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La crise des taux hypothécaires de 2007-2009 aux États-Unis – avec la récession mondiale consécutive qui dure encore en 2010 – a remis à l’ordre du jour les références à « l’économie réelle », distincte de l’économie « symbolique » ou « virtuelle » des flux financiers[1]. Plusieurs commentateurs ont présenté la crise comme une sanction de cette économie réelle face à un marché financier hors contrôle[2]. Ce type d’analyse contraste avec l’insistance antérieure sur les finances, qui avaient acquis une position centrale dans le discours sur l’économie depuis le début des années 1980[3], un discours fondé sur le postulat que les profits financiers seraient investis en masse pour créer des emplois. Ce qui ne s’est pas passé, comme on le verra plus loin.

Que signifie cette expression « économie réelle » ? Qu’est-ce que l’anthropologie peut nous dire sur son fondement, en particulier en relation avec la distinction entre le local et le « global » ? Nous essayons de répondre à ces deux questions, en appliquant des éléments de l’approche anthropologique à des données macro-économiques et macro-sociales. Il faut souligner d’emblée qu’il ne s’agit pas d’effectuer une ethnographie de telle ou telle partie du système économique actuel, comme le suggèrent Fisher et Downey (2006) et comme l’a fait Horacio Ortiz pour la bourse (Ortiz 2008), bien que je reconnaisse la validité d’une telle approche. Ce qui m’intéresse, c’est l’architecture globale du système actuel, ses antécédents dans les représentations, et certaines de ses conséquences, elles aussi globales, dans la perspective d’une anthropologie critique et engagée, alliée à l’économie politique. Il ne s’agit donc pas d’une description du système en entier ou d’une de ses parties, mais bien d’une réflexion sur le système capitaliste actuel dans son ensemble, sur les « processus et dynamiques » qui le caractérisent[4], sur la place qu’y occupe le secteur financier et sur quelques-unes de ses conséquences.

Mon propos se fonde sur divers écrits, produits en majorité par des non anthropologues. Peu d’anthropologues se sont en effet intéressés au système financier dans son ensemble[5]. Plusieurs se sont certes penchés sur la mondialisation[6], et leur contribution doit être soulignée. Mais d’autres disciplines offrent de nombreux écrits utiles, que l’on peut analyser en se fondant sur une approche alliant l’anthropologie et l’économie politique. C’est ce que nous tentons de faire ici.

Économie réelle et économie fictive ?

L’économie réelle s’oppose aux flux financiers, qui pour leur part seraient une économie fictive. L’expression « économie réelle » suppose qu’il y a une sorte de substrat plus fondamental dans l’économie de marché, un substrat qui ultimement et périodiquement imposerait ses contraintes au marché financier. Ce substrat, s’il existe, ne peut être que l’ensemble de la production et de la circulation des biens et des services, la circulation excluant ici les services financiers. D’après les discours récents, le monde financier a pu se dissocier de son substrat et mener à des excès, qui sont alors sanctionnés par cette « infrastructure » plus fondamentale. Pour comprendre cette dissociation, il importe d’analyser comment le système financier s’est mis en place progressivement et quels sont ses liens avec l’économie dite réelle.

D’un point de vue historique, les moyens financiers, c’est-à-dire la monnaie sous toutes ses formes, y compris les lettres de change, les reconnaissances de dettes, les traites et les chèques, ont été inventés, à différents endroits dans le monde (Chine, Inde, Europe, etc.) et à différentes périodes, pour faciliter les échanges. C’est moins cette invention comme telle que l’autonomisation graduelle des flux financiers par rapport à la production, en Europe, à partir du XVIIIe siècle, avec la mise en place du capitalisme comme système, qui importe pour mon propos. Braudel (1979, tome 2 : 344-348) note trois moments forts de la mise en place d’un système financier partiellement autonome en Europe, du XIVe siècle à Florence, au XVIe siècle à Gênes, puis au XVIIIe siècle à Amsterdam, mais ces premiers essais ont abouti à une impasse ; entre autres choses, parce que les financiers ont prêté excessivement aux princes et monarques, dont les dettes ont fini par excéder de beaucoup les recettes. Ce n’est qu’avec la mise en place de l’industrie, en Angleterre, à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, que la banque et le système financier s’organisent efficacement, et ce dernier comme sphère quasi autonome. Autrement dit, c’est avec le crédit accordé aux entreprises productives, donc dans son lien organique avec l’économie dite réelle, que le système acquiert finalement une certaine stabilité. Mais cette stabilité permise par l’expansion de la production industrielle, paradoxalement, a en même temps entraîné une autonomie plus grande des flux financiers : le crédit en augmentation, avec la possibilité grandissante de transformer les dettes en obligations vendables sur le marché, a en effet fonctionné de plus en plus comme circuit autonome. Mais il faudra encore du temps cependant pour que ces flux acquièrent l’indépendance face aux autres sphères de l’économie qui caractérisent les XXe et XXIe siècles.

