Corps de l’article

À partir de la fin des années 1970 se mettent en place des pratiques d’enfermement des étrangers à l’intérieur des aéroports internationaux français, qui évoluent dans les décennies suivantes vers l’institution d’un régime particulier de détention aux frontières : les « zones d’attente »[2]. Au contact[3] de ce dispositif d’« accueil », où les parcours individuels complexes viennent se rompre sur une ligne de défense de l’État français contre les migrations construites en illégalismes, la zone d’attente apparaît comme un appendice boursouflé de drames humains, une contradiction insoluble du système international dont l’expression favorite est cette phrase circulant de bouche en bouche : « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Cette expression, lancée par le premier ministre français Michel Rocard en 1989, est reconnue comme l’énoncé consensuel sur lequel se fonde la politique migratoire de fermeture des frontières et par lequel se justifient les dispositifs législatifs qui l’instituent depuis plus de deux décennies. Dans Au bord du politique, Jacques Rancière (1998) lui a consacré une analyse approfondie. « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde » : voici une phrase que nous retrouvons dans les postes de police des aérogares de Roissy où des demandeurs d’asiles reconduits attendent leur expulsion, mais aussi dans la bouche des travailleurs humanitaires de la Croix rouge qui gèrent le quotidien des étrangers enfermés, ou encore dans les couloirs du Tribunal de grande instance où les juges des libertés et de la détention se prononcent sur la prolongation de leur maintien en zone d’attente. Ce consensus laconique, qui se veut le constat neutre d’une lucidité vigilante, fonde aujourd’hui la raison politique des frontières européennes, en érigeant les pratiques de détention, d’arrestation et d’expulsion forcée des étrangers dans les termes d’une nécessité gestionnaire. Se trouvent évacuées des questions qui frappent au premier contact avec un tel dispositif : les affects xénophobes, puisant à la fois dans le passé colonial et celui des idéologies fascistes du premier XXe siècle (Valluy 2008), les modulations d’un rapport à l’étranger qui érige la frontière en prison, le « traitement » réservé à ces autres que l’on endigue ainsi. Loin de ces considérations, l’histoire de la détention aux frontières, ses modalités d’institution et d’administration sont donc situées d’emblée sur le terrain d’une gestion sans passion : c’est la soumission raisonnable à un mal nécessaire qui accepte l’encadrement du droit et se plie, s’il le faut, aux nécessités des besoins fondamentaux. Le maître mot du processus en place est en effet l’efficacité, qui, au regard des objectifs d’enfermement et d’expulsion forcée des étrangers, ne pâtit pas des crédits accordés aux droits et aux besoins, ainsi que nous le verrons à travers l’évolution de la zone d’attente ces dernières années. La mise en place de ces pratiques d’enfermement et d’expulsion des corps s’élabore dans une technicité du droit et de la gestion qui se veut exemplaire. Alors que la question de la légitimité est esquivée par une discussion autour des modalités et des procédures, le « maintien » des étrangers en « zone d’attente », ainsi qu’est techniquement requalifiée leur détention, semble bien procéder de cette « rationalité désenchantée qui nous invite à revenir des grands mots et des idées nuageuses aux mots exactement définis et aux classifications précises d’objets de pensée » (Rancière 1998 : 175). Toutefois, le paradoxe que nous observons tient de ce que ces processus gestionnaires, ces techniques juridiques et humanitaires de contrôle des populations indésirables, mettent en place des dispositifs inédits (Pandolfi 2002 ; Agier 2002). Aux frontières européennes, on assiste à des innovations constantes dans la réalité quotidienne du terrain, qui introduisent des expériences nouvelles de contrôle et de subjectivation, à commencer par l’expérience d’une violence nouvelle. Ces dispositifs s’imposent dans un rapport ambigu aux politiques et aux passions, qui se montre d’abord sur le mode de la dénégation. L’hyperjuridisme et la redéfinition « humanitaire » de la détention qui caractérisent la gestion des étrangers aux frontières instituent une entreprise ambivalente, qui se montre à la fois dépassionnée (l’administration des étrangers n’a ainsi pas cessé d’évoluer vers une rationalisation, une centralisation, une séparation), et compassionnelle (affichant un souci humanitaire envers les « malheureux »[4] enfermés aux frontières).

