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Robert Borofsky, Yanomami : The Fierce Controversy and What We Can Learn From It. California Series in public anthropology. Berkeley, University of California Press, 2005, 372 p., bibliogr., index.[Notice]

  • Samuel Lézé

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  • Samuel Lézé
    Centre Maurice Halbwachs
    École normale supérieure
    48 boul. Jourdan
    75014 Paris
    France

En septembre 2000, le petit monde de l’anthropologie nord-américaine est bouleversée par la parution d’un ouvrage de Patrick Tierney au titre évocateur dont la traduction française ne s’est pas fait attendre : Au nom de la civilisation, comment anthropologues et journalistes ont ravagé l’Amazonie, 2002 (traduction de Darkness in El Dorado). Tantôt présenté comme journaliste d’investigation indépendant, tantôt comme anthropologue, son travail est fondé sur onze ans d’une recherche qui met gravement en cause l’éthique – avoir provoqué une épidémie de rougeole, perturber leur espace social en distribuant des biens, etc. – et les résultats – surévaluer la violence des Yanomamis, falsifier les données, etc. – du généticien James Neel et de l’anthropologue américaniste Napoléon Chagnon sur les Yanomamis, un groupe linguistique localisé entre le sud du Venezuela et le nord du Brésil. À rebours de l’anthropologie culturaliste, ce dernier est un promoteur de l’écologie des comportements humains dans une perspective de sociobiologie. Son best-seller (Yanomamö, the Fierce People,1968) naturalise et majore l’état de guerre chronique de cette population tenant lieu de paradigme des derniers authentiques primitifs, sans tenir compte du contexte politique brésilien. Éclate alors une violente controverse, très médiatisée. Robert Borofsky est anthropologue à l’université pacifique d’Hawaï et directeur de publication de l’excellente collection « California Series in public anthropology » qui valorise à juste titre l’engagement de l’anthropologie dans les débats publics contemporains. Dans cet esprit, il livre ici une étude pénétrante qui délimite la controverse, explicite son objet et dégage les enjeux disciplinaires. L’intérêt de l’évènement dépasse la stricte polémique entre quelques protagonistes et interroge l’action et les valeurs portées par les anthropologues dans le cadre de leur discipline. Dès lors, l’objectivité n’est pas un simple jeu d’autorité, mais une « analyse publique de perspectives divergentes » (p. 18). La visée réflexive de cette anthropologie de l’anthropologie n’a donc de sens que si elle permet d’en tirer un enseignement sur la pratique actuelle de la discipline pour la fabrique des futurs anthropologues. Le résultat est d’un genre original : un efficace anti-manuel d’anthropologie! De ce fait, il ne s’agit donc pas seulement d’un livre à lire, mais comme l’explicite la « note pour les enseignants et pour les étudiants », d’un outil de réflexion et un support de formation à l’anthropologie qui se distingue des manuels déjà existants dont le principe pédagogique est l’étude de l’anthropologie à partir de controverses. L’exigence est plus forte, l’ambition plus haute, car il s’agit de changer la discipline (p. 19) en remettant en question la politique de l’anthropologie dans ce qu’elle a de plus fondamental : la pratique réelle et contemporaine de la discipline en rupture avec l’idéalisme enchanté du travail de terrain, les dilemmes éthiques et professionnels, etc. de sorte que l’anthropologie soit aussi un terrain politique sur lequel se posent des questions sur l’inégalité de pouvoir entre enquêteur et enquêté, la règle qui consiste à ne pas nuire aux enquêtés (par sa présence, ses actions ou son travail), la nature de la juste compensation des enquêtés exploités dans un travail académique et l’intégrité professionnelle. Dans cette polémique, le rôle de l’American Anthropological Association fut en effet de diligenter un groupe de travail qui n’a pas vraiment saisi l’occasion pour poser les questions de fond, mais selon une logique classique d’appareil a tenté une protection en règle de l’image publique de l’anthropologie. En outre, l’appropriation du débat par les étudiants en anthropologie au travers de sites web fut décisive. C’est donc à ces undergraduates que l’ouvrage est en partie dédié, le gain des ventes étant par ailleurs reversés aux Yanomamis (ceux-ci n’ayant jusqu’ici rien …