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Depuis le milieu du siècle dernier, l’urbanisation intense au Mexique a transformé l’image du pays. Si la ville de Mexico constitue un exemple évident de ce processus, sa croissance ralentit au profit d’autres villes plus modestes.

Valentina Napolitano, dans cette ethnographie, cherche à rendre compte du processus d’appropriation de l’espace urbain par les résidents des villes, migrants récents ou descendants de migrants. En se basant sur une longue expérience de terrain (presque trois ans), elle nous présente un quartier populaire (« colonia popular », c’est-à-dire un quartier ouvrier à revenu modeste) de Guadalajara, la seconde ville du Mexique. Privilégiant les entrevues informelles, l’auteure renouvelle le genre de l’ethnographie urbaine au Mexique en portant une attention marquée à la construction du sujet urbain dans la vie quotidienne. Sa démarche consiste à construire un cadre théorique ancré dans ses données : les « prismes d’appartenance ». Ces prismes renvoient aux domaines somatiques, cognitifs et affectifs de la vie dans le quartier. Ces prismes d’appartenance proposent ainsi une autre réflexion sur les modernités vernaculaires, réflexion qui se base sur l’étude d’un espace incorporé : le quartier.

Les thèmes abordés sont les discours religieux, le pluralisme médical et les négociations de genre. L’étude des groupes catholiques qui se réunissent dans le quartier (Comunidades Eclesiales de Base) permet de présenter la modernisation du discours d’évangélisation et les tensions que provoque cette modernisation. Les choix de traitement des maux et de la souffrance et le recours à des pratiques médicales institutionnelles ou alternatives constituent une autre perspective sur ce « projet de modernité ». Enfin, le troisième thème est plus particulièrement développé, à travers le rituel de la quinceañera (célébration autour du 15e anniversaire) et les négociations de genre chez de jeunes femmes, associées au passage à l’âge adulte.

Living in Urban Mexico interprète de façon très convaincante les dynamiques centrales qui constituent la trame de la vie urbaine dans ces quartiers du Mexique contemporain. Lorsqu’il est nécessaire, des discussions présentent le contexte historique et politique national, ce qui permet de mettre en perspective les évolutions de ce quartier de Guadalajara. D’autre part, les thèmes choisis permettent de mesurer les enjeux de l’expérience d’installation dans ces centres urbains. Le lien entre les thèmes est clairement perçu, mais c’est la dernière partie, qui traite des questions de genre, qui éclaire à mon avis la totalité de l’entreprise. Celle-ci constitue une lecture passionnante.

Si cette ethnographie remplit son objectif de rester une construction ouverte sur ces narrations de l’ordinaire et du quotidien, on peut trouver que l’écriture dense tend parfois à étouffer les voix de l’ouvrage. Le cadre théorique justifié et mis à l’oeuvre le long du livre permet de suivre avec aisance la démonstration de l’auteure, mais a tendance à alourdir le texte. Cependant, les différentes pistes développées se rejoignent au cours du livre, et l’auteure laisse plus de place vers les derniers chapitres à la présentation de ses interlocutrices. Cela confère une bonne illustration de son propos, ce qui permet de mieux saisir les liens présentés entre incorporation, espace et modernité. L’ouvrage de Valentina Napolitano offre ainsi une ethnographie originale et stimulante sur la vie contemporaine dans les centres urbains d’Amérique latine.