En effet, la question des passions politiques semble se nouer au croisement de deux axes brièvement évoqués ci-dessus. D’une part se dégage une réflexion sur les émotions de la démocratie, qui ne prend pas l’éthique de rationalité et de technicité au mot, mais regarde comment elle est travaillée, d’un côté, par une stigmatisation et un refus de l’altérité, et de l’autre, par une « morale humanitaire » (Boltanski 1998) et par les impératifs des droits de l’homme qui renvoient à une contre-construction identitaire européenne et démocratique. Pour saisir cette ambivalence à l’oeuvre entre un régime légal-rationnel (Weber 1995) et l’ensemble de demandes morales et d’affects contradictoires qui le travaillent, cette interrogation sur les émotions de la démocratie part d’un point de cristallisation : les corps à gérer, réguler, définir et contrôler. Cette configuration de gouvernement pose l’enjeu d’une violence spécifique : non pas une violence de légitimation ou la violence d’une confrontation, mais une violence de la gestion. En zone d’attente, l’observation empirique nous place en effet face à un paradoxe, qui nous introduit à un enjeu de gestion des corps et de violence réinvestie dans ce régime singulier de dépossession orchestré par le droit et la prise en charge humanitaire. Ainsi posée, la question des émotions de la démocratie ainsi que la nature du pouvoir gestionnaire qui s’y exerce sur les sujets du contrôle interrogent les rapports entre démocratie et violence (Pandolfi et Makaremi 2007), dans la mesure où cette violence n’est pas identifiée comme expression d’un exercice souverain, d’un « monopole légitime » de l’État, mais s’objectivise dans une opération de gestion des corps et des vies, d’identification et de tri où se réélaborent les lignes d’exclusion nationales et, finalement, politiques. Ici encore, deux réflexions s’imbriquent, que nous explorerons successivement. D’une part, les procédés de légalisation qui instituent l’enfermement aux frontières interrogent les rapports entre violence et droit – et les zones d’écart entre légalité et légitimité. D’autre part, la réalité quotidienne de ces zones exceptionnelles mobilise un ensemble de normes et de processus de gouvernement, qui actualisent des pratiques de gestion et inscrivent ces pratiques dans des jeux de pouvoir, des rapports de domination et de disqualification où se négocient le dehors de la mondialisation, et le dehors des sociétés démocratiques. Il s’agit ici d’observer l’évolution de l’enfermement aux frontières le long de deux axes essentiels : d’abord, l’institution administrative et légale d’une zone reconfigurant la frontière comme un espace paradoxal qui troue l’ordre territorial ; ensuite, la prise en charge des populations étrangères dans un régime humanitaire de détention.

L’institution des « Zones d’attente pour personnes en instance » : état de dépossession sous haute juridiction

Les zones d’attente sont des zones de détention considérées comme « extraterritoriales », à proximité des aéroports, des ports et des gares. Les demandeurs d’asile et les étrangers non admis sur le territoire y sont privés de liberté pour une durée allant jusqu’à vingt jours, dans l’attente d’une décision concernant leur admission ou la reconnaissance de leur demande d’asile. La Zone d’attente pour personnes en instance (ZAPI) de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, premier aéroport européen en termes de trafic aérien, accueille 96 % des personnes détenues aux frontières en France.

