comme Montréal, Gatineau et Laval insistent sur cette notion davantage que Québec et Longueuil, il n’en demeure pas moins que toutes les villes ont mis de l’avant des actions qui visent à favoriser l’ouverture à la diversité. De la même manière, l’intégration fonctionnelle des immigrants s’avère un enjeu important. Chaque municipalité prévoit une série d’actions ou de mesures qui visent à faciliter l’insertion des immigrants sur le marché du travail. Il est vrai que les municipalités constituent le premier point de contact direct avec les immigrants et qu’elles jouent ainsi un rôle d’intermédiaire entre les nouveaux arrivants et le marché du travail.

Figure 8

Sommaire des grandes orientations municipales Objectifs et moyens

Sommaire des grandes orientations municipales Objectifs et moyens

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Toutefois, l’importance accordée à la notion de participation citoyenne active varie considérablement d’une ville à l’autre. Les municipalités ont développé toute une panoplie de mesures et de programmes qui s’amarrent aux politiques publiques du gouvernement du Québec en matière d’intégration, de participation des membres des communautés culturelles à la vie économique sociale, culturelle et politique et de rapprochement interculturel. Même si les objectifs renvoyant à la citoyenneté sont fortement présents dans les plus importantes municipalités québécoises, celle-ci est davantage présentée comme le résultat de mesures instrumentales et humanistes adéquates. Les enjeux liés à la consolidation de l’appartenance à l’ensemble de la communauté sont moins présents, bien qu’ils ne soient pas non plus absents. Fait notable, la problématique des valeurs communes est peu présente. Le point d’équilibre se trouve davantage du côté des mesures que nous avons qualifiées d’instrumentales et d’humanistes. Cela peut se comprendre du fait que les conditions de la réalisation de l’appartenance citoyenne se retrouvent dans les mains des gouvernements « supérieurs », à savoir les gouvernements provincial et fédéral. C’est là que se joue cette bataille, en fonction d’impératifs qui échappent aux municipalités, par-delà la question de la participation à la vie civique municipale.

Cela étant dit, nous sommes conscients du caractère exploratoire et parcellaire des résultats de cette étude. Elle permet, tout au plus, de prendre un instantané de la configuration des dimensions de l’interculturalisme dans l’espace municipal des cinq plus grandes villes du Québec. Elle sert néanmoins à informer les chercheurs qui s’aventurent sur le terrain des a priori implicites qui animent les acteurs et les instruments d’action publique privilégiés. De plus, l’exercice comparatif n’est pas inutile puisqu’il conduit à soulever des interrogations qui, autrement, ne viendraient pas nécessairement spontanément à l’esprit. Ainsi, plusieurs questions importantes restent en suspens : comment expliquer les différences entre les municipalités en dépit de la proximité géographique de certaines d’entre elles (Montréal, Laval et Longueuil) ? Pourquoi la ville de Montréal affiche-t-elle un pourcentage considérablement plus élevé dans la dimension humaniste que les autres villes ? Est-ce que le fait d’avoir signé une entente avec le MIDI modifie (ou non) les priorités municipales et porte à insister sur une dimension plutôt qu’une autre, etc. ? En somme, les dimensions qui constituent le « modèle interculturel » (réel ou imaginé) sont plus complexes que les discours qui le recouvrent.