La dissociation du secteur financier de son substrat se développe à partir de certaines caractéristiques du marché et des produits financiers, déjà notés par Karl Marx (1970) et Max Weber (1971). En effet, comme on l’a vu, de moyen d’échange, la monnaie acquiert rapidement une certaine autonomie par rapport à l’échange, elle devient elle-même objet de transaction, sous forme diverses : change entre différentes monnaies (y compris les lettres de change, les reconnaissances de dette, c’est-à-dire les obligations), et plus tard, transactions sur les devises. En même temps se développe la compagnie par actions ; les titres des entreprises deviennent objets d’échange et permettent d’étendre aux effets financiers les opérations des bourses, qui s’étaient développées au départ en Europe et au Japon pour faciliter la vente de produits agricoles[7]. Le développement de la bourse a donné lieu à la recherche toujours renouvelée de nouveaux effets financiers, comme, récemment, l’arbitrage, les produits dérivés, les fonds mutuels, les junk bonds ou les hedge funds[8]. Toutes ces formes de produits financiers, ainsi que la terre, sont devenus objets de transaction et en même temps objets de spéculation. La spéculation est permise précisément par la séparation relative, donc l’abstraction croissante, du secteur financier par rapport à la production. Néanmoins, il faut noter que, si l’abstraction des produits financiers est une cause nécessaire pour expliquer la domination récente du marché financier dans l’ensemble de l’économie, elle n’est pas suffisante par elle-même. D’autres facteurs doivent être considérés de concert. Maurer (2006) critique d’ailleurs cette insistance unilatérale sur l’abstraction de la monnaie, un aspect qu’on ne peut cependant ignorer dans l’analyse des difficultés récentes du marché financier.

Les crises successives, comme celle de 1929, ont montré les graves problèmes posés par l’autonomisation du marché financier. Malgré les mesures prises pour tenter d’empêcher l’éclatement d’une autre crise du même type – comme l’assurance sur les dépôts, le renforcement des banques centrales, le contrôle du taux de réescompte par celles-ci, etc. – d’autres crises sont survenues, dont la crise japonaise des années 1990 et celle plus récente dite du « subprime » aux États-Unis. Ces crises rendent encore plus manifestes certaines caractéristiques du capitalisme dans son ensemble et du marché financier en particulier.

La crise japonaise des années 1990-2003 a été générée par les activités spéculatives des années 1985-1989, elles-mêmes encouragées par les faibles taux d’intérêt fixés par la Banque du Japon qui cherchait de cette façon à annuler les effets potentiellement néfastes de la montée du yen à la suite des accords du Plaza de 1985. Entre 1985 et 1989, les institutions financières, y compris les grandes banques commerciales et de courtage, se sont lancées dans des transactions à la bourse et des investissements immobiliers risqués, financés à travers un crédit facile. L’objectif était de rentabiliser les énormes réserves de capitaux venant des surplus commerciaux internationaux et des profits sur les investissements étrangers. Du côté de l’immobilier, des entrepreneurs se sont lancés dans des projets ambitieux, autant dans la construction de tours à bureaux à Tokyo et dans les alentours que dans le développement de centres de loisirs divers, comme des spas, des clubs de golf ou des centres de ski. Dans le cas de Tokyo, les investisseurs s’attendaient à voir cette ville devenir le centre financier mondial. Quant aux centres de loisir, on prévoyait que la hausse rapide des revenus entraînerait une augmentation de la demande pour les loisirs de toute sorte.

Mais c’est la spéculation qui caractérise le plus clairement ces cinq années sur le plan financier ; une spéculation fondée sur la surabondance de capitaux[9]. En effet, en l’absence de débouchés productifs suffisants, les entreprises, en voulant maximiser leurs gains, ont joué sur les hausses de valeurs des actions et des terrains. De plus, des pratiques discutables ont été utilisées – comme la vente en série de petites parcelles d’un partenaire à un autre pour en faire augmenter la valeur, une pratique en partie associée au crime organisé, ou bien les évictions forcées pour remembrer des terrains plus grands – qui n’ont fait qu’amplifier la hausse des prix. Du côté des actions, le surplus commercial et les entrées de profit ont eu pour conséquence une forte augmentation de capital disponible. Or, comme les entreprises, y compris celles des secteurs de production industrielle, ne pouvaient utiliser tout ce capital pour les investissements productifs, le surplus est allé en bonne partie à la bourse, ce qui a entraîné la hausse des cours boursiers mentionnée plus haut. Pire encore, plusieurs entreprises ont mis en garantie leurs terrains, dont les prix étaient en forte hausse, pour obtenir du crédit qu’elles se sont empressées d’investir à la bourse. Le prix des actions en est ainsi arrivé à se détacher de la rentabilité réelle des entreprises, plusieurs producteurs manufacturiers faisant plus de profit avec la spéculation boursière ou immobilière qu’en vendant leurs produits eux-mêmes. La crise financière a éclaté lorsque la Banque du Japon a augmenté les taux d’intérêt pour juguler l’inflation.