À partir du milieu des années 1970, des étrangers qui demandent l’asile à leur arrivée en France, ou qui ne sont pas autorisés à entrer sur le territoire français – pour des raisons aussi bien administratives (comme la validité du visa ou l’absence de passeport) que discrétionnaires (comme le soupçon d’immigration illégal) – sont détenus pour une durée variable par la Police aux frontières (PAF). Selon l’administration, dans les aéroports internationaux l’espace compris entre les pistes et les postes de douane n’est en effet pas encore considéré comme en France : il n’est pas soumis à la loi française et il ne fait pas non plus l’objet d’une réglementation internationale[5]. Dans l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, à 23 kilomètres de Paris, c’est-à-dire au coeur du territoire français, la frontière aérienne que franchissent plus de 56 millions de personnes par an est ainsi fictivement restituée dans sa dimension marginale de frontière à travers un espace neutralisé. La continuité territoriale est suspendue en droit par le recours d’une « fiction juridique » – technique du droit qui consiste à supposer vraie une chose que l’on sait fausse, en l’occurrence, que la zone internationale de l’aéroport n’est pas encore la France. Or, à partir du milieu des années 1970, l’administration française réinvestit cette fiction d’extraterritorialité pour en faire le cadre de la gestion des étrangers refusés sur le territoire. La Police aux frontières en charge du contrôle à Roissy a développé au cours du temps certaines pratiques d’administration des étrangers refusés dans la zone internationale, en inscrivant ces pratiques administratives dans la suspension légale qui définit cette zone. En localisant le contrôle à l’intérieur de cette zone pour bénéficier de son (absence de) statut juridique, l’administration française organise, met en place et ajuste progressivement une technique d’enfermement des étrangers à l’intérieur de la frontière comme gestion durable du paradoxe frontalier en aéroport. Un quotidien de contrôle s’installe dans ce qui était au départ un passe-passe juridique exceptionnel. Ainsi l’exercice du pouvoir en vient-il à investir un lieu d’écart entre norme et réalité (une « fiction juridique ») et creuse un peu plus cet écart en y développant des pratiques quotidiennes, des habitudes, des règles de fonctionnement, des hiérarchies. Soustrait à l’application de la loi pénale qui encadre normalement la détention, les conditions de détention et de renvoi des étrangers sont alors du ressort des pratiques de la Police aux frontières. Il ne s’agit pas tant d’une lacune de réglementation que d’un réinvestissement administratif. Au cours des années 1980, l’augmentation du nombre de personnes maintenues en zone internationale dans les aéroports parisiens rend visible aux salariés de l’aéroport et des compagnies aériennes les conditions d’enfermement dans la zone internationale, telles qu’elles seront décrites par des observations ultérieures :

Dans tous les postes de police, c’est la même vision d’horreur : des locaux exigus, sans aération (les portes restent toujours fermées), où les personnes sont entassées comme du bétail. La chaleur y est étouffante, l’odeur suffocante, mélange de saleté et de sueur mêlées. Il n’y a aucun accès à des WC ou à des sanitaires pour se laver. Les étrangers […] doivent toujours attendre très longtemps pour se désaltérer ou aller aux WC. Un policier a dit qu’il ne faisait pas ce métier « pour emmener trente personnes pisser ou chier ». Un autre a raconté qu’en janvier, il y a eu jusqu’à quarante personnes nuit et jour dans la cellule du poste de police de l’aérogare 2A et d’autres dans le bureau attenant et que des maintenus ne pouvant sortir se faisaient dessus. Des étrangers maintenus au poste du 2F ont raconté que sept d’entre eux y avait dormi la nuit précédente et cinq la nuit d’avant, 4 hommes et une femme. La nuit, les hommes ont dû uriner dans des bouteilles et la femme sur un plateau repas.

Anafé 2000[6]

