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Comme le titre de l’ouvrage le suggère, Samia Naïm présente ici onze articles bien choisis qui portent sur l’unification du temps et de l’espace dans diverses langues et cultures. Dans tous les articles, les auteurs traitent du chevauchement du temps et de l’espace au niveau grammatical ou conceptuel. Dans plusieurs cas, ils examinent le temps et l’espace dans des contextes divers comme une histoire ou un récit qui font partie d’une tradition orale ou bien à partir de comptes-rendus de la vie quotidienne. Les sujets principaux de cet ouvrage incluent la domestication de l’espace (sauvage, inhabité ou habité), la relativité de la distance et du temps et les liens entre l’ancestralité et la terre habitée.

Chaque article se caractérise par un cadre linguistique spécifique – par exemple, l’article d’Evangelia Adamou examine en détail les propriétés spatiales et temporelles du fonctionnel en našta, un dialecte slave de la Grèce – ou une approche anthropologique, comme la description de l’importance du temps et de l’espace dans le report d’une thérapie rituelle nahuatl pour guérir du susto par Elisabeth Motte-Florac. Mais la plupart des contributions combinent d’une façon ou d’une autre des exemples des phénomènes linguistiques avec un commentaire qui relie la langue et la culture de la société étudiée.

Quelques auteurs utilisent avec grand succès les deux approches, linguistique et anthropologique, pour traiter des rapports entre l’espace et le temps et le sens commun de cette union dans la société. L’article de Catherine Taine-Sheikh, « Poésies d’itinéraires et itinéraires poétiques chez les nomades sahariens », est un bon exemple d’un texte qui utilise une approche relevant des deux disciplines. Elle analyse les références à l’espace et au temps dans les poèmes créés par les Maures ; elle discute la construction sociale de l’espace et du temps, ainsi que l’importance culturelle des contextes de production. Taine-Sheikh écrit :

La mobilité du bédouin est devenue une référence pour le nomadisme moderne. Pourtant ses déplacements qui obéissent à une multitude de déterminations de tous ordres (écologique, économique, climatique, tribal, religieux), renvoient à une conceptualisation spatiale plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord, même si elle se construit essentiellement autour de lieux bien concrets – et non pas largement rituels comme dans l’univers mondialisé de l’hypercapitalisme.

p. 139-140

Elle présente la conception spatiale et temporelle mauresque comme tangible, concrète, et unifiée ; les lieux où se déroulent les événements de la vie quotidienne et la vie rituelle étant importants pour comprendre et créer les identités culturelles et individuelles.

En présentant des conceptions unifiées du temps et de l’espace, l’ouvrage fait contraste avec la pensée dominante dans une grande partie du monde industrialisé selon laquelle il y a dichotomie entre l’espace et le temps. Ainsi, Naïm inclut d’autres essais qui illustrent des conceptions indigènes du temps et de l’espace unifié et leur place dans un monde de plus en plus mondialisé. La contribution de Bertrand-F. Gérard porte sur la conception culturelle du temps-espace de Tahiti ; il présente quelques réflexions sur les marae, des artefacts situés en des lieux sacrés qui relient un espace particulier avec le temps et la langue des ancêtres. Il discute la dichotomie entre les conceptions tahitiennes autochtones du temps et de l’espace et les convictions françaises coloniales. Bien que les croyances coloniales aient influé sur la culture tahitienne, les Tahitiens contemporains comprennent les marae comme des espaces de convergence de leur passé et de leur présent. Gérard utilise les métaphores et les images de Flora Devantine, une chercheuse et auteure tahitienne, pour illustrer l’indivisibilité du temps et de l’espace, du passé et du présent, et enfin, de la langue et de la culture. Dans sa discussion de la thérapie pour guérir le susto, une maladie de la frayeur, Elisabeth Motte-Florac aborde aussi la question des changements récents dans les pratiques culturelles. Elle insiste sur la continuité de la tradition et la persistance d’une cosmologie nahuatl. Ces analyses devraient inspirer d’autres travaux sous l’angle spécifique des changements dans la conception du temps-espace sous l’influence d’autres cultures, incluant les perceptions coloniales des cultures indigènes.

Ce livre s’inscrit dans une série d’ouvrages récents en anglais qui portent sur le temps et l’espace, dont Grammars of Space : Explorations in Cognitive Diversity par Steven C. Levinson et David Wilkins (2006). Plusieurs ouvrages similaires ont aussi paru sur le sujet dans le domaine de la psycholinguistique (par exemple Hickmann et Robert 2006 ; Lenz 2003). L’approche des auteurs de La rencontre du temps et de l’espace est spécialement importante parce qu’ils combinent les perspectives linguistique et anthropologique ; ils décrivent aussi le chevauchement avec une grande perspicacité.