La crise américaine de 2008 provient de pratiques similaires, mais non identiques. Dans le cas des États-Unis, certaines banques et institutions financières, qui avaient accumulé des profits énormes du fait des politiques néolibérales (voir plus bas), n’ont pas trouvé de débouchés productifs. Ne pouvant investir ou dépenser tout cet argent, les investisseurs ont dirigé les capitaux vers des secteurs spéculatifs à fort rendement, comme l’immobilier ou les nouveaux produits financiers. En effet, à défaut de débouchés rentables, les banques et autres institutions financières ont investi dans le prêt hypothécaire ou dans les papiers commerciaux adossés à des créances (hypothèques, prêts pour achat d’automobile, dettes de cartes de crédit), dont plusieurs étaient sans garantie. Entre autres, elles ont prêté à des particuliers qui n’avaient pas la capacité financière de rembourser. Étant donné leur situation, on leur prêtait pour l’achat d’une maison sans dépôt initial ou avec un dépôt limité, et à taux d’intérêt faible pour une courte période (entre 5 et 10 ans), mais avec taux variable sur la base du marché après cette période ; ou bien l’emprunteur s’engageait à verser seulement les intérêts pour une période similaire, mais avec l’obligation de rembourser le capital par la suite. Quand l’économie américaine a connu un ralentissement en 2007, plusieurs personnes, voyant le taux d’intérêt sur leur hypothèque ou leur montant à rembourser augmenter soudainement, se sont retrouvées dans une situation difficile du fait qu’elles ne pouvaient plus rembourser les emprunts. La majorité d’entre eux ont perdu leur maison. Autrement dit, la crise financière issue de la spéculation a résulté en une réelle dépossession pour beaucoup de personnes. Certaines institutions financières, qui s’étaient fortement impliquées dans ces opérations, ont été réduites à la faillite, ce qui s’est répercuté sur des banques commerciales (CitiBank, Bank of America) ou d’investissement (Lehmann Brothers) majeures, ainsi que sur des fonds spéculatifs. À ces difficultés se sont ajoutés des scandales financiers, comme la fraude orchestrée par Andrew Madoff, entre autres.

Ces crises découlent directement de l’autonomisation du marché financier. En effet, dès que les finances deviennent en elles-mêmes une source de profit – voire, la source la plus importante de profit – les transactions sur les devises, les titres et les terrains se mettent à fonctionner indépendamment de la production et des échanges. Il s’ensuit une spirale à la hausse, fondée sur la vente en série de titres et de terrains, entraînant une augmentation rapide des prix, sans commune mesure avec la rentabilité des entreprises. Mais de la même façon que l’économie ne peut être séparée totalement des aspects politiques et sociaux, les finances ne peuvent s’autonomiser complètement de la production et de la circulation. Les crises financières constituent des phases de réajustement des flux financiers par rapport à la production et aux échanges commerciaux. Autrement dit, les flux financiers, qui avaient connu une hausse exagérée auparavant – une hausse qui les avait menés à des niveaux sans commune mesure avec la rentabilité des entreprises – subissent la sanction du marché, plus précisément de l’économie dite réelle, et se réajustent vers le bas, entraînant ainsi mauvaises créances et faillites.

La crise et la théorie économique néolibérale

La crise financière mondiale qui sévit depuis 2007 a mis à mal la théorie néolibérale. Celle-ci consiste à vanter les qualités du marché comme moyen d’allocation des ressources en préconisant le libre échange, la privatisation des entreprises d’État et la dérèglementation. Sa mise en pratique par le gouvernement Thatcher au Royaume-Uni et par l’administration Reagan aux États-Unis après 1979, politique poursuivie par leurs successeurs, n’a pas toujours respecté le néolibéralisme à la lettre ; plusieurs accrocs au libre marché ont eu lieu, surtout lorsqu’il s’agissait de favoriser des amis du régime ou certains secteurs jugés prioritaires (comme les dépenses militaires aux États-Unis, par exemple). En réalité, comme l’augmentation importante des disparités de revenus dans les pays développés l’indique clairement, le libre marché a favorisé surtout les activités permettant aux plus riches d’augmenter leur fortune. Malgré tout, la liberté des échanges s’est imposée à peu près intégralement dans le domaine financier, avec l’extension des réseaux informatiques qui ont permis les transactions à travers le monde en temps réel.