Témoins des pratiques d’enfermement, des organisations syndicales, telles que le Syndicat CFDT des personnels Air-France mais aussi le Syndicat CFDT de la Police aux frontières, se rapprochent alors des associations de défense des droits de l’homme et des droits des étrangers. Un groupe de travail créé en 1987 donne ainsi naissance en 1989 à l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé)[7] dans l’objectif de coordonner l’action des différentes organisations, et de se poser comme front uni de la société civile sur la question de la détention frontalière. Les pratiques de détention aux frontières sont dénoncées. Des articles et des communiqués collectifs s’opposent d’une part à la dimension taboue des pratiques de la Police aux frontières, et d’autre part, la détention administrative est dénoncée comme une entorse aux principes fondamentaux de la communauté politique française (Julinet 1999). Cette association s’organise en front de pression pour réclamer la présence d’un juge lors la procédure de détention à la frontière : elle revendique une « légalisation » de la pratique. L’Anafé soutient des étrangers détenus, qui une fois admis sur le territoire, engagent des procédures devant les tribunaux. Ces actions conduisent à la condamnation de l’État, notamment par le Tribunal de grande instance de Paris qui, en mars 1992, condamne la « détention » des étrangers[8]. Sous la pression des associations et des syndicats et sous la menace de plusieurs procédures judiciaires, le ministre de l’intérieur socialiste Paul Quilès présente une loi qui vise à donner un cadre juridique[9] à une pratique administrative en cours, en instituant les « Zones d’attente pour personnes en instance ». L’investissement technico-légal de la détention aux frontières répond à la demande de mise en conformité démocratique, en même temps qu’elle solidifie et verrouille le dispositif administratif en place. L’État s’applique d’abord à nommer ses pratiques. Au Tribunal de grande instance qui condamne la « détention » des étrangers, l’État réplique en parlant de « maintien » : l’étranger étant, en théorie, « libre de quitter à tout moment la zone d’attente pour toute destination située hors de France », il n’est pas privé de liberté ou « détenu », mais « maintenu ». D’autre part, la « zone d’attente » annule le principe d’extraterritorialité de la « zone internationale » puisqu’une législation française[10] (certes exceptionnelle) en réglemente la procédure. Le texte de loi légalise les pratiques bureaucratiques en place en les articulant à un dispositif juridique : répondant à une pression constitutionnelle[11], la prolongation du maintien en zone d’attente est soumise à l’autorisation du juge des libertés et de la détention. La durée totale de maintien est fixée à vingt jours[12]. Pendant ce temps se met en place une procédure complexe faite d’une succession de délais courts pendant lesquels s’enchaînent, se chevauchent et se croisent différents processus de décision et de jugement exercés par une multiplicité d’acteurs administratifs et légaux : la police, le ministère de l’Intérieur, la préfecture, les consulats, l’Office de protection des réfugiés, le juge des libertés et de la détention, le juge administratif, éventuellement le médecin, etc. La solidification et la complexification de la procédure renverse, assez ironiquement, le sort des sujets du contrôle. Dans la zone d’attente, les étrangers passent d’une suspension à une saturation orchestrée par un enchevêtrement de catégories juridiques et administratives, impliquant chacune des délais, des droits, un parcours spécifique, mais qui se confondent, s’emmêlent, se superposent dans une danse kafkaïenne : « mineurs isolés », « non-admis », « en instance de renvoi », demandeur d’asile, « transit interrompu », « de provenance ignorée », etc.

L’institution de la zone d’attente montre que la réponse à une dénonciation de violence d’État et à une demande de droits est la mise en place d’un espace juridiquement saturé, d’une requalification légale de la détention. Voilà les « sans-droit » pris dans une saturation de droits. Mais, paradoxalement, cette surqualification juridique crée les conditions d’application d’un pouvoir démesuré, qui investit les sujets du contrôle hors des cadres usuels du rapport politique. L’histoire de la zone d’attente nous invite à comprendre, à travers l’observation des pratiques administratives, de la mobilisation du droit et du dispositif juridique qui y répond, comment s’est institué cet « état de dépossession sous haute juridiction » (Butler et Spivak 2007 : 43). La naissance institutionnelle des zones d’attente montre, d’une part, comment elles découlent de l’institutionnalisation a posteriori d’une pratique administrative, et d’autre part, comment cette dynamique est le fruit de négociations et repositionnements constants entre les autorités administratives, dans leur volonté de contrôle des frontières, et de leur souci sociétal de maintenir des pratiques respectueuses des droits de la personne, qui définissent l’état de droit. Or, la façon dont l’extralégal est ici ressaisi par le droit, donc légalisé a posteriori, pose la question des rapports ambigus et des zones de tension entre légalité et légitimité. C’est là qu’opère un discours de légitimation, qui s’impose, comme nous l’avons rappelé, sur le mode du consensus, et qui fonctionne comme un embrayeur rhétorique et logique du processus de légalisation des pratiques administratives : « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». La légitimation des pratiques ad hoc d’enfermement des étrangers renvoie à ce front ambigu où le droit expert est utilisé pour avoir prise sur une économie émotive, en reformulant celle-ci dans les termes d’une rationalité gestionnaire dépassionnée.

