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Introduction

Dans les années 1960, au Nunavut, le regroupement de petits campements de chasse au sein de villages permanents centralisés a donné naissance à plusieurs communautés inuit canadiennes, dont celle de Qikiqtarjuaq. Ces mesures étaient motivées par le souci d’efficacité et d’assimilation du gouvernement et par l’esprit d’entreprise de quelques familles qui souhaitaient se prévaloir des avantages économiques suscités par la proximité d’une station de la ligne DEW[1] ou des possibilités de leadership que pourrait conférer ce nouveau cadre social. Ce passage d’un mode de vie nomade à la sédentarisation a provoqué des transformations radicales. Les petits camps familiaux ont disparu au profit d’une communauté qui regroupe aujourd’hui plus de 500 personnes, régie par de nouvelles relations hiérarchiques et des procédures administratives jusqu’alors totalement inconnues des Inuit ; la scolarisation, une plus grande disponibilité des produits importés et d’autres attributs rattachés au fonctionnement des petites collectivités occidentales ont fait leur apparition. Si l’amélioration du confort, l’augmentation des services et l’accroissement de la sécurité ont été et sont toujours grandement appréciés, les nouvelles communautés sont néanmoins confrontées à d’énormes difficultés telles la consommation de drogues, la violence conjugale et un taux élevé de suicide chez les jeunes. Perçue de façon très ambivalente, la vie dans les villages apparaît à la fois comme un creuset social riche et intense et comme une formidable menace pour le mode de vie inuit et le bien-être collectif (Stuckenberger 2005).

La vie des Inuit était et est encore marquée par le danger et l’imprévisibilité inhérents au monde arctique. Leur mode de vie – autant dans les campements nomades que dans les villages permanents – exige d’eux une connaissance approfondie du territoire et de la faune, une bonne constitution physique et une grande robustesse ; il nécessite également que soient respectées les règles qui président aux relations entre les êtres humains ou entre les êtres humains et les animaux ou les esprits. Tout manquement par rapport à ces règles se répercute, croit-on, sur la santé et le bien-être, provoque le retrait des animaux, pousse l’individu à se couper de la communauté et entraîne des difficultés d’ordre émotionnel, mental ou spirituel qui détériorent ces relations cruciales. Au Nunavut Arctic College, des élèves ont réfléchi sur l’imbrication de ces relations : « An important aspect of beliefs and practices is to be able to provide for your family. Keeping them warm, clothed and fed plays a vital part in one’s identity as an Inuk (Peters et al. 2002 : 170). La vie individuelle, le bien-être collectif et les relations des Inuit avec le monde des esprits sont étroitement liés.

À Qikiqtarjuaq, les discours sur les difficultés sociales et sur la vie et les valeurs souhaitables pour la société ont souvent un cadre chrétien pour toile de fond. S’y manifestent constamment des références à la chrétienté en regard des individus, des foyers ou de la collectivité dans son ensemble. Par exemple, les rituels de l’Église marquent certains événements du cycle de la vie, comme le baptême ou les rituels de dévotion, la confirmation, le mariage et les enterrements. On accroche des oeuvres pieuses aux murs des maisons. La plupart des collections de CD et de DVD comprennent à tout le moins quelques disques de musique populaire chrétienne et des vidéos de croisades de miracles célèbres, comme celles de Benny Hinn. On trouve des bibles dans tous les bâtiments publics, et des affiches de proverbes ornent les bureaux. Aucune réunion officielle ne commence sans une prière et les fonds pour les programmes de développement gouvernementaux (comme le programme Grandir ensemble) sont alloués aux projets chrétiens visant à secourir les jeunes en difficulté[2].

Toutefois, le cadre chrétien est lui-même soumis à un discours en évolution que le pentecôtisme a commencé à modifier il y a une vingtaine d’années et qui est aujourd’hui fortement dynamisé par de nombreuses conversions. Celles-ci constituent un phénomène complexe ; elles ne relèvent pas seulement des croyances et des pratiques spécifiques à partir desquelles et vers lesquelles les personnes concernées évoluent, mais elles sont également liées à de nombreux autres facteurs, dont l’expérience individuelle, les relations de classe et de pouvoir, le développement économique et l’utilisation de la langue (voir, par exemple, Csordas 2002 ; Harding 2000 ; Martin 2002, Steigenga et Cleary 2007 ; Wightman 2007). Jusqu’ici, peu de travaux ont porté sur le pentecôtisme inuit. C’est pourquoi, plutôt que de s’engager dans un débat conceptuel et général probablement prématuré sur la conversion, la présente étude adopte une approche ethnographique et donc descriptive de la conversion à Qikiqtarjuaq.

La majorité[3] des Qikiqtarjuarmiut (« habitants de Qikiqtarjuaq ») se disent « nés chrétiens de nouveau »[4], et affirment que cette renaissance leur a permis d’établir de nouvelles relations spirituelles et sociales. Presque tous se disent également toujours très attachés à l’Église anglicane, introduite il y a environ un siècle par le révérend Edmund Peck qui a fait de nombreux adeptes et dont la ferveur s’est propagée par la suite à d’autres missionnaires, tant Qallunaat qu’inuit. C’est pourquoi considérer la présence de deux lieux de culte appartenant à deux Églises différentes (l’Église anglicane et la Mission du plein Évangile de l’Église évangélique de Pentecôte, installée depuis les années 1990) comme un signe de division entre les deux Églises pourrait, jusqu’à un certain point, ne pas représenter les pratiques et les perceptions locales à l’égard de la continuité et du changement.

Dans la présente étude, j’examinerai d’abord la notion inuit de « personne » telle qu’elle s’exprime au stade de l’enfance et le processus de « croissance », pour analyser le rôle que jouent les relations spirituelles, à l’échelle individuelle et collective, dans la constitution de Qikiqtarjuaq en tant que communauté de chasseurs. Cette analyse constituera la toile de fond de mes observations sur la pratique locale du baptême du Saint-Esprit. J’entends montrer que la transformation pentecôtiste constitue désormais un élément central du processus contemporain de « guérison » et de restauration sociale chez les Inuit.

La constitution de la personne

Bernard Saladin d’Anglure montre dans son article Du foetus au chamane, la construction d’un «troisième sexe » inuit (1986 ; voir également 1988) que la naissance et l’enfance en particulier, soit les événements qui marquent les débuts de la vie humaine dans la réalité physique, offrent un point de vue central sur la cosmologie et la vie sociale inuit. Lors de la naissance d’un enfant, les relations fondamentales entre le monde des humains et celui des esprits s’imbriquent pour constituer la personne humaine.

L’interconnexion des domaines spirituel et social dans la mythologie

Entretenir des relations sociales et spirituelles nécessite d’une personne, d’une famille ou d’une collectivité qu’elle suive un comportement réglé lors des rituels et au quotidien (Stuckenberger 2005). Un bref coup d’oeil à la mythologie inuit nous rappelle que l’observance des règles y est intrinsèque à la création du monde tel qu’il est. En effet, beaucoup de légendes décrivent comment, au fil de l’apparition de nouveaux éléments dans le monde évoluant par métamorphoses successives depuis Nuna (« Terre ») et Sila (« Ciel ») – souvent dues à la cruauté et à la souffrance humaines – ont été instaurées de nouvelles règles pour régir les liens qui unissent les Inuit à ces nouveaux éléments ou les relations que les Inuit entretiennent entre eux (voir, par exemple, Saladin d’Anglure, 1990). Le manquement à ces règles peut mener au désastre : retrait des animaux, mauvais temps qui entrave la chasse ou maladie frappant le campement. Autrefois, il incombait au chaman de remédier à toute violation susceptible de détruire ces relations complexes et fragiles (voir, par exemple, Rasmussen 1929, 1931).