Le néolibéralisme s’est imposé à la suite d’une lutte de représentations contre le keynésianisme[10] – prédominant depuis l’administration Roosevelt aux États-Unis – lequel encourageait l’intervention de l’État pour relancer l’économie en crise dans les années 1930. Les mesures préconisées par l’application de la théorie de Keynes allaient de dépenses d’infrastructure – visant à relancer la production et augmenter les revenus – à la mise en place de programmes sociaux pour assurer une certaine redistribution de la richesse. L’opposition à cette conception dominante de l’économie a commencé dans les départements de science économique des universités. Le premier tenant d’une théorie qui s’apparente au néolibéralisme est l’Autrichien Friedrich Hayek. Mais le maître à penser du néolibéralisme en tant que tel est Milton Friedman, de l’Université de Chicago, dont la théorie monétariste est devenue le fondement des politiques de Pinochet au Chili, puis de Thatcher en Grande-Bretagne et de Reagan aux États-Unis. Les luttes de représentation théorique ont donc entraîné des effets réels sur le plan des politiques, ce qui confirme les avancées de Bourdieu (1982) au sujet de la force de la représentation. Cette capacité d’une théorie à avoir de tels effets pratiques (évidemment dans une conjoncture particulière et en conjonction avec d’autres facteurs) est remarquable. On doit signaler ici l’importance des difficultés économiques qui ont prévalu dans l’ensemble des pays capitalistes occidentaux à partir des années 1970 : elles ont en effet été un facteur favorisant le succès du néolibéralisme. C’est que cette théorie avait pour objectif de faire sortir les pays occidentaux de la récession des années 1970, en définissant un cadre moins contraignant pour l’accumulation du capital. L’application du néolibéralisme a fortement contribué à la dérèglementation des marchés et à la diminution de l’intervention de l’État dans plusieurs domaines de l’activité économique, en particulier dans les différentes facettes des mesures de distribution de revenus, comme la sécurité sociale, laissant la place, du moins en théorie, au libre marché. L’ascendant des politiques néolibérales a aussi mené à la diminution des impôts pour les entreprises et les tranches de la population à revenus élevés. Toutes ces politiques ont accéléré l’accumulation du capital et l’enrichissement des plus riches, en même temps qu’on assistait à une stagnation des revenus moyens.

La mise en place des politiques néolibérales à partir de 1980 a eu pour effet, entre autres, d’ouvrir le marché mondial aux produits et capitaux des pays les plus riches, tout en affaiblissant les contrôles, en particulier les règlementations sur les marchés internes, dans les pays moins nantis. Pour ce qui est du commerce international, les appels au libre marché, appuyés par des ententes et traités internationaux, n’ont pas empêché les pays les plus puissants, dont les États-Unis, de continuer de donner des subventions à différents secteurs et d’imposer des restrictions aux importations sous divers prétextes. Les pays plus faibles, surtout les pays dits du tiers-monde, n’ont en général pas pu résister aux pressions des pays occidentaux, lesquelles ont été d’autant plus appuyées par des organismes internationaux comme le FMI et la Banque mondiale, que plusieurs dirigeants corrompus de ces pays se sont accaparé des fonds venant des mêmes organismes. En particulier, les plans d’aménagement structurel du FMI ont fortement contribué à l’ouverture des marchés, à la dérèglementation, à la privatisation des entreprises d’État – spécialement dans le domaine minier, également visé par plusieurs programmes de développement de la Banque mondiale – ainsi qu’à la baisse des dépenses gouvernementales – en particulier dans les services à la population. Sur ce point, il ne faut pas ignorer l’utilisation des crises régionales[11] comme des occasions idéales pour les organismes internationaux d’imposer des conditions draconiennes, inspirées par la théorie néolibérale, aux pays en difficulté. C’est ce qui est arrivé en Corée du Sud et en Thaïlande notamment[12].

La liberté du marché s’est étendue particulièrement efficacement dans le domaine financier. La dérèglementation dans ce dernier secteur a entraîné l’orientation croissante des économies occidentales vers ce domaine. Elles ont ainsi abandonné plusieurs pans de la production manufacturière, délocalisés dans des pays où les salaires étaient plus faibles, comme la Chine ou les pays de l’Asie du Sud-est. Cette financiarisation de l’économie a permis la constitution de fortunes colossales, fondées le plus souvent sur des activités éminemment spéculatives. Le propre du système financier, c’est que les activités non règlementées sont considérées comme légales, jusqu’à ce que de nouveaux règlements viennent en baliser l’utilisation. Dans ce contexte, des bureaux d’avocats se spécialisent dans ce domaine et leur seule activité est d’inventer de nouveaux produits non encore couverts par les lois et règlements. Dans le contexte néolibéral des années 1980-2008, la faiblesse des règlementations a encore davantage encouragé le développement de nouveaux produits spéculatifs, comme les junk bonds et les papiers commerciaux.

Ce système a eu pour effet de valoriser le capital financier, sans commune mesure avec ce qu’on appelle maintenant, en période de crise, « l’économie réelle », c’est-à-dire celle de la production et de la circulation de biens et services. Cette notion d’économie réelle semble associée à une vision de l’économie bien proche de celle de Marx, qui insistait sur la production comme secteur central de l’économie et de la société. Mais ce qui importe ici, c’est de reconnaître l’importance que les observateurs de la scène économique accordent depuis quelques mois à la production industrielle, après des décennies de concentration sur les marchés financiers. Il faudra voir comment les économistes et les financiers réagiront si une reprise économique survient. Si l’on se fie sur les pratiques des banquiers américains qui se sont empressés de rembourser le gouvernement américain après le fiasco de 2008 pour agir plus librement, mon impression est qu’il y a une forte probabilité que la situation antérieure se reproduise.