Ce(ux) qu’on ne peut admettre : les émotions au prisme du droit

Explorant le travail du droit dans la construction et la légitimation d’une gestion policière des populations étrangères, Rancière (1998 : 185) fait remarquer que « la loi objective ce qui était jusqu’ici le contenu d’un sentiment, connu sous le nom de sentiment d’insécurité ». Le sentiment d’insécurité n’est certes pas une passion, mais cette réflexion pointe une ligne de force essentielle du dispositif pathétique de la démocratie, qui est la convertibilité entre le registre des affects et le registre du droit. Pour Rancière, le principe qui fonde le consensus est justement cette « convertibilité entre l’objet du sentiment et l’objet de la loi, et, tout particulièrement, cette convertibilité entre l’objet de la peur et l’Autre que la loi doit d’abord identifier avant de l’expulser » (Rancière 1998 : 186). Or, cette zone sensible du droit où s’articulent légitimité et légalité est le lieu où prend corps le pouvoir sur les étrangers contrôlés. Si l’opération du droit est celle d’ « identifier » ces autres à expulser, la conséquence de l’institution légale de la détention aux frontières est celle d’une saturation juridique des sujets du contrôle, où se jouent véritablement les conditions d’exercice du nouveau pouvoir administratif légal sur les corps indésirables. Dans ces zones intermédiaires en démocratie, où sont traités les prisonniers exceptionnels, les étrangers et les « non-citoyens », l’identification juridique émerge comme un point d’application du pouvoir. Dans ce qui est paradoxalement un endiguement et une expulsion, la « qualification » se révèle une procédure juridique par laquelle les sujets sont à la fois constitués et forclos » (Butler et Spivak 2007 : 27).

Or, l’institution de la détention aux frontières montre que cette opération de translation des affects en droit, qui semble constituer le tissu émotif de la démocratie, joue dans les deux sens : elle s’observe aux points de jonction institutionnels aussi bien qu’aux points d’écart et de distorsion entre le légitime et le légal. À rebours de l’objectivation des sujets, devenus « catégories expulsables », et de l’objectivation du pouvoir nu en jeu dans l’expulsion des corps, devenu application d’une décision de « réacheminement », les personnes soumises à ce pouvoir reparaissent dans leur épaisseur sensible au franchissement d’une limite, qui est leur anéantissement. Le maintien aux frontières et le refoulement des étrangers sont des moments de violence et de grande tension ; l’embarquement forcé sous escorte de police est une contrainte qui s’inscrit dans le corps de l’expulsé : elle a pu, dans l’histoire du maintien dans les trois dernières décennies, causer mort d’homme. À chaque mort se produit une déchirure sensible dans le noeud du légitime et du légal par où passe la raison consensuelle (« on ne peut pas accueillir… ») et la conformité constitutionnelle. Lorsque les pratiques administratives engagent des vies, elles font apparaître un seuil au-delà duquel le « coût » du contrôle aux frontières devient inadmissible. En-deçà de la négociation juridique, mais sous-tendant cette dernière, se joue une autre négociation dont l’enjeu est le suivant : à partir d’où et jusqu’où les pratiques de maintien aux frontières sont-elles moralement défendables? Gestion des corps, gestion des altérités : la zone d’attente joue avec les frontières de l’« espace moral » (Fassin 2004 et 2005). Cette négociation se cristallise au grand jour à chaque scandale entachant la zone d’attente ; scandales qui atteignent leur paroxysme lors du décès d’un étranger pendant le renvoi, et ont pour conséquence quasi systématique de faire sortir l’État du silence et de l’amener à s’expliquer sur ses pratiques. Ainsi, au fort de la bataille juridique qui donne naissance aux zones d’attente en 1991-1992 éclate un scandale en zone internationale, avec la découverte que les pratiques administratives contestées au nom du droit ont causé la mort d’un demandeur d’asile[13]. Les deuxième et troisième cas de décès à la suite d’un renvoi forcé ont lieu peu après la mise en place de la troisième zone d’attente (ZAPI 3), qui sanctionne une nouvelle étape dans le maintien aux frontières : respect de la dignité en même temps que fermeté affirmée de la politique migratoire[14]. Les médias relaient largement ce double « scandale » des morts en zone d’attente : un argentin et un demandeur d’asile somalien meurent de crise cardiaque respectivement le 30 décembre 2002 et le 18 janvier 2003. Or, d’une part, la loi instituant les zones d’attente a été conçue en décembre 1991 et votée à l’été 1992. D’autre part, une présence humanitaire est négociée avec la Croix rouge en octobre 2003. Cette même année 2003, le ministère de l’Intérieur négocie avec les associations une assistance juridique permanente[15]. En 1991 comme en 2003, il semble significatif que les évolutions les plus importantes concernant les conditions de maintien suivent de près l’émotion publique en réaction au franchissement d’un seuil dans ce qui est moralement acceptable : ici encore, le débat pose un enjeu de décence, de dignité[16]. Ainsi, l’introduction d’une réalité humaine qui dramatise des enjeux exprimés en termes généraux de droits ou de flux migratoires restitue la zone d’attente dans une économie émotive. Dans ce contexte, le fait juridique s’inscrit dans un appel émotif, qui, paradoxalement, se traduit à nouveau dans les termes d’une mobilisation juridique, et d’une demande de droits. La mobilisation se construit sur une dénonciation des frontières comme « zone de non-droit » (Anafé 2001, Médecins du monde 2003) alors qu’il n’y a rien de plus légal et de plus légalisé que la zone d’attente. Ce que le scandale indique – et qui se trouve esquivé par la juridisation de la question – c’est la reformulation du pouvoir impliquée par l’opération de gestion des corps et des vies. Posée hors du champ constitutionnel sur lequel avance la mobilisation de la société civile, la question de la violence gestionnaire est cependant la ligne par laquelle va évoluer le dispositif de détention à partir de son institution légale. En effet, comment penser les rapports entre démocratie et violence, dans la mesure où ce noeud droit-violence s’institue dans une opération de gestion des corps et des vies, d’identification, de tri et d’exercice de la force où se réélaborent les lignes d’exclusion nationales et, finalement, politiques?