Aujourd’hui, se conformer aux règles de bonne conduite est encore perçu comme crucial pour le bien-être individuel et collectif, tant dans la sphère sociale que spirituelle. Ainsi, il faut observer le sabbat, partager le gibier, rester modeste à l’issue d’une chasse fructueuse et se montrer généreux (Stuckenberger 2005). L’établissement et le maintien des relations avec les autres, avec Dieu et avec les animaux sont des objectifs essentiels de l’éducation des enfants inuit (voir, par exemple, Briggs 1991, 1998 ; Saladin d’Anglure 1088 ; Stern 1999 ; Stuckenberger 2005).

De l’enfance à l’âge adulte, à la vieillesse et à la mort

La naissance d’un être humain se répercute sur des relations primordiales tant dans la sphère sociale que dans la cosmologie du monde inuit. Un enfant est conçu par l’union d’un homme et d’une femme et s’incarne dans un corps physique, le timi. Cet enfant est lié à Dieu par le tarniq (« l’âme ») et l’anirniq (« l’esprit, le souffle »). Il naît et grandit au sein d’un vaste réseau de parenté et d’alliances. Il est lié à ses ancêtres et à la famille vivante de ces ancêtres grâce à l’atiq (« le nom ») dont il hérite. Cet enfant est associé à Nuna (« la terre ») de par le lieu de sa naissance ou de l’endroit où il grandit et, du moins selon les croyances d’autrefois, à Sila (« les cieux, le ciel, le temps ») par la saison et le temps qu’il fait au moment de sa naissance. Son corps reçoit sa force du gibier qui, traditionnellement, fournit aussi aux humains chaleur, vêtements et abri (Saladin d’Anglure 1980 : 37, 1986 : 72, 1990 : 89 ; Stuckenberger 2005). C’est la combinaison de tous ces éléments qui permet à l’enfant de s’intégrer à la société inuit.

Néanmoins, les enfants doivent développer leur propre identité sexuelle (Condon et Stern 1993), ne peuvent procréer et n’ont pas, dans un premier temps, à obéir aux règles, car on les croit dépourvus des capacités mentales nécessaires pour distinguer les bonnes actions des mauvaises (Briggs 1998 ; Stern 1999). Cela suppose également que leurs agissements ne peuvent détériorer les relations entre les êtres ou les mondes.

L’enfance et les liens spirituels

Dans les années 1920, Najagneq, un Inuk de l’île de Nunivak (Alaska), expliqua à Ramussen que l’esprit de Sila, « l’univers » et « le temps », parle aux enfants (Rasmussen 1927 : 385-386). Jolles écrit que chez les Yup’ik de Savoonga, en Alaska, on estime les enfants si purs que l’être suprême Apa/Dieu ne pourrait s’offenser de leur présence ou d’une demande fervente de leur part. Pour cette raison, lorsque la communauté est en détresse, la prière d’un enfant est réputée être particulièrement puissante (Jolles 2002 : 176).

Ce statut spirituel privilégié de l’enfance se traduit également par le fait que d’importantes figures religieuses sont représentées comme des enfants, à l’instar de l’esprit du temps Narssuk (voir par exemple Rasmussen 1931 : 230-231) ou du nouveau-né Jésus.

La croissance

Le passage de l’enfance à l’âge adulte est un processus complexe, et je n’aborderai ici que quelques aspects centraux directement pertinents pour la présente étude. Traditionnellement, on croyait les enfants particulièrement vulnérables à la maladie et à la malveillance des esprits. Les injonctions rituelles, les amulettes et la transmission des noms servaient à pallier cette fragilité et à lier solidement l’âme du bébé à son existence physique. Aujourd’hui, on prend bien soin de garder l’enfant au chaud, bien nourri et heureux, et la plupart des femmes portent encore leur enfant dans l’amauti (parka de femme) près de leur corps pour favoriser son confort et son bien-être émotionnel.

On considère que la formation active de l’esprit, des émotions, des talents et du caractère d’un enfant commence très tôt. Dans la culture inuit, le corps et la personnalité du nouveau-né et même de l’embryon sont fortement influencés par le comportement de la mère et par la façon dont celle-ci est traitée (Boas 1901 ; Briggs 1991). De même, le choix d’un nom permet de « transférer » les traits de caractère et les attributs physiques de la personne décédée à l’enfant qui hérite de son nom. La sage-femme qui aide la mère à accoucher joue aussi un rôle important pour le développement de l’enfant, en ce qu’elle a recours à des mots et à d’autres techniques pour attirer sur l’enfant des qualités physiques et morales ou des talents (Ekho et Uqsuralik 2000).

Le baptême anglican ou le rituel de dévotion pentecôtiste accompli quelques semaines après la naissance, plus rare, constitue un événement important, car il permet d’introduire l’enfant à une relation chrétienne avec Dieu. Tout comme les relations de l’enfant avec sa parenté sont fonctionnelles et ne peuvent être compromises par des agissements inappropriés, il en est de même, dans l’esprit inuit, pour sa relation avec Dieu.

À mesure que ses capacités mentales, émotives et physiques évoluent, l’enfant se transforme graduellement en adolescent qui se soustrait à l’autorité de ses parents pour se tourner vers ses pairs. Selon Condon, cette étape est nouvelle et est apparue dans la foulée des changements sociaux et économiques radicaux qui ont secoué les communautés inuit depuis le milieu du XXe siècle (Condon, 1990). Cette indépendance que manifestent les adolescents est souvent perçue comme prématurée et donc socialement et spirituellement dangereuse par les aînés de Qikiqtarjuaq. L’autonomie dans la prise de décision et la responsabilité dans la communauté et sur le territoire ne s’acquièrent à leurs yeux que plus tard, lorsque les jeunes devenus adultes fondent leur propre famille.

Chez les Inuit, la capacité de l’individu à préserver ses relations et son âme des répercussions néfastes entraînées par de mauvaises actions constitue la pierre angulaire de la réussite. Plutôt que de considérer chaque écart de conduite comme un cas isolé qu’il faut traiter de façon ponctuelle, les Inuit pentecôtistes considèrent que les humains perturbent inévitablement leur relation initiale avec Dieu. C’est pourquoi chaque personne doit passer par la « guérison », c’est-à-dire opérer une transformation consciente vers un « nouveau soi » qui permet à l’« ancien soi » de mourir et à la personne « née de nouveau » d’instaurer avec Dieu une nouvelle relation.

