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Deux parties longues, et une troisième plus courte, comme une partie de football (soccer) avec prolongations. Voilà à quoi nous invite cette sociologie des supporters de football. Sport le plus populaire de la planète, le football est devenu au fil des décennies un spectacle dramatique. À la dramaturgie du jeu, calée sur un compte à rebours indépassable, s’ajoute depuis les années soixante-dix une dramaturgie qui se noue dans les tribunes, le plus souvent sur fond de violence dont le summum dans la mémoire collective européenne a sans doute été atteint le soir du 29 mai 1985 au stade du Heysel à Bruxelles (39 morts, 600 blessés).

Mais tous les supporters ne sont pas des hooligans, des ultras ou des casuals. Même s’ils sont rassemblés au même moment dans une même enceinte, les supporters présentent des caractéristiques bien différentes. C’est à ce discernement que nous convie Williams Nuytens en s’attachant à décrire le « supporterisme » de deux clubs du Nord de la France : Lens et Lille.

L’auteur entend montrer que le « supporterisme » n’est ni une réaction aux contraintes sociales (selon Elias) ni l’illustration d’une société du temps libre (selon Dumazedier) ; il prend plutôt racine dans une dimension festive et événementielle, fort éloignée de l’hypothèse d’un affaiblissement des formes traditionnelles de cohésion sociale dont il prendrait le relais.

À partir d’un matériel riche et varié, alliant observations, entretiens, questionnaires et dépouillement d’archives, et en se plaçant du côté de l’individualisme méthodologique, l’auteur entreprend une sociologie compréhensive du monde des supporters de ces deux clubs que tout semble opposer : conditions de création, financement, typologie sociale des supporters… et audience aux matches.

Ainsi, souligne-t-il, le supporterisme est une construction. À côté des spectateurs qui viennent voir un match de manière occasionnelle ou qui n’appartiennent à aucune organisation, se trouvent deux catégories des supporters : ceux des clubs officiels, organisés par les dirigeants des équipes et ceux qui, en opposition « à la norme supporteriste fabriquée de toute pièce », se réunissent dans des clubs autonomes ou indépendants.

Le « modèle lensois » s’apparente à un véritable réseau social autour des clubs officiels des supporters dynamisé par de nombreuses relations aux formes variées : réunions mensuelles des supporters, assemblée générale annuelle de l’ensemble des clubs. L’audience des clubs indépendants restent marginaux. À Lille, au contraire, le principal club indépendant est numériquement bien plus important que le club officiel.

Par définition, les groupes autonomes échappent au contrôle des dirigeants des clubs qui manient alors collaboration (places moins chères) ou sanction (interdiction de stade).

Car c’est du côté de ces groupes autonomes, pour la plupart formés d’adolescents et de jeunes, étudiants ou actifs, avec une forme associative déclarée qu’il faut regarder l’émergence de la violence dans les stades. Williams Nuytens montre ainsi qu’il y a concurrence entre les groupes indépendants de partisans, associés à une mémoire collective, et, sans que cela soit mécanique, apparition de comportements violents, dans l’enceinte des stades mais aussi en dehors, avant et après. Les « contentieux » entre les groupes de supporters, les vengeances, les règlements de compte à distance sont le lot commun de cette violence, qui peuvent remonter à une saison ou à celles d’avant. Ils peuvent même se régler par groupes intermédiaires, comme l’exemple de ces supporters de Liège en Belgique venus en découdre avec ceux de Lens… pour le compte de ceux de Lille.

Finalement, conclut Williams Nuytens, être supporter revêt « des significations hétérogènes et kaléidoscopiques », où la passion du foot ne comble ni un vide social, ni une socialisation ratée, mais est plutôt l’occasion « de croire en quelque chose et de vivre pleinement et en liberté ».