De la « Zone internationale » à la « ZAPI 3 » : gestion de la violence et violence gestionnaire

Au dépassement de cette ligne rouge normative qu’est la souffrance, et ultimement, l’anéantissement des corps, semble répondre en effet l’institutionnalisation de leur prise en charge. Mais cette ligne d’actualisation du dispositif se confond déjà avec les enjeux gestionnaires qui caractérisent le régime carcéral et humanitaire propre au « maintien ». En effet, la loi Quilès de 1992 créant les zones d’attente institue des « lieux d’hébergement assurant aux étrangers concernés des prestations de type hôtelier ». Or nous n’avons pas tant affaire à des acquis de droits nouveaux, ou à l’ajout des normes inédites censées améliorer les conditions « indignes » de détention, qu’ici aussi, à l’institutionnalisation d’une pratique administrative déjà établie. Si l’on en croit en effet un témoignage publié dans la revue Plein Droit en mars 1991 (c’est-à-dire avant le premier projet de loi déposé en décembre 1991) :

Depuis quelques temps, le salon de correspondance de la zone internationale est plus calme. « Les chambres de fortune qui s’y trouvent ont été fermées pour cause de non conformité. L’endroit, mal entretenu, où parfois des gens étaient frappés, offrait un spectacle qu’on ne tenait sans doute pas trop à montrer au public », commente Jean-Marie Balanant (agent de liaison des Aéroports de Paris). Non loin de là, à la sortie de la station du RER, le premier étage de l’hôtel Arcade est « réservé ». Faciles à repérer, grâce aux barreaux qui « ornent » les fenêtres, les quelque vingt-cinq chambres ont été décrétées « zone sous douane ». […] C’est le « couloir des inads » (diminutif désignant les étrangers « inadmis »), bien gardé de chaque côté par des policiers. […] L’hébergement à l’hôtel est un moyen de rendre plus discrètes les situations pénibles engendrées par le rejet à la frontière. Cela évite les drames en public…

GISTI 1991[17]