Relations sociales et spirituelles et constitution d’une communauté de chasseurs à Qikiqtarjuaq

Le village

Dans les années 1950 et 1960, les Inuit, qui vivaient jusqu’alors dans des campements, ont été transplantés dans des établissements gouvernementaux centralisés. Le passage d’une vie nomade à la sédentarisation a bouleversé les conditions de la vie sociale inuit. À Qikiqtarjuaq, ce processus s’est accompagné d’un déplacement parfois forcé, de la destruction matérielle des campements dans le nord et le sud de l’île et de migrations d’ordre pragmatique depuis la région de Pangnirtung. Au sein de la communauté, les premiers temps de cet établissement sont perçus différemment selon la manière dont ces déménagements ont été vécus. Certains aînés racontent qu’ils en ont profité pour acquérir des biens, gagner de l’argent et envoyer leurs enfants à l’école toute proche ; d’autres ont vécu cette période comme un déracinement accompli sous la menace et le mensonge. Par ailleurs, les membres des différents campements n’étaient pas toujours en bons termes et leur rassemblement dans un seul village a accru les occasions de tensions. De nombreux Inuit pensent que le contexte qui a entouré la création de Qikiqtarjuaq continue d’influer sur la vie communautaire et les relations interpersonnelles et conditionne l’attitude ambivalente de ses habitants à l’égard de leur nouvelle communauté. Beaucoup estiment en outre qu’au-delà du bouleversement des conditions sociales et économiques, les tensions qui persistent dans la communauté contribuent au fort taux de suicide à Qikiqtarjuaq.

Les villages centralisés comme celui de Qikiqtarjuaq ont été créés selon un modèle et des structures administratives totalement étrangers aux Inuit. La gestion à l’occidentale de ces petites communautés visait à intégrer la société inuit, fondée sur une économie de chasse, à la société dominante, soit à transformer les nomades en citoyens. Les Inuit se sont rapidement adaptés à ces conditions sociales et économiques nouvelles et, après seulement 50 ans, ont réussi à s’imposer dans les institutions politiques et à développer une économie mixte de commerce et de subsistance qui s’appuie généralement sur la division du travail au sein de la famille. En même temps, les communautés doivent continuellement s’adapter pour parvenir à concilier différents mode de vie : pour se procurer un équipement de chasse moderne, par exemple, il faut un revenu substantiel. Par ailleurs, le taux de chômage avoisine 20 % et l’économie ne se développe que lentement. De même, tout en souhaitant une bonne éducation pour leurs enfants, parents et aînés s’inquiètent de ce que les jeunes connaissent et explorent de moins en moins leur territoire. Quelles qualités et quelles connaissances faut-il à un Inuk pour profiter des nouveaux modes de vie tout en préservant une identité culturelle différente de celle des sociétés urbaines et rurales du sud? Quelle forme donner à la vie communautaire?

De fait, la perception inuit de la communauté et des pratiques qui y ont cours a moins changé que ce à quoi on aurait pu s’attendre. Les habitants de Qikiqtarjuaq ont encore un mode de vie nomade, même s’ils vivent dans une communauté semi-permanente. Le partage, la générosité et la coopération continuent d’être hautement prisés et pratiqués, et le bien-être collectif s’avère l’une de leurs principales préoccupations. Comme je l’ai montré dans mon étude de 1999-2001, les Inuit formulent toujours la perception qu’ils ont d’eux-mêmes en des termes cosmologiques qui insistent sur les relations à Dieu, à la terre et aux animaux. Dans ce contexte, les liens qu’ils entretiennent avec le territoire et le monde animal continuent de constituer une condition nécessaire au bien-être individuel et collectif (Stuckenberger 2005).

La chrétienté à Qikiqtarjuaq

Le village de Qikiqtarjuaq a été exclusivement desservi par l’Église anglicane jusque dans les années 1980, date à laquelle les croyances et les pratiques pentecôtistes ont été introduites dans le Nord, où elles ont fait un grand nombre d’adeptes depuis vingt ans. Si la majorité de ses habitants se disent chrétiens « nés de nouveau », presque tous sont encore membres de l’Église anglicane. Lors d’événements communautaires comme les célébrations de Noël ou du Nouvel An, par exemple, le service anglican traditionnel est perçu comme plus approprié pour rejoindre tous les membres de la communauté (Stuckenberger 2005 : 142-143, 147-148). Ainsi, l’assistance à ces services ne reflète manifestement pas les croyances ou les pratiques religieuses.

Le pentecôtisme mondial

Dans ses aspects les plus divers, le pentecôtisme[5] est le mouvement religieux dont l’expansion est la plus rapide dans le monde d’aujourd’hui. Né il y a un peu plus d’un siècle, il a calqué sa structure sur divers mouvements religieux comme le piétisme, le mouvement morave ou celui de l’Illumination, le méthodisme ou le protestantisme afro-américain. Barrett et Johnson (2003) estiment que le nombre de pentecôtistes dans le monde s’élève à environ cinq cent millions, soit environ 25 % de toute la chrétienté. C’est en Afrique, en Amérique latine et en Asie que l’on retrouve le plus d’adeptes de ce mouvement, caractérisé par l’idée que l’expérience individuelle prime sur la théologie officielle et qu’il faut rechercher la présence immédiate de Dieu en communiant avec le Saint-Esprit. Cette rencontre divine est présumée résulter en la transformation de la vie et l’amélioration des compétences spirituelles et sociales, souvent associées à des pratiques de santé et de bien-être (Anderson 2004 : 1-14, 188-189, 201 ; Robbins 2004).

Divers mouvements se sont développés autour de ces caractéristiques fondamentales. Selon Anderson, cette diversité elle-même serait devenue un trait définitoire de l’identité pentecôtiste et charismatique (Anderson 2004 : 1) :

The large range of beliefs and practices evolves from the ease with which locally relevant religious traditions (including pre-Christian religious featu-res) that have permeated local ways of life are incorporated in evangelical ministries ; in the process, these local ways of life are invested with new meaning. As a result, cultural values are taken into account and the gospel [is made] relevant to the current situation of social change and new economic and political contexts.

Anderson 2004 : 203[6]

L’approche holistique du pentecôtisme, qui relie les croyances et les pratiques religieuses aux conditions spécifiques de la vie spirituelle et sociale locale et aux besoins des individus, compte sans doute également pour une part dans le succès de ce mouvement.

Le pentecôtisme à Qikiqtarjuaq

Le mouvement pentecôtiste a été introduit dans le Nord par le révérend John Spillenaar de l’Arctic Mission Outreach[7], à compter des années 1950. En 1956, Kayy Gordon, membre du Glad Tidings Tabernacle de Vancouver, établissait également sa mission dans l’Arctique occidental, d’où elle a par la suite étendu son travail vers l’est. Néanmoins, les missions pentecôtistes n’ont atteint l’île de Baffin qu’à partir des années 1980, après que Kayy Gordon y ait organisé un « colloque biblique ». Ce colloque a incité plusieurs leaders religieux ou locaux à se convertir, et le mouvement a rapidement pris de l’ampleur.

Pauloosie Kunilusie, alors lecteur laïque anglican, leader politique, chasseur et homme d’affaires accompli, figurait parmi l’assistance de ce congrès. Parlant de sa carrière religieuse, il choisit un topos traditionnel pour décrire l’expérience qu’il a fait de la famine et de la misère durant son enfance et exprimer le souhait d’une vie d’où la faim serait exempte :

When I was about eleven or twelve years of age, my father died, and we were hungry and we had nothing to eat. […] As a naive child I imagined I would leave the camp and live somewhere else. […] I would be able to support myself and my family. … I grew up and got married, I moved to another place where I am now. I have my own business and am able to support my family and not let my family go hungry.

