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La récente crise financière a ébranlé les esprits. Du jour au lendemain, c’est toute une économie qui s’est retrouvée au bord du gouffre et, pour certains, c’est plus qu’une question d’argent. Pour la population islandaise en particulier, cette période est empreinte d’un mélange d’humiliation et de colère à l’égard d’évènements qui ont forgé la crise sur leur territoire. Dans son récent ouvrage La spectaculaire déroute de l’Islande, Daniel Chartier retrace les grandes lignes du désastre qui s’est abattu sur le pays. En se basant sur près de 3 000 articles de journaux publiés un peu partout en Occident, il s’intéresse aux conséquences qu’ont pu avoir les discours des médias étrangers sur le déroulement de la crise islandaise.

C’est tout un monde de préjugés, de jugements teintés d’une maladroite méconnaissance des faits et, surtout, d’interprétation idéologique que Chartier relève dans son travail. Il en ressort au début de la lecture une idée claire : c’est chacun pour soi. Les pays – même voisins – ne s’empressent pas de venir en aide à l’île. Les autres pays scandinaves, censés être de proches amis, hésitent à agir. D’autres vont même jusqu’à lui mettre des bâtons dans les roues, comme l’Angleterre, qui a même recours à une loi antiterroriste afin de bloquer les actifs financiers islandais placés sur son territoire. Au plus fort de la crise, l’Islande a été sévèrement réprimandée par certains de ses voisins – pas seulement l’Angleterre, mais aussi les Pays-Bas et l’Allemagne, entre autres – pour le bouleversement économique dont elle serait responsable. À bout de souffle et laissé à lui-même, le gouvernement se résigne à accepter l’humiliante aide du FMI qui fait alors régresser l’Islande, aux yeux de l’extérieur, du rang de riche nation à celui de pays en voie de développement.

Cette crise économique est le résultat de l’arrivée des « Néo-Vikings » dans les coulisses du pouvoir : une poignée de financiers qui ont « dopé pendant quelques années l’économie et le sentiment patriotique des Islandais » (p. 114). Les yeux tournés vers le marché mondial dans un élan éminemment consumériste, les Néo-Vikings ont pu projeter sur le reste du monde – tel un phare – leur éphémère « succès ». Pour les journaux étrangers, c’était le « miracle islandais ». Ce pays était parvenu à s’extirper de ses traditions pour devenir, du jour au lendemain, une nation progressiste, égalitariste, voire universaliste. Lorsque les faillites des banques se succédèrent – quand le château de cartes s’écroula – les 20 ou 30 financiers majeurs qui les dirigeaient furent exilés par leurs propres confrères, laissant derrière eux une dette accablante à une petite population désemparée.

En menant une analyse synchronique des évènements relatés par les journalistes étrangers, Daniel Chartier fait la part des choses. Certes le gouvernement de l’île peut être blâmé pour son insouciance, mais à l’inverse des commentaires largement répandus dans le reste du monde, l’Islande ne devrait pas être la seule à faire les frais de cette débandade. Au-delà de l’étiquette de culpabilité qu’on tente de lui attribuer, l’Islande serait avant tout une victime. Elle serait surtout coupable d’une chose : d’avoir trop bien appliqué le modèle néolibéral. Résultat, c’est toute l’image d’une nation qui est écorchée au passage par le broyeur médiatique. Outre des conséquences économiques, cette crise génère des blessures morales, ainsi que la colère des citoyens, qui se sont réveillés un matin en réalisant non seulement qu’ils venaient de se faire flouer, mais surtout que les autres nations fermeraient éventuellement les yeux pour ne pas avoir à les aider.

L’état des relations internationales relevé par Chartier peut sembler, à première vue, tendre vers une conception néoréaliste où les États seraient centrés sur leurs intérêts égoïstes et en constante concurrence les uns avec les autres. Cette idée revient d’ailleurs lorsque l’auteur rapporte comment le gouvernement islandais, en approchant la Russie pour obtenir un support financier, aurait pu user de l’équilibre du pouvoir pour contraindre ses voisins à intervenir plus activement. Pourtant, si une telle idée transparaît dans les médias, une lecture plus approfondie permet de comprendre que l’intérêt premier de Daniel Chartier est bien plus de souligner, via l’influence des médias étrangers, comment se construisent les identités sociales dans les interactions entre nations. Les journalistes, par leur vision subjective, transforment la réalité d’un évènement, et ce, encore plus en cette période de l’histoire où la stabilité de l’économie repose uniquement sur la confiance que chacun a en l’infrastructure sociale. Une chose est certaine, cette confiance envers le reste du monde a fortement été ébranlée en Islande.

L’ampleur de la recherche dans les journaux du monde entier effectuée ici est imposante et admirable. Pourtant, en visant un public assez large, Daniel Chartier a dû se limiter dans son approche théorique, de sorte que son ouvrage, aux yeux des chercheurs en sciences sociales, prend plus l’allure d’une recension que d’une analyse. Il n’en reste pas moins que sa lecture est tout à fait pertinente pour ceux qui s’intéressent de proche à la société islandaise : cela reste un bon livre, informatif, et qui traite d’une question très spécifique.