L’application du néolibéralisme se fondait sur le postulat de la dissémination de la richesse, du sommet, c’est-à-dire ceux qui accumulaient le capital par divers moyens, vers les salariés, à travers l’investissement qui donnerait du travail à la masse. C’est la théorie préconisée par Ronald Reagan dans sa campagne présidentielle de 1980, la théorie dite de trickle down economics, que son adversaire dans la course à l’investiture républicaine, George Bush père, avait qualifiée de voodoo economics. Bush n’avait pas tort, comme on l’a vu par la suite, mais en tant que vice-président sous Reagan et président de 1988 à 1992, il a continué d’appliquer les politiques de son prédécesseur. Cette vision de l’économie se fonde au moins en partie sur une conception du marché comme fonctionnant sur le modèle du don. Or, le don ne s’applique pas dans le cadre de l’accumulation pour l’accumulation, qui a pour fondement l’appropriation de tout surplus par ceux qui contrôlent déjà la richesse et qui en veulent toujours davantage, sans limite. Dans ce cadre, l’obligation de rendre aux autres ce qu’on a reçu, qui est caractéristique du don, disparaît complètement.

Les politiques néolibérales appliquées au Royaume-Uni et aux États-Unis n’ont évidemment pas fonctionné comme la théorie du trickle down le prévoyait, parce l’économie de marché, surtout dans le domaine financier, se situe hors de la logique du don. Il y a bien eu des investissements dans les pays occidentaux, mais en général dans la finance et les services, alors que la production industrielle dans les secteurs à forts salaires s’amenuisait. Il en a résulté, au mieux, une stagnation du revenu moyen, au pire, une baisse du revenu de la majorité, alors que les 0,01 % les plus riches ne cessaient de s’enrichir[13]. En chiffre absolu, en tenant compte de l’inflation, le revenu médian de l’ensemble des habitants des États-Unis est passé de 47 000 $ à 58 000 $ entre 1977 et 2007, alors que le revenu des 0,01 % au sommet de la pyramide des revenus a été multiplié par 5,7[14]. Pour illustrer cette accumulation rapide en faveur des plus riches, depuis au moins l’an 2000, les dirigeants des entreprises de fonds spéculatifs (hedge funds) se sont offert des salaires s’élevant à plus d’un milliard de dollars par année. Même en période difficile comme en 2008, au moins deux des PDG de ces fonds spéculatifs ont reçu plus de 2 milliards de dollars en salaire[15]. Il est clair, dans ces circonstances, que les inégalités de revenus ont beaucoup augmenté.

Le néolibéralisme a eu pour effet la dépossession (de la terre, de la qualification, de l’emploi) et le transfert de richesses des plus pauvres vers les plus riches. Ce processus, bien analysé par David Harvey (2003), a frappé autant les populations pauvres ou à revenu moyen des pays riches que la majeure partie de celles des pays pauvres. Dans les pays d’Amérique du Nord et d’Europe de l’Ouest, la perte d’emplois dans les secteurs comme l’automobile ou la sidérurgie – dans lesquels les salaires ouvriers étaient élevés – et l’expansion des services dans les grandes surfaces comme Walmart ou dans la restauration rapide ont entraîné une baisse marquée des bons emplois syndiqués et leur remplacement partiel par des postes à salaires faibles, ce qui a causé une baisse du revenu moyen des ménages se situant en dehors des classes de revenus les plus élevés[16] et l’amenuisement de la classe moyenne. Certains secteurs de pointe, dans les nouvelles technologies, surtout avant 1997, ont compensé, mais partiellement seulement, pour les pertes d’emplois dans l’industrie lourde.

Dans les pays plus pauvres, la mise à pied de nombreux fonctionnaires et la promotion des produits d’exportation[17] aux cours fluctuants – deux aspects importants des plans d’ajustement structurel –, tout cela associé à la diminution des surfaces destinées à la production vivrière, ont provoqué misère et malnutrition, alors que les capitaux américains et européens se saisissaient des secteurs les plus rentables, comme les mines. Faisant fi des résistances locales, les entreprises étrangères ont exproprié des paysans, quelquefois avec l’aide des gouvernements locaux, pour transformer les terres en mines ou en plantations. On en trouve des exemples dans les mines d’or au Chili[18], en Mongolie[19] et au Honduras[20], ainsi que dans les plantations de palmiers à huile en Indonésie et en Malaysia[21] ou en Colombie[22]. Il s’agit là de cas « d’accumulation par dépossession », selon l’expression de Harvey (2003), c’est-à-dire d’accumulation du capital par les plus riches en accaparant les moyens de survie des plus pauvres, notamment la terre (privée ou communale). Dans le cas des mines, les compagnies étrangères, dont plusieurs canadiennes, ont causé par leurs opérations des problèmes aigus de pollution[23] qui affectent les populations locales. Notons que certaines formes de résistance sont apparues à divers endroits, résistance directe, comme au Chili et au Honduras[24], ou indirecte, comme en Mongolie où les mineurs artisanaux exploitent les mines abandonnées ou les déchets des compagnies minières[25].