Pauloosie Kuniloosie 2000, dans Stuckenberger 2005 : 66-67

Ce souhait d’une vie meilleure trouve son épitomé dans le domaine social : il s’agit d’établir une famille et de subvenir aux besoins de cette dernière. Pauloosie Kunilusie a compris, à un certain moment, l’origine cosmologique de son entreprise. Inspiré par son expérience d’enfant puis par les prêches de Kayy Gordon, il s’est fait entrepreneur à la poursuite d’une mission divine :

Nowadays, I recognize that God gave me those thoughts, because HE had a purpose for me, and the purpose for me was to start a church [and] when I started up my business. And my family is not hungry, I am not hungry, because my goal was to be able to support my family […]. At that time nobody really understood the Bible. As we started to learn about the Bible, we started to believe in God. […] I saw myself changing and my family didn’t recognize me anymore and therefore they were against what I was doing and they assumed that it was not a real thing. Finally, my family started to accept things.

La vie familiale est au coeur du mode de vie social et spirituel inuit. Pauloosie Kunilusie parle de sa carrière comme du passage de l’enfant à l’adulte pourvoyeur. Fort d’une nouvelle compréhension, il a commencé une « nouvelle vie » – sa famille ne le reconnaissait plus – et est devenu leader religieux. Même s’il évoque son développement personnel, sa famille joue un grand rôle dans la description qu’il fait de son expérience. Tout d’abord, il ancre son idéal familial dans la famille de son enfance ; il décrit ensuite la famille qu’il est parvenu à établir à l’âge adulte, puis l’expérience douloureuse du désaccord de cette dernière lorsqu’il devient leader religieux ; enfin, la famille réconciliée marque le passage vers l’accomplissement de sa tâche spirituelle.

En 1989, Billy Arnaquq, neveu de Pauloosie Kunilusie et fils de Silasie Angnako, qui a appuyé activement ce nouveau mouvement en tant que leader, a suivi sa formation au Ross Maracle’s National Native Bible College (à Dese-ronto, en Ontario). Il a remplacé Pauloosie Kuniloosie et a établi une Église du plein Évangile à Qikiqtarjuaq, avec l’aide financière du Harvest Field Ministry de Roger Armbruster.

Beaucoup des croyants anglicans et l’Église anglicane elle-même se sont d’abord opposés aux nouvelles croyances. On a mis en garde la population contre les missionnaires évangélistes voyageurs en les associant aux faux prophètes dont l’arrivée préapocalyptique avait été annoncée dans la Bible (Stuckenberger 2005).

Peu à peu, cette opposition s’est estompée. Néanmoins, certaines personnes émettent encore des doutes quant aux origines de ces nouvelles croyances. D’autres s’inquiètent des risques que pourraient présenter le fait d’être « trop religieux » : ils craignent qu’une trop grande assiduité à l’égard des pratiques religieuses et une adhésion totale aux préceptes pentecôtistes occasionnent le retrait de la vie sociale ou conduisent une personne à négliger de nourrir ses enfants, de passer du temps avec eux ou de leur apprendre à se comporter de manière adéquate. De plus, ils estiment qu’une telle personne serait plus vulnérable aux attaques d’esprits malveillants. À leurs yeux, ce mouvement évangélique, loin d’offrir une solution aux difficultés de la communauté, pourrait les aggraver de par l’envergure des répercussions sociales occasionnées par les conversions individuelles.

Les transformations à l’oeuvre au sein de l’Église anglicane

En pratique, l’Église anglicane a peu à peu adopté nombre des idées véhiculées par le pentecôtisme, et la plupart des ministres anglicans inuit et des lecteurs laïques au Nunavut ont reçu le baptême du Saint-Esprit et intégré à leur travail les nouvelles pratiques.

L’adoption de ces nouvelles façons de faire a entraîné la diversification du caractère des services. Le service du dimanche matin, auquel assistent essentiellement les personnes âgées, suit les pratiques anglicanes anciennes. Les jeunes sont plus enclins à assister aux services de la fin d’après-midi ou du soir, qui comprennent des éléments pentecôtistes tels les chansons et la musique rock légère instrumentale, qui invitent à danser et à frapper des mains, ou les manifestations charismatiques. Les célébrations locales qui comportent un service religieux, comme la fête de Noël, se déroulent selon la manière anglicane traditionnelle, considérée comme plus susceptible de rejoindre l’ensemble des paroissiens, ce qui souligne l’extrême importance que l’on accorde à la participation de tous en ces occasions. Cette diversification des styles de service permet ainsi à chacun de participer selon ses préférences, d’ailleurs rarement exclusives.

Loie Mike, première femme inuk à avoir été ordonnée ministre anglicane à Qikiqtarjuaq (elle était déjà chrétienne « née de nouveau »), en 1998, fait partie de ces leaders religieux qui ont très tôt intégré les pratiques évangéliques dans l’Église anglicane. Pour elle, cette transformation s’explique par le fait que les croyances et les pratiques chrétiennes introduites par les missionnaires anglicans ont mûri et évolué :

I am reading an interesting book about [Rev. Peck] right now. He thought : « Poor Inuk, doesn’t know much ». So, he did everything for them. […] The first Christian life grew. And then he left. Then they thought whoever came after him should be like him. So all the priests after him ever since have been like this: do this, do that, that’s what you have to do.

Loie Mike estime que cette évolution collective prend sa source dans la transformation d’individus désireux de s’affranchir des pratiques fixées par la tradition qallunaat en matière d’écriture et de rituels religieux :

Traditionalism is a dead faith of the living. For a long time […] they did everything according to the service book. And if anything else happened outside of what is supposed to happen according to the service book, it is not of the Church […]. You don’t expect a tree to be [the same] height all the time. It grows. It also says in the word of God, you will grow lots of branches that even birds will nest in it. Well, it has to start with one nest, then two nests, then three nests. All these join together.

Bien qu’ils adhèrent à une telle vision, la plupart des nouveaux convertis de Qikiqtarjuaq n’ont pas l’intention de s’affranchir de leurs liens avec l’Église anglicane et soulignent que la continuité doit servir de cadre au changement. À cet égard, le choix des mots que fait Loie Mike est intéressant : elle a recours, pour exprimer le changement et la continuité du mouvement chrétien, à l’image d’un enfant qui grandit et doit apprendre à penser et à prendre des décisions, afin de devenir un adulte autonome. Pour les croyants charismatiques, c’est sur cette relation dynamique entre changement et continuité que se construit leur « nouvelle » identité en tant qu’individus, membres de la communauté et Inuit.

Naître de nouveau chrétien

Lorsqu’ils décrivent leur « vie d’avant », les Inuit pentecôtistes disent souvent qu’ils n’étaient plus capables de pallier les perturbations de leurs relations sociales et spirituelles. Les pratiques anglicanes, estimaient-ils, ne leur donnaient pas les moyens de surmonter leurs difficultés. Le pentecôtisme, en revanche, leur offrait selon eux de nouvelles façons de restaurer leur lien avec Dieu, par un processus au cours duquel ils avaient pu retrouver certaines caractéristiques de nutaraq (« l’enfant »), lexicalement relié à nutaaq (« ce qui est nouveau »), dont l’association évoque le recommencement.