De façon ambivalente, au-delà d’une volonté d’amélioration effective des conditions de détention, prouvée dans les faits, la mise en place d’un dispositif d’hébergement des étrangers semble d’abord répondre à une nécessité de gestion et de centralisation dans l’enfermement d’étrangers de plus en plus nombreux, et à un principe pragmatique de séparation qui désamorce les scandales et les tensions liées à la visibilité de ces situations. L’hôtel est en France pour « la clientèle ordinaire qui avale son steak ou ses sandwichs (et) ne se doute pas un instant qu’au-dessus de sa tête, des hommes et des femmes sont enfermés » (Plein Droit 1991), alors qu’il est considéré hors de France pour les étrangers enfermés à l’étage. Après l’institution légale des zones d’attente, l’étage de l’hôtel Arcade a continué à servir, sous le nom de ZAPI 1, de lieu d’hébergement aux étrangers. Devant l’augmentation des détenus, deux autres zones (ZAPI 2 et 3) sont ouvertes. En 2000, ZAPI 2 occupe une partie délimitée du Centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot pour les sans-papiers en attente d’expulsion, construit en préfabriqué à proximité de l’Aérogare 1 de l’aéroport de Roissy. Les étrangers maintenus en zone d’attente et les sans-papiers en instance d’expulsion sont donc hébergés dans une même structure, dont le régime est carcéral : promiscuité, possibilité de mouvement réduite, intendance pénitentiaire, repas communs à heures fixes. La superposition géographique des deux régimes de détention administrative n’est ni anecdotique, ni fortuite, mais en révèle au contraire la complémentarité juridique, sociale, et politique. L’hôtel Ibis (ZAPI 1) est fermé au début de l’année 2001, suite à l’inauguration de la ZAPI 3, première zone d’attente spécifiquement pensée et construite pour le maintien aux frontières.

Le centre de ZAPI 3, qui se trouve dans la zone de fret de l’aéroport, est un bâtiment semblable aux autres locaux industriels, à la différence près qu’il est entouré d’un double grillage et de caméras de surveillance centralisées dans une salle de contrôle gérée par la Police aux frontières. Le rez-de-chaussée est réservé à l’administration : s’y trouvent les bureaux de la police, du ministère de l’Intérieur et de l’Office de protection des réfugiés (OFPRA). Un sas de portes magnétiques lourdes sépare la partie administrative du bâtiment du centre d’hébergement à proprement parler. Là, les conditions d’hygiène sont garanties par de nombreuses cabines de sanitaires et de douches privées soumises au nettoyage javellisé incessant de la compagnie d’entretien. Les murs de béton crépi peints en blanc, orange, jaune et vert, et les sols carrelés de gris, la climatisation, l’insonorisation rappellent une construction hôtelière neuve[18]. La mise en place de ce centre constitue un événement du fait de la générosité qu’il affiche dans l’accueil des étrangers enfermés, ainsi que le suggère la cérémonie d’inauguration : « […] l’architecte Danièle Damont expliquait son souci d’amener un peu de soleil grâce aux couleurs […] et le ministre, Daniel Vaillant, ne tarissait pas d’éloges devant l’éclairage zénithal de l’intérieur » (Le Monde 2001). Les locaux propres et en bon état inscrivent ainsi dans le béton la volonté affichée par le ministère de l’Intérieur de conformer les conditions du maintien aux principes de dignité humaine que lui opposent, depuis plus d’une décennie, les associations et les cours de justice. Mais nonobstant les conditions d’hygiène et la couleur des murs, la gestion et la construction du centre relèvent aussi de la norme carcérale. Les fenêtres sont sans poignée, les portes sans verrou ; les meubles sont vissés au sol ; dans les couloirs s’enchaînent les hauts parleurs, qui appellent les maintenus à toutes heures, et annoncent les repas, obligatoirement pris en commun. Enfin, des dispositions telles que l’absence de sacs en plastique, l’interdiction d’objets en verre, l’usage de couverts en plastique sont prises pour prévenir les mutilations et les tentatives de suicide, qui témoignent de la conscience du haut degré de détresse psychique qui règne dans les lieux. Dès l’abord, ZAPI 3 se pose comme un lieu hautement ambivalent, où l’amélioration des conditions matérielles est tout aussi visible que la rationalisation de la gestion policière, voire pénitentiaire, d’une population isolée et séparée du reste du territoire, dans la continuité logique de l’enfermement à l’hôtel Arcades pratiqué de fait depuis 1991.