Mais la dépossession peut s’appuyer sur de nouveaux moyens, comme la propriété intellectuelle. Le cas de certaines entreprises agroalimentaires américaines est ici probant. En effet, par ses recherches en génétique sur les plantes, Rice Tec, une entreprise du Texas, a découvert le gène qui donne son goût au riz basmati produit en Inde et réclamé le droit de propriété intellectuelle sur le nom « Basmati » pour la vente aux États-Unis, sous prétexte que l’entreprise a trouvé le gène qui donne ses caractéristiques uniques à ce riz[26]. Le chercheur Chris Deren a voulu faire de même avec le riz au jasmin de Thaïlande, avant d’abandonner à cause de nombreuses protestations. Monsanto a renchéri en demandant le brevet, en Inde même, pour le blé qui sert à faire les chapati, encore une fois parce que cette entreprise avait découvert la chaîne génétique qui définit le goût et les propriétés de ce blé[27]. Ces entreprises veulent donc déposséder les paysans indiens et thaïlandais de leur savoir agricole ancestral.

Ce qui ressort de ces considérations, c’est que le marché, laissé libre – ou plutôt laissé libre tant que son fonctionnement favorise les plus nantis – ne distribue pas les richesses équitablement, ni même efficacement, puisque la forte inégalité de richesses limite le développement du marché de consommation[28]. Les limites à la consommation rendent les investissements productifs moins rentables, ce qui force les détenteurs de capitaux, pour éviter une crise de surproduction, à se lancer dans des opérations de plus en plus spéculatives. C’est cette conséquence des politiques néolibérales qui a entraîné la spéculation immobilière et financière qui a à son tour mené à la crise du crédit hypothécaire aux États-Unis en 2007-2008.

Ce fonctionnement économique n’était pas inévitable : il est issu de politiques fondées sur des théories économiques. Mais il a eu plusieurs conséquences. L’une d’elles, encouragée par le développement des technologies de communication, au premier chef l’Internet, est le développement de l’économie financière virtuelle, fondée sur les transactions à travers le monde en temps réel. Cette économie virtuelle globale a accéléré le processus de séparation de certaines transactions par rapport au lieu, en les transposant dans un espace à l’échelle de la planète. Notons, avec Castells (1998), les Comaroff (2000) et Harvey (2003), que cette globalisation des flux financiers ne s’applique pas intégralement partout, puisque des zones et des couches sociales sont marginalisées et écartées de cette nouvelle économie si profitable. Malgré tout, c’est l’ensemble du monde qui en subit les effets. Il s’agit d’une phase où les flux financiers s’autonomisent encore plus de l’économie réelle. Mais penchons-nous maintenant sur les façons dont ces processus, ainsi que ceux liés à la globalisation, affectent le local.

La globalisation du marché financier et le local

Plusieurs auteurs en anthropologie et en sociologie ont mis au centre de leurs préoccupations le lien entre le monde globalisé et le local[29]. Ce sujet est pertinent pour l’analyse de l’« économie réelle » et des flux financiers. La dématérialisation de la monnaie, qui commence avec la monnaie scripturale – nombre inscrit sur un compte dans une institution financière[30] – s’accélère avec le réescompte entre banques et atteint des sommets avec les flux financiers par Internet. Cette dématérialisation a pour effet, entre autres choses, de délocaliser (ou, plus justement, d’alocaliser, si le néologisme est permis) le capital, dans le sens de le couper d’une localité particulière. Ce n’est pas que le capital va ailleurs, comme lorsqu’on parle de délocalisation des industries vers les pays d’Asie du Sud-est, où ce terme recouvre le transfert d’activités productives, donc matérielles, d’un lieu à un autre. Dans le cas du capital financier, le capital n’est plus localisé : il n’est nulle part, mais il peut aussi être partout, comme on peut le voir dans les transactions sur divers marchés (New York, Tokyo, Londres, Hong Kong) par le biais de l’Internet. Dans ce cas-ci, la localisation est celle du propriétaire du capital, qui a sa résidence principale quelque part, ou qui a telle nationalité reconnue sur son passeport. Mais son capital est mobile, il se promène via les impulsions électriques dans l’atmosphère, il est virtuel et dématérialisé. Étant ainsi alocalisé, le capital peut servir à des transactions diverses, sans être contraint par la matérialité, bien qu’il doive se soumettre aux règlementations locales (qu’il peut par ailleurs essayer de contourner, entre autres, en créant de nouveaux effets financiers non encore couverts par les lois et règlements du lieu, mais aussi en utilisant les organismes et traités internationaux pour forcer certains pays à modifier leurs lois).