Cette idée de recommencement et de renaissance qui est au coeur des croyances, des pratiques et de la terminologie pentecôtistes se retrouve également dans les croyances et les pratiques inuit chamaniques et pré-pentecôtistes. L’idée que la guérison peut survenir si la personne change d’identité cosmolo-gique n’est pas nouvelle chez les Inuit (voir, par exemple, Boas 1888 : 612, 1907 : 494-495 ; Nelson 1900 : 289 ; Rasmussen 1931 : 150). De plus, les apprentis chamans passaient souvent par des épreuves d’exposition ou de mort symbolique et de renaissance qui étaient censées les rapprocher du monde des esprits duquel ils recevaient un nouveau savoir, de nouvelles compétences ou une aide spirituelle (voir, par exemple, Rasmussen 1930 : 51, 1929 : 121-122).

Aujourd’hui, chaque année, la communauté de Qikiqtarjuaq remplace les relations sociales et spirituelles détériorées par de nouveaux liens au cours des célébrations de Quviasuvik (« Jour heureux, Noël) qui célèbrent la naissance de Jésus (Stuckenberger 2005).

De fait, cette succession de « mort » et de « renaissance » fait partie d’un schéma cosmologique plus vaste du cycle éternel de la naissance, de la mort et de la renaissance qui s’applique autant aux humains qu’aux animaux (voir, par exemple, Saladin d’Anglure 1988, sur la réincarnation). La participation à ce cycle est marquée, notamment, par la reconnaissance d’« événements premiers » tels le premier animal abattu, pour un garçon. Cette occasion marque le début d’une nouvelle relation et d’une identité transformée – le garçon devient un chasseur grâce à sa contribution au cycle de la mort sans cesse renouvelée et de la renaissance subséquente du gibier, dont la communauté assure la continuité grâce au partage et à la consommation.

Récits de transformation religieuse

Les discours sur la transformation cosmologique de l’identité font référence à la fois au pentecôtisme, à la culture inuit en général et au cadre expérientiel. Cela dit, il est nécessaire de bien délimiter notre approche de l’expérience de la transformation. Les techniques de recherche actuelles ne permettent pas d’étudier les aspects physiques, mentaux et émotionnels des transformations religieuses en temps réel ; seules les représentations linguistiques de ces expériences peuvent faire l’objet de notre analyse. David Yamane souligne en effet qu’expérience et récit rétrospectif n’entretiennent que des liens très lâches (Yamane 2000 : 171). Selon lui, la narration permet de donner un sens à une expérience religieuse et de l’inscrire dans le cadre de schémas et de pratiques reconnaissables.

Le topos du passage d’une « ancienne vie » à une « nouvelle vie » se retrouve dans les récits de conversion au pentecôtisme du monde entier (voir, par exemple, Saunders 1995, et Coleman 2003). Comme l’objectif du présent texte n’est ni comparatif ni conceptuel, mais descriptif, nous nous attarderons sur la signification culturelle de ce thème dans le contexte de la communauté de Qikiqtarjuaq.

Rencontres bibliques, services religieux ou cérémonies constituent autant d’occasions de raconter des récits de transformation religieuse. Le narrateur ou la narratrice raconte généralement comment il a pris conscience de l’aspect destructeur de son ancienne vie, le vif désir qu’il a eu d’en changer, le récit culminant avec le passage à une nouvelle vie qui s’est traduite par une meilleure santé, une conscience et une proximité spirituelles plus grandes et l’amélioration des relations sociales du prosélyte. Si la plupart des convertis disent avoir expérimenté ces étapes, chaque récit demeure spécifique à celui ou celle qui le narre.

Beaucoup d’Inuit font remonter leur transformation à un rêve qui leur aurait donné une perception extraordinairement claire d’eux-mêmes. Après un laps de temps plus ou moins long qui a suivi cette expérience, ils ont pris part à un groupe d’étude de la Bible, se sont mis à fréquenter l’église jusqu’à deux fois chaque dimanche et se sont confessés de leurs mauvaises actions à un leader religieux ou à la congrégation. Plusieurs expriment avoir souhaité d’être soulagés de leurs péchés « par le sang de Jésus sur la croix » et cherché à établir une « relation personnelle avec Dieu », relation qui a trouvé sa première expression dans l’expérience de quviasuktuq anirnimi ijjunaittumi (« l’excitation suscitée par le fait d’être rempli du Saint-Esprit ou d’avoir été touché par lui »). Cette transformation totale aurait résulté en un « nettoyage » et une « guérison » qui les auraient débarrassés de l’impact des conflits et des inconduites du passé. Certaines personnes associent ces expériences au processus de nutaani anirn-giangujuq (« naissance dans l’Esprit ») ; d’autres associent leur « renaissance » au baptême du Saint-Esprit.

Les personnes qui ont éprouvé l’un de ces contacts avec le Saint-Esprit parlent souvent des dons qui leur ont été offerts durant ce processus, tels une vision plus nette de la réalité physique et de la vie intérieure des autres ; le don de guérison ; la capacité de discerner les esprits bons des esprits mauvais ; le tusarnataqtuq (« la glossolalie » ou le « parler en langues ») ; le « saint rire » et la « flamme sainte ». Ces dons peuvent être d’importance secondaire, à l’instar de la « flamme sainte », ou s’instaurer durablement chez l’individu, à l’instar du don permettant de distinguer les esprits.

Ces traits génériques des récits inuit de transformation religieuse se retrouvent exemplifiés dans les extraits suivants du récit de Sami Qappik[8] :

I saw my life, how I lived it and then I saw a life that was, wow, that was beautiful. In my life I used to do drugs, alcohol, little bit of gambling, sometimes break and enter. … When you are not happy, your room seems to be very dark. There is no joy and happiness. Your body feels down, the whole house is fuzzy and grey. The house follows that person.

Sami Qappik, dans Stuckenberger 2005 : 87-88

Sami Qappik perçoit un lien entre son affliction et l’état de la maison où il vit, en particulier sa luminosité. L’idée que « la maison suit la personne » – par exemple il y fait plus sombre lorsque les habitants éprouvent de sérieux problèmes ou sentent la présence d’un démon – est largement partagée à Qikiqtarjuaq. L’individu fait partie d’un tissu de relations qui s’expriment également dans le monde matériel du foyer.

Une telle conception existait déjà dans les campements du temps passé, lorsque l’habitation était au coeur de la famille, de la vie sociale et des rituels chamaniques[9]. Celle-ci constituait le centre de la vie familiale puisqu’elle servait d’abri, de lieu de rassemblement, d’endroit pour manger, recevoir des visiteurs et dormir. Toutefois, le confort du foyer dépendait de l’habileté du chasseur à ramener de la nourriture et de la graisse pour faire brûler le qulliq (« lampe à huile de phoque ») qui servait à s’éclairer, à se chauffer et à cuisiner (voir également Boas 1888 : 574). L’issue de la chasse ne dépendait pas seulement de l’expérience et des compétences du chasseur, mais aussi de l’aptitude de ce dernier à maintenir des relations productives dans le monde social, animal et spirituel. Le qulliq non seulement constituait le centre du foyer comme nous venons de le décrire, mais il jouait également un rôle dans les performances chamaniques au cours desquelles, par exemple, on tamisait ou on intensifiait la lumière (Boas 1901 : 144-145). Traitée correctement, la maison était censée protéger ses habitants non seulement du froid, mais aussi des êtres spirituels dangereux comme les esprits démoniaques des morts (Boas 1888 : 590-591).

