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Patrick Lozès, Nous, les Noirs de France. Paris, Éditions Danger Public, 2006, 206 p.[Notice]

  • Abdoulaye Gueye

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  • Abdoulaye Gueye
    Département de sociologie et d’anthropologie
    Université d’Ottawa
    C.P. 450, succursale A
    Ottawa (Ontario) K1S 6N5
    Canada

Le livre que voici se démarque de la plupart des livres qui bénéficient d’un compte rendu dans la revue Anthropologie et Sociétés. Parce que, surtout, ce n’est pas un livre scientifique. Mais cela ne devrait point mener à conclure qu’il manque d’intérêt scientifique. Tout au contraire. Alors que les considérations et généralisations théoriques ont jusqu’à présent prévalu dans les quelques travaux qui s’attellent à l’analyse de ce nouveau phénomène ; alors que les discours de l’institution étatique ou, plus précisément, les échecs du modèle politique et social français d’« intégration » servent largement d’éléments d’analyse du surgissement de la revendication des Noirs de France, les stratégies discursives et surtout les modalités de production d’une problématique noire par les Noirs de France eux-mêmes restent à la lisière de l’analyse des chercheurs. Concrètement, les chercheurs procèdent à une analyse du mouvement noir actuel sans s’arrêter longuement sur les acteurs et les organisations qui donnent forme et substance à ce mouvement. L’importance du livre de Lozès se trouve là, qui nous offre des informations, à recouper avec d’autres certes, sur la genèse d’une structure – dont la contribution prépondérante à la structuration de la mobilisation noire en France est indéniable – sa mission, son mode d’organisation et ses stratégies d’institutionnalisation. Le livre est constitué de 17 chapitres. Cette division ne procède pas forcément d’une organisation thématique de l’ouvrage mais bien plus d’une démarche pratique. En effet, les différents chapitres traitent rarement chacun d’un seul thème. Ce livre jette un éclairage sur la formation du Conseil Représentatif des Associations Noires (CRAN). Cette organisation est née en 2005 une année de crise politique aiguë qui a été marquée par des émeutes dans les banlieues françaises, la vote à l’Assemblée nationale d’une loi dont un article qui affirme que la colonisation française a eu un bilan plutôt positif, ainsi que les déclarations très controversées, et jugées racistes, par certains observateurs et analystes, de penseurs très médiatiques tels que le philosophe Alain Finkielkraut ou la secrétaire perpétuelle de l’Académie française, Hélène Carrère d’Encausse. Dans ce livre, le CRAN apparaît comme une structure fédérative des organisations noires africaines et antillaises qui aurait pour mission de porter sur la sphère publique les revendications des Noirs de France et de pousser les autorités françaises à agir en faveur de la satisfaction de ces demandes. Le terme de « noir » revient sans cesse dans ce livre et semble en constituer l’ossature. Conscient du tabou qui entoure le terme « Noir » dans la société française, et du rejet que l’on oppose à toute classification d’une partie de la population française suivant ce critère de couleur, Lozès, faisant ici exercice scientifique, donne à comprendre clairement l’entendement de ce terme au sein du CRAN et par les acteurs qui constituent cette organisation. Pour lui, le Noir n’est pas une entité à essentialiser. Il est produit de l’histoire de la rencontre entre le monde occidental colonialiste et esclavagiste, et le monde africain asservi. Le Noir dominé et voué à la domination par le monde blanc durant les siècles d’esclavage et de colonialisme se voit assigné en cette période de libération à une position et un statut inférieurs qui ne trouvent de justification dans le raisonnement de ses dominateurs que dans la couleur de sa peau. D’où la définition suivante, élaborée au sein du CRAN, et reprise par l’auteur, qui postule que « est noir celui qui est réputé tel, est noire, a minima, une population d’hommes et de femmes dont l’expérience sociale partagée est celle de discriminations subies en raison de la couleur de leur peau ». Cette définition est …