L’économie dite réelle, quant à elle, est forcément localisée, même lorsqu’on parle de délocalisation, comme dans le cas de l’industrie, puisqu’il s’agit simplement de transférer les usines d’un lieu à un autre. La production industrielle est toujours matérielle et donc ancrée dans un lieu précis. Elle fait toujours partie du local, bien que ses propriétaires puissent résider dans un autre pays. Les échanges commerciaux ne posent pas de problème en termes de localisation, du fait qu’étant matériels, les biens échangés sont toujours localisés. Dans le cas du commerce international, si les biens changent de pays, ils sont toujours quelque part, dans un lieu précis. On peut étendre cette considération aux processus internationalisés de production, fondés sur la division du travail entre différents pays, comme pour l’industrie automobile par exemple, puisque chaque composante est produite dans un lieu précis et transite d’un endroit à l’autre pour atteindre le processus final de montage.

Le domaine des services[31] comporte de multiples divisions qu’il faut analyser séparément. Les services personnels, c’est-à-dire ceux qui s’adressent à des individus ou à des groupes en particulier qui doivent être présents pour y avoir accès, sont eux aussi toujours localisés. On peut donner comme exemple une visite chez le médecin, ou bien la consultation d’un conseiller financier. Dans le cas du conseiller financier dans une banque, il se peut que la majorité de son travail porte sur des transactions financières par Internet, mais, quand il rencontre un client, son service est nécessairement localisé. Pour ce qui est des services aux entreprises, on peut noter la publicité, ou bien encore l’installation d’un système informatique dans une entreprise. L’entreprise peut utiliser ce système pour faire des transactions sur Internet, mais cela n’enlève pas le caractère localisé du service informatique fourni par le spécialiste qui installe le système. Dans le cas de la publicité, le lien à la localité est plus subtil, mais à la fois l’entreprise qui achète et celle qui vend sont localisées et le service rendu mène à des interventions par définition localisées, puisqu’elles sont destinées à des marchés précis. Ce point a déjà été signalé par des auteurs qui mettent en évidence la « glocalisation » ou la multilocalisation de la publicité, c’est-à-dire l’adaptation à des contextes locaux ou nationaux spécifiques de la publicité pour des produits internationalisés, comme Coca-Cola par exemple[32].

Les flux financiers, quant à eux, échappent au local. Ils sont internationaux, virtuels et instantanés à travers le globe[33]. L’alocalisation du capital financier, en effet, fait en sorte qu’il se soustrait en grande partie aux règlements locaux ou nationaux, qui se sont considérablement affaiblis sous l’impact des politiques néolibérales, et qu’il fonctionne à toutes fins pratiques en dehors de la plupart des contrôles gouvernementaux. Tout porte à croire que cette situation va se maintenir, étant donné le retard des différents pays dans la mise en place de nouvelles règlementations au sujet de la circulation et des opérations financières.

C’est cette autonomie qui a permis les très fortes accumulation et centralisation du capital que l’on a connues depuis 1980 et qui ont elles-mêmes entraîné les pratiques spéculatives récentes. Si les crises financières au Japon dans les années 1990 et aux États-Unis depuis 2007 ont été générées par des facteurs internes – et non par les flux internationaux comme tels – ce sont ces flux qui sont à l’origine d’une grande partie des surprofits, utilisés à l’interne, qui ont été à leur tour dirigés vers les pratiques spéculatives. Il y a donc un lien entre le progrès du caractère virtuel du marché financier et ces crises financières, même si ce lien n’est pas tout à fait direct. C’est la nécessité de trouver des débouchés rentables, en remplacement des investissements productifs, qui a poussé les institutions financières à se lancer dans des pratiques spéculatives, liées en priorité à l’immobilier, bien que la bourse ait été aussi un lieu où ce genre de pratiques a proliféré. Ce qui est frappant dans les cas mentionnés, c’est l’extrême mobilité du capital, qui peut passer d’un endroit à l’autre et d’un secteur à l’autre, sans se soucier des distances.

Sur ce point, les remarques d’Augustin Berque (2000 : chap. 1) sur le lieu, marqué par la relation des humains aux choses et de celles-ci entre elles dans un espace précis et restreint, sont particulièrement pertinentes. Le lieu, selon Berque, est un espace à l’échelle humaine, c’est un espace existentiel où les humains sont en relation entre eux et avec un milieu et les choses[34]. Le lieu situe les humains, il les ancre quelque part. Cela ne signifie pas qu’il y ait absence de mouvement, mais renvoie aux relations sociales nécessaires, localisées, qui sont aussi des liens aux choses et au milieu naturel et culturel. L’importance accordée au lieu conduit inévitablement à se préoccuper de la survie des personnes qui y vivent et de l’environnement qui les entoure ; autrement dit, l’ancrage dans le lieu mène à une éthique, à la fois humaine et écologique[35]. Ce qui est délocalisé ou plus précisément alocalisé, comme les flux financiers actuels, sort du monde concret, échappe à l’échelle humaine et, peut-être, comme nous le montrent les crises financières répétées, également au contrôle des humains et à l’éthique. Dans le cas des transactions par ordinateur – qui ne s’effectuent pas de par la décision immédiate d’un être humain, mais par des logiciels créés à cette fin – qui ont entraîné une crise de la bourse à New York en 1991, il s’agit d’une perte de contrôle particulièrement évidente ; mais même en introduisant de meilleurs logiciels pour minimiser ces ventes inconsidérées par ordinateur, il semble clair que le marché financier se retrouve hors de contrôle, au moins en partie. Il s’agit là d’une extension logique du capitalisme, dont le moteur est l’accumulation sans fin, une recherche irrationnelle, selon des auteurs comme Marx (1970), Weber (1971) et Wallerstein (1985), puisqu’elle s’éloigne des besoins humains, qui eux-mêmes sont réduits à des occasions d’accumulation et se transforment, selon la formule de Marx, en « demande effective » (Marx 1969).