Aujourd’hui, l’habitation, quoique très différente et permanente, remplit encore toutes ces fonctions cosmologiques. C’est peut-être la raison pour laquelle les récits de transformation religieuse utilisent souvent le topos du foyer et de la maison pour décrire la situation dans laquelle l’individu se trouve plongé.

Sami Qappik, devenu conscient de ses problèmes spirituels et sociaux à la suite d’une vision, décide qu’il doit les régler et traiter sa maison. Il souhaite que le bonheur et la lumière reviennent :

I said let someone go and pray to my house. […] They prayed for me first. [Afterwards] my house would be prayed for. Something unusual came out from me. […] Maybe an angel took it away from me. […] There was warmth all around my body, a warmth which made me happy. […] A small little light was going through the room, entering my heart. My heart was burning. I started crying, sitting on the couch. I rarely cried before. They started to pray on the house. Making crosses on the walls, using tap water which they spoke prayers about.

Les effets du traitement sont immédiatement perceptibles à tous ceux et celles qui sont présents : « After finishing praying for the house, my mother told me to see my room. The lights were on, but it was brighter than normal. […] The glory of God shone in the whole house ».

Soulagé, il constate que sa nouvelle relation personnelle avec Dieu trouve son expression dans une maison plus lumineuse, des relations sociales améliorées, un meilleur contrôle de lui-même, une conscience plus aiguisée et une vision accrue qui dépasse les limites de la réalité physique :

I walked out in a different community. […] I had always walked face down. I saw perfect corners at houses, corners in windows, which were perfect. […] That Sunday, when they read the same stuff at the Anglican Church, the words became alive. They touched my heart. I just cried. […] I started to feel for people. I know when they need help ; I know their pain ; I can feel it. […] Christians are one body, one spirit. All are one person.

L’expérience de cette soirée modifie la perception qu’il avait de lui-même, de sa maison, du village, de ses relations sociales et des pratiques et croyances religieuses. Il décide alors de se soumettre au baptême du Saint-Esprit et de travailler bénévolement pour l’Église. Il finit par devenir responsable des jeunes à l’église anglicane.

Le baptême du Saint-Esprit – mort et renaissance du converti

Comme le montre l’exemple de Sami Qappik exposé ci-dessus, la transformation pentecôtiste se répercute autant sur la personne que sur la communauté. Comment représente-t-on et aborde-t-on ces traits individuels et sociaux pour décrire le baptême du Saint-Esprit? Sami Qappik explique ce que constitue pour lui le but principal de ce baptême : « The old self dies, the old person dies. […] The old self is crucified. Baptism symbolizes that the old life is dead and the new life comes ».

Le « soi » résulte des agissements individuels. À mesure qu’il évolue, il façonne l’aptitude de la personne à établir et à maintenir des relations sociales et spirituelles. Si le « vieux soi » devient dysfonctionnel, il doit, dans l’esprit des Inuit pentecôtistes, être remplacé par un « nouveau soi » et par de nouvelles relations. Knud Rasmussen (1929 : 131-142), qui a déjà décrit cette interconnexion de l’individu et du groupe dans les rituels de guérison, observait ainsi une séance chamanique de guérison chez les Aivilingmiut de l’île Southampton en janvier 1923. L’auditoire répondait à la confession et à l’auto-accusation du patient par l’expression de sa bonne volonté et du désir qu’il puisse guérir de ses maux. Il s’agit là d’un élément important, étant donné que dans la société inuit passée et présente, ceux et celles qui n’agissent pas correctement sont généralement ignorés. Par la confession publique, le patient redevient une personne qui compte. Ainsi, ce rituel accomplissait la réintégration sociale et cosmologique du patient en éliminant tous les obstacles qui auraient pu empêcher la guérison (Oosten 1989 : 337).

Si les relations sociales concernent des configurations temporaires, l’aspect cosmologique de la transformation porte sur la vulnérabilité de l’âme permanente en regard des conduites humaines. Billy Arnaquq, pasteur de l’église Full Gospel, explique :

The soul is our own spirit, spirit of God, your real you. […] It is important to have respect for others. Be careful with being pushy. It is a spirit matter. […] Everything that we do starts in the spirit, then it manifests [in the world]. When we change toward our spirit being we change from corruptible into incorruptible, imperishable.

Pour sa part, la révérende Loie Mike décrit les aspects ontogéniques et sociaux de cette transformation dans les termes d’une modification permanente des relations familiales entre les mondes, mettant ainsi l’accent sur les liens qui unissent ces domaines :

Before Sin happened, we were like God. [Because of the Sin], the spirit, which was able to make man live like God, died. When you are born again, you are brought back into the paradise. New life begins. […] When you are baptized as a baby you are brought back into the family of God. When you grew up, you rebelled. So you must be born again in the Spirit. When you got baptized you are back in the family of God totally.

Le baptême du Saint-Esprit touche l’identité de l’individu, en ce que ce dernier est constitué par les liens qu’il entretient avec les divers domaines de la vie. Autrefois, les chamans guérissaient leurs patients en modifiant leur identité sociale et cosmologique grâce à l’imposition d’un nouveau nom. Boas, par exemple, décrit la pratique suivante, observée à Pond Inlet, au cours de laquelle le patient recevait le nom d’un esprit : « Then the angakok says, “ Let us cut this child’s navel-string”. […] Next the angakok questions the guardian spirit as to what taboo the man is to have in the future. […] By this performance the patient is “made new” » (Boas 1907 : 494-495). Aujourd’hui, la dénomination est encore étroitement liée à la formation identitaire de l’enfant inuit, tant dans la pratique qui consiste à donner aux enfants le nom d’un de leurs ancêtres que dans le baptême anglican et les cérémonies de dévotion pentecôtistes. À Qikiqtarjuaq, le baptême du Saint-Esprit ne s’accompagne généralement pas d’un changement de nom, bien que quelques convertis expliquent qu’ils ont dû apprendre leur « vrai nom », connu habituellement seulement de Dieu. Ce « vrai nom » n’est toutefois pas utilisé. Si les noms restent identiques, le baptême pentecôtiste, tout comme le rituel de guérison chamanique d’autrefois, transforme, croit-on, l’identité du patient en regard de ses relations sociales et cosmologiques. J’utiliserai l’exemple du service baptismal du 19 janvier 2000 décrit dans Stuckenberger (2005) pour illustrer ce constat.

Le baptême du 19 janvier 2000

Partie 1 : La préparation

Le pasteur Billy Arnaquq et le groupe anglican d’étude de la Bible dirigé par Imona et Uluta Kuksiak préparent plusieurs jeunes hommes et femmes en vue de leur baptême ; les upirlirtuit (« ceux et celles qui étaient pêcheurs et sont devenus croyants, les convertis ») se réunissent dans une salle adjacente à l’église et se préparent par une prière. Pendant ce temps, la nef se remplit des parents, des amis et d’autres membres de la communauté. Si l’on excepte les mariages, il y a longtemps que l’Église du plein Évangile de Qikiqtarjuaq n’a pas été aussi remplie que ce soir-là, ce qui souligne le contexte spirituel et hautement public de ce rituel de transformation censé changer les liens des convertis avec la société et le monde des esprits.