Ce qui fait la singularité de la ZAPI 3 est qu’elle inaugure à la fois un dispositif de sécurité plus lourd et plus efficace et une nouvelle gestion des personnes, fondée sur des normes humanitaires. Ainsi, le face à face entre les agents de l’État et les étrangers maintenus est-il brisé avec l’introduction de tierce parties telles que la Croix rouge, les agents de maintien, d’administration, de sécurité privée. En effet, un des aspects fondamentaux de cette évolution est que l’administration de ce centre – qui est un espace très sensible, intimement lié aux manifestations de contrôle de l’État sur le territoire et les populations – s’est ouverte aux acteurs privés qui en gèrent presque entièrement le quotidien. L’intendance du centre d’hébergement quant à elle est sous-traitée par une entreprise privée. Depuis octobre 2003, le ministère de l’Intérieur a confié une mission d’assistance humanitaire en ZAPI 3 à la Croix rouge française. En pratique, la Croix rouge assure une mission de « médiation », qui renvoie à un rôle d’entre-deux : entre l’administratif pénitentiaire – gérer la vie des maintenus – et l’humanitaire – garantir leurs « besoins fondamentaux ». La présence et la règle de conduite de cette organisation obéit au principe fondateur de la Croix rouge : la « neutralité ». En zone d’attente, cela signifie que le personnel humanitaire doit s’occuper de la gestion des personnes, corps et biens, sans prendre en compte leurs situations individuelles, leur parcours administratif, la raison de leur présence ; en un mot, « sans s’immiscer dans le travail de la police ». L’entreprise GTM-multiservice cogère quant à elle le maintien en ZAPI, des plans de construction aux matériaux utilisés, de l’hygiène aux repas, de la sécurité et la surveillance des lieux (pompiers, vigiles) aux bases de données sur la population détenue. Inscrite dans une dimension « hôtelière » ambiguë, qui est une des lignes d’actualisation de la zone d’attente comme le rappelle la ZAPI 1, la gestion standardisée de la nourriture, de l’hygiène, et de la sécurité est porteuse d’un certain nombre de pratiques et de techniques qui nous invitent à reposer les conditions du maintien, non pas en termes de salubrité et de décence des conditions de vie comme ce fut le cas lors de la première époque de la zone d’attente, mais en termes de « techniques du corps » nouvelles impliquées par le régime de maintien inauguré par la ZAPI 3 (déjà présente de façon incomplète en ZAPI 2).

Ainsi comprise, la culture matérielle est action, c’est-à-dire gestes et mouvements, le plus souvent inconscients ou en tout cas automatiques, et cette action contribue à la constitution de « sujets moraux », y compris dans la sphère politique. Autrement dit, on ne peut saisir l’assujettissement que dans les mouvements des corps qui le mettent en branle, et ces derniers sont tributaires de la matérialité des objets.

Bayart 2004 : 357

En effet, ce qui se joue dans cette prise en charge matérielle des maintenus qui implique une hygiène, un rapport à l’espace et aux objets, une réappropriation des normes, un régime de consommation spécifique, c’est – pour citer Foucault dont la réflexion sous-tend le cadre d’analyse développée par Bayart – « une gouvernementalité à l’articulation de techniques de domination et de techniques de soi » (Foucault 2001 : 1050).

Le régime humanitaire de détention – oxymoron étrange – décrit ainsi une amélioration normalisée des conditions matérielles du maintien, en même temps qu’il institue de nouvelles formes de subjectivation et de pouvoir sur les corps. De façon moins spectaculaire que l’urgence de la survie dans laquelle la norme humanitaire trouve sa légitimité, en mode mineur dirons-nous, c’est la possibilité de se fonder comme sujet qui est en jeu, lorsque la qualification gestionnaire se superpose à – et se confond parfois avec – la qualification juridico-administrative.