Corps de l’article

Comme son titre le laisse deviner, l’ouvrage de Southall conjugue une approche macro-sociale et un traitement diachronique de la question urbaine. Il transporte les lecteurs, pendant près de cinq cents pages et sur cinq continents, des premiers établissements humains permanents apparus il y a environ 10 000 ans aux communautés virtuelles de la fin du 20e siècle. Southall souligne que les villes sont le résultat historique de rapports sociaux de domination-subordination. Selon lui, non seulement la différentiation sociale a constitué une condition préalable à l’émergence des villes, mais celles-ci s’en sont toujours nourries. Elles constituent depuis des millénaires le locus du pouvoir économique, politique, religieux ou militaire. S’y concentrent les plus grandes réalisations comme les pires tragédies humaines. C’est pourquoi l’anthropologie qu’il propose n’est pas seulement celle des villes mais celle de toute l’humanité, appréhendée à travers la ville.

Adoptant la perspective du matérialisme historique comme ancrage théorique, il propose une analyse diachronique des rapports entre villes et société qui prend pour assise principale l’évolution dialectique des rapports sociaux et des forces productives qui ont donné lieu à différents modes de production au cours de l’histoire de l’humanité. Les premiers chapitres puisent aux sources de l’archéologie, alors qu’il décrit les cités-états du Moyen-Orient, d’Afrique, d’Asie et d’Amérique, apparues au 4e millénaire avant J.-C., puis la Grèce et la Rome classiques. Les deux chapitres suivants portent, respectivement, sur les villes de l’Europe féodale et de l’Asie. Dans le cinquième, Southall examine les dynamiques propres aux villes issues de la colonisation, particulièrement en Inde, en Afrique et en Amérique latine. Le dernier chapitre s’attarde aux pays occidentaux, notamment la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis. Chacun de ces chapitres est divisé en sections qui délimitent des tranches d’histoire, des villes ou des thèmes jugés particulièrement pertinents par l’auteur pour illustrer diversités, convergences et retour constant du balancier entre concentration et dispersion, dont il fait le fil conducteur de son ouvrage.

Celui-ci prend des airs de chronique du pouvoir quand Southall relate avec force détails, pour les périodes et les régions choisies, l’évolution des activités de production, des relations commerciales, des alliances, des guerres, des luttes de classe, du mode de vie des élites et des classes exploitées, pour ne nommer que ces éléments, sans oublier ce qui relève de l’urbanisme et quelques éléments d’architecture. Faisant preuve d’un savoir encyclopédique, Southall décrit aussi bien la structure symbolique des villes chinoises du deuxième millénaire avant J.-C. et les alliances matrimoniales entre califes de l’islam du 11e siècle que la promiscuité des taudis de la seconde moitié du 19e siècle à Glasgow, les politiques et les caractéristiques du logement en Union soviétique dans l’Après-guerre ou les conflits entre gangs de rue qui font rage dans les villes américaines contemporaines.

L’écriture est dense mais imagée, car même si, en introduction, Southall prévient que l’adoption d’un point de vue macro-social oblige à noyer les individus sous les grandes vagues de l’histoire, il réussit à illustrer ce que pouvait être la vie quotidienne dans les villes des régions et des époques retenues. Reprenant d’une certaine façon les « domaines d’action » constitutifs de l’« index d’urbanisation » qu’il proposait il y a plus de 25 ans (Southall 1973), il fait appel à l’anthropologie économique, politique, sociale, culturelle et à l’anthropologie de la parenté comme à celle des religions.

Southall conclut sur un avertissement quant aux limites d’une croissance économique basée sur l’inégalité sociale et sur l’exploitation abusive des ressources naturelles. Elle possède ses propres limites et négliger d’en prendre acte conduirait tout droit à l’apocalypse. Il suggère qu’il est temps de mettre les technologies les plus productives au service de l’humanité afin de partager travail, revenus, biens de consommation, services sociaux et de santé et loisirs à une échelle planétaire ; bref, de mettre en place un monde plus juste. Dans ce monde, les grandes mégalopoles devaient laisser place à des villes de taille plus conviviale. Reprenant son fil conducteur, il considère qu’il relève des populations locales de trouver un juste milieu entre concentration et dispersion.

Ce juste milieu fait d’ailleurs défaut dans les dernières pages de l’ouvrage. En effet, on n’y voit que des individus et une grande planète à protéger, alors que les États nationaux sont complètement évacués. Est-ce parce que Southall considère qu’ils sont voués à disparaître et que seule la ville subsistera comme théâtre du pouvoir politique dans un monde globalisé ? Là-dessus, il laisse le lecteur sans réponse.