Les discours font partie intégrante du rituel. Le pasteur Billy Arnaquq découvre le vaste bassin d’eau dans lequel les prosélytes vont bientôt être immergés. Il rassure l’assistance quant à l’approbation de l’ensemble de la communauté en évoquant les débuts du mouvement pentecôtiste :

My wife, as well as Silasie Alikatuqtuq, and I were the first three people to be baptized, in 1981 I believe it was. At that time, most people were against our religion and now people say that they rejected something which is gentle, full of love, and beautiful.

Après avoir réitéré les liens qui rattachent le baptême à la tradition chrétienne, il poursuit :

I bought holy water in Israel and it will be added to the water that we will use for baptizing these people. It is from Jesus’ birthplace. […] If anyone wants to talk about his or her experience being baptized – they will all be blessed and will be happier[10].

Partie 2 : Les témoignages

Quatre personnes, toutes des aînées, qui occupent des fonctions de premier plan dans l’Église anglicane et sont pour la plupart parents des prosélytes, acceptent l’invitation du pasteur. Le premier, Jacopie Kuksiak s’adresse à la congrégation :

I used to pray to God seeking for His guidance […] but He did not listen to me. I got upset at God. […] Fear came to me and fear was directed to me and to others. If I am going to be like this, […] I have no power whatsoever. And I started to fear God and I said : « Do what you please to me, to my family and children ». […] I heard that there was going to be a baptism service. And out of nowhere, I got up, went to church and practically jumped into the water. Baptism is very good. I’ve never told my children to do this and that. I just waited for them to make their own choice and now one of my children is one of the ones who will be baptized.

À l’aide d’un récit de transformation religieuse, Jacopie Kuksiak décrit comment il est passé d’une relation dysfonctionelle à une relation fonctionnelle à Dieu et souligne les répercussions que sa conversion a eues sur sa famille. Leetia Kuksiak, son épouse, fait un récit semblable. Billy Arnaquq évoque le thème de l’« enfant » à l’égard de Dieu : « God asks us to come to Him from childhood on. God uses children although they are just children. » Ensuite, Loasie Kunilusie profite de l’occasion pour expliquer le sens de ce baptême :

Getting baptized is cleansing ourselves from all the dirt that has smeared our soul. When we are baptized, it is a beginning. The « old us » is killed and the « new us » arises.

La dernière personne à prendre la parole est Yukipa Audlakiak, qui souligne également la connexion entre la relation individuelle à Dieu et sa pertinence pour la famille, en parlant de son fils comme d’un nouveau-né : « God answered my prayer. I have given God permission to do with my children as he pleases. I think of my son when he was an infant ».

Arnaquq conclut cette partie du baptême en témoignant des liens qui existent entre l’être physique et les mauvaises actions et de l’importance du renouveau spirituel :

My father-in-law, Pauloosie, used to have major rash and mucus would come out of that spot and it was gross, it couldn’t heal. After he had been baptized, that same evening, he was healed. […] The old life will decay and new life will surface.

Partie 3 : L’immersion

Après les chants et la lecture de la Bible, la cérémonie se poursuit par l’immersion totale des convertis dans le bassin. Les jeunes gens sont appelés en avant un par un, pendant que la congrégation entonne des chants sacrés. Billy Arnaquq prononce la formule baptismale et, avec Lootie Toomasie, alors maire de Qikiqtarjuaq, enfonce la tête des prosélytes penchés vers l’arrière dans l’eau. Un moment plus tard, ces derniers émergent les mains levées, le visage illuminé, et poussent des cris de joie, éclatent de rire et louent le Seigneur. La congrégation semble touchée par cette vision et certains s’exclament avec les convertis ou applaudissent. Après avoir revêtu des vêtements secs, les nouveaux baptisés reprennent leur place dans l’assemblée pour observer leurs pairs.

Partie 4 : La conclusion

Peu après, la cérémonie se termine et les gens rentrent chez eux. Ce baptême visait selon eux à transformer les prosélytes en chrétiens « nés de nouveau » en les nettoyant de leur ancienne identité pour les laisser dans un état de recommencement et de pureté semblable à celui d’un nouveau-né. Cette nouvelle identité spirituelle et sociale doit s’interpréter à l’intérieur du cadre des conditions sociales contemporaines de la vie communautaire.

Faire face aux nouvelles relations

À ce stade de recommencement, on s’attend à ce que les prosélytes agissent conformément à une vision sociale et à des relations spirituelles nouvelles. En effet, il ne suffit pas d’établir des relations adéquates pour être un membre fonctionnel de la société : il faut également savoir comment les entretenir et avoir les compétences et la compréhension nécessaire pour le faire. Néanmoins, la manière et la nature de la « maturité » spirituelle (une expression souvent utilisée par Billy Arnaquq et Loie Mike) sont particulièrement controversées à Qikiqtarjuaq.

De même que l’âme d’un nouveau-né est perçue comme extrêmement vulnérable et nécessitant des soins et un apprentissage, on estime que l’adulte « né de nouveau » doit se soumettre à des pratiques comme la prière quotidienne et la lecture de la Bible et être supervisé par un leader spirituel pour affermir sa nouvelle condition. Contrairement à l’enfant, dont le comportement n’a aucune incidence sur les relations spirituelles, l’adulte qui échouerait dans son apprentissage de converti s’expose à de graves dangers, car les esprits démoniaques pourraient prendre avantage d’un novice zélé et inexpérimenté.

Maîtrise de soi et comportement adéquat

À cet égard, la maîtrise de soi et la capacité de prendre des décisions de manière autonome sont des compétences importantes, mais contestées. En effet, l’expression des émotions et le lâcher-prise, conformes aux normes traditionnelles du « comportement religieux », et l’acceptation du contrôle qu’exerce le Saint-Esprit sont essentiels aux pratiques pentecôtistes. Ainsi, les Inuit de Qikiqtarjuaq – même ceux qui se conforment aux prescriptions pentecôtistes – hésitent sur l’équilibre à trouver entre le lâcher-prise, la maîtrise de soi et le comportement juste. Comme il est de la plus haute importance de pouvoir déterminer quels sont les bons comportements et de s’y conformer, les leaders religieux jouent un rôle de guide extrêmement important à cet égard.

Savoir éviter d’être capturé par les esprits, rester maître de soi et de ses agissements même dans l’extase, à l’instar des leaders religieux, a toujours été important pour les Inuit. Pour y parvenir, la compétence sociale seule n’est pas suffisante ; il faut également savoir adopter une identité non sociale qui soit compatible avec la non-socialité du monde des esprits. Aux temps préchrétiens des campements, comme l’a décrit notamment Boas (1888), des processus de désocialisation étaient pratiqués dans les contextes chamaniques, par exemple lors de la Fête de Sedna. Afin de négocier avec les animaux ou les esprits non sociaux, les chamans abandonnaient leur propre soi social, revêtaient une identité non sociale et passaient d’une catégorie d’êtres à une autre. Comme l’a révélé mon analyse d’un concours humoristique à Qikiqtarjuaq durant la fête de Noël de 2000 (gagné par le leader pentecôtiste Pauloosie Kunilusie), ces aptitudes sont toujours hautement prisées dans cette communauté (Stuckenberger 2005 : 187-191). C’est pourquoi la conversion des Inuit au pentecôtisme correspond davantage à la modification des conditions intra- et extra-personnelles qui président aux processus de développement et d’affirmation identitaire de l’individu.