Berque, dans le cas de notre milieu physique, a conceptualisé cette séparation de la base concrète de notre existence sous le terme de « métabasisme » (Berque 2000 : 227). L’assertion « on en a fini avec la base », qui résume bien cette position, s’applique parfaitement aux mouvements du capital financier alocalisé, qui tente de nier le lien avec les activités productives, comme l’abstraction d’une certaine forme d’architecture tente de se couper du milieu matériel. Mais la négation de la base va plus loin, comme l’a si bien souligné Berque, et nous revenons ici aux fondements même du capitalisme et de la modernité. Ce n’est pas seulement de la production que le capital financier s’est coupé, mais du milieu même de notre survie, de l’écoumène. En cela, le capital financier n’est qu’une extension du capitalisme comme système, mais une extension qui pousse encore plus loin le rejet de notre dépendance au milieu naturel pour notre survie.

De la même façon que la terre ou la biosphère finissent par nous imposer leurs propres limites, le substrat que constitue l’économie dite réelle, tout comme la terre en entier, pose ses limites à l’accumulation illimitée et autonome du capital financier. Nous en revenons donc à la base, à l’infrastructure de Marx, mais aussi à la terre, au milieu naturel, comme condition de notre survie. Pour le moment, en nous limitant seulement au cadre économique actuel, si de nouvelles règlementations ne sont pas imposées, on peut s’attendre à moyen terme à ce que de nouvelles crises, localisées ou générales, apparaissent dans le système financier. Mais à plus long terme, sans modification de la vision et de la pratique du capitalisme, c’est une crise de survie des humains qui risque de se produire.

Conclusion

L’autonomisation des flux financiers, accélérée par les transactions sur Internet, a augmenté de façon inégalée la dématérialisation et la délocalisation du capital financier. Du même coup, du fait de la rupture que ces processus entraînent par rapport aux besoins concrets des humains et au lieu, il s’ensuit une fuite en avant fondée sur le principe de l’accumulation à tout prix, et dont la réglementation laisse à désirer. En réalité, l’accumulation profite à quelques-uns qui concentrent la richesse, et contribue à déposséder une bonne partie de la population, en Occident, mais surtout dans les pays les plus pauvres (Mongolie, Honduras, etc.), de ses biens ou de ses droits. Il en résulte un appauvrissement d’une partie de la population mondiale, alors qu’une petite minorité de moins de 0,01 % de la population totale continue de s’enrichir. Plusieurs des activités dites productives financées par cette accumulation détruisent l’environnement, comme c’est le cas des mines d’or dans plusieurs pays. En effet, ces mines exigent beaucoup d’eau et, au moins au Chili, une entreprise a proposé de faire fondre quelques glaciers pour assurer son approvisionnement (Campisi 2008). De plus, du cyanure de potassium est utilisé pour extraire l’or du minerai, et cette matière très toxique est souvent déversée sans mesures protectrices dans des cours d’eau locaux qui servent souvent à alimenter les populations en eau potable, entraînant ainsi de graves problèmes de santé comme des cancers, des fausses couches ou des malformations congénitales.

Cette destruction de l’environnement découle directement de la façon dont le capitalisme et la civilisation industrielle utilisent le milieu naturel, ce qui a été accéléré par la dématérialisation du capital, dont l’alocalisation des flux financiers constitue l’aspect le plus clair. Ces processus, dont l’objectif est l’accumulation sans fin, entraînent la déresponsabilisation face à l’humanité et au milieu ; à terme, si des mesures concrètes ne sont pas rapidement prises, c’est la survie même de l’humanité et de la planète qui s’en trouvera menacée. Le paradoxe, c’est que les efforts pour définir de nouvelles règlementations quant au fonctionnement du marché financier – pour certaines proposées récemment afin de contrer la crise de 2007-2009 – auront peut-être été vains en cas de reprise économique. Le risque réside dans le retour à la situation de spéculation antérieure à 2007, puisque, dans les structures anciennes, l’accumulation était à son maximum. Sans remise en question de l’accumulation sans fin, les solutions ne pourront être que temporaires et limitées.