Rompre les relations

Tout le monde à Qikiqtarjuaq s’inquiète de la consommation de drogues et du suicide chez les jeunes. Lorsque les jeunes hommes et les jeunes femmes en difficulté font appel à la conversion spirituelle pour changer leur vie, les leaders religieux ne les repoussent jamais. Si ces derniers leur assurent le pardon de Dieu, ils les préviennent également que le baptême du Saint-Esprit constitue le début d’une relation à Dieu que l’on ne peut rompre impunément. En effet, une éventuelle rupture serait, selon eux, pire que la situation antérieure, dans laquelle le lien était perturbé mais n’avait fait l’objet d’aucun engagement. Néanmoins, il serait tout aussi dangereux de ne pas tenter de changer. L’entreprise est délicate pour l’ensemble de la communauté.

En théorie, la condition d’un chrétien « né de nouveau » est, dans l’esprit des Inuit, irréversible. En réalité, beaucoup de gens estiment que ce nouvel état est fragile (voir ci-dessus), doutent que la transformation soit « véritable », voire s’inquiètent lorsqu’un jeune s’engage dans ces nouvelles pratiques, parce qu’ils considèrent que les adolescents ne mesurent pas l’importance de persévérer et n’ont pas la capacité de le faire. Comme l’explique une femme d’âge mûr :

If they were getting the right message, why would they want to go back to drinking and doing drugs again? The biggest problem is that they felt really good about themselves for a little while you know, after being cleansed or whatever, but they have all these issues inside their head that they have to deal with.

Toutes les questions non réglées risquent d’être aggravées par le fait que beaucoup de jeunes et de chrétiens « nés de nouveau » écoutent des émissions de prédication télévisées ou suivent les recommandations de ces prêches ou de quelques leaders locaux qui les exhortent à ne pas se mêler aux chrétiens non reconvertis de crainte d’être contaminés par leur « mauvais » exemple, « mauvais » qualifiant ici davantage leur orientation religieuse qu’un comportement qui serait inadéquat selon les règles inuit. Cette ségrégation et l’isolement social qui en résulte ne sont pas bien vus dans la communauté, qui les considère comme impropres et dangereux en ce qu’ils perturbent les mécanismes de régulation sociale et les relations au sein de la communauté.

Le renouveau de la communauté par la conversion

Toutefois, la relation entre l’individu et la communauté n’est pas que risquée : elle est également productive. Aujourd’hui, la plupart des Inuit se perçoivent, en tant que groupe, comme une société de chasseurs caractérisée par des relations de coopération, de partage et de parenté et par l’intégration d’une dimension cosmologique au sein de laquelle les liens avec Dieu, la terre et les animaux jouent un rôle prépondérant (Stuckenberger 2005 : 209). Lorsqu’un individu renoue des liens spirituels et sociaux, c’est la communauté dans son ensemble qui en bénéficie. Les Inuit pentecôtistes croient que les nouveaux rituels religieux sont mieux à même de régler les sérieuses difficultés sociales occasionnées par les nouveaux modes de vie auxquels sont confrontés les villages actuels. Ainsi, Pauloosie Kunilusie estime que, depuis que les gens viennent à lui pour lui demander d’être bénis et que l’église est construite, les problèmes s’atténuent à Qikiqtarjuaq[11] et que ses habitants en prennent de plus en plus conscience (Kunilusie dans Stuckenberger 2005 : 71). Peepeelee Nutaralak, une chrétienne reconvertie âgée, affirme pour sa part : « If there were a lot of people who understood the meaning of the Holy Spirit and the flow of the Spirit, people would be able to communicate now and be able to work together as a whole » (dans Stuckenberger, 2005 : 92).

Dans cette perspective, la conversion pentecôtiste permet la restauration de leur société de chasseurs, en instaurant des relations spirituelles nouvelles. Les Inuit croient que cette nouvelle étape de leur développement spirituel est un don de Dieu. Beaucoup d’entre eux estiment que ce développement fait partie d’un plan plus vaste dans lequel les Inuit joueraient le rôle d’évangélisateurs auprès de la société dominante occidentale et d’Israël, afin de préparer le monde que nous connaissons aujourd’hui à sa fin telle qu’elle est prophétisée dans la Bible (notes prises sur le terrain à Qikiqtarjuaq et Quaqtaq).

Conclusion

Dans la société contemporaine inuit, l’observation des règles de bonne conduite est essentielle pour préserver les relations fragiles entre les humains, les animaux et les esprits. Les Inuit estiment que les conditions de la vie communautaire, si elles sont avantageuses à beaucoup d’égards, favorisent les inconduites sociales et religieuses telles la violence conjugale, la consommation de drogues, le suicide et les manquements au sabbat, et contribuent par conséquent à la détérioration du bien-être collectif et des relations au sein de la communauté. Beaucoup d’entre eux ont adopté les croyances et les pratiques pentecôtistes, parce qu’ils les jugent plus aptes à transformer et à guérir la personne et le groupe auquel celle-ci appartient. L’arrivée de nouveaux leaders religieux, dont plusieurs occupent également des positions politiques et économiques importantes – combinaison qui est loin d’être inhabituelle pour les Inuit – fait partie intégrante de ce processus (voir Blaisel et Knoetsch 1995). À cette étape de ma recherche, je ne suis pas en mesure de m’avancer quant à la nature de cette relation spécifique. Je ne sais pas non plus si et dans quelle mesure l’introduction du pentecôtisme est liée à une frustration politique croissante et aux mouvements de prise en charge qui ont pris naissance dans les années 1960 dans l’Arctique canadien.

Être chrétien « né de nouveau » constitue désormais une catégorie socioreligieuse qui détermine, en particulier pour les nouveaux convertis, les personnes avec lesquelles il est possible d’interagir et celles qu’il faut éviter. La musique rock légère, la danse, les claquements de mains, la glossolalie et les baptêmes d’adultes ne constituent que quelques-uns des changements qui ont investi le domaine religieux[12]. Si les adversaires du mouvement pentecôtiste voient ces éléments comme étrangers et nuisibles au mode de vie inuit, ses adeptes les perçoivent au contraire comme le prolongement de ce dernier en regard des règles de fonctionnement cosmologiques et sociales. Le topos traditionnel de la renaissance, qui constitue également un thème central du mouvement pentecôtiste, exprime l’intégration (controversée) au mode de vie inuit de ces nouveaux éléments, intégration qui se fait par l’indigénisation des notions disponibles.

C’est la condition de la prime enfance qui permet aux relations de se renouveler et d’être maintenues ; c’est encore par l’intermédiaire de ce concept que la société inuit peut se perpétuer en éliminant les relations perturbatrices. On en mesure toute l’importance lors de la fête annuelle du renouveau de Noël, au cours de laquelle la communauté se régénère en célébrant la naissance de Jésus. À cet égard, pour les adeptes du pentecôtisme, le changement s’inscrit dans le prolongement dynamique des modes de vie inuit. Les rituels de ce nouveau mouvement religieux ne sont pas encore solidement implantés dans les communautés inuit et d’autres recherches seront nécessaires pour mesurer leur contribution spécifique à la vie communautaire.

Article inédit en anglais, traduit par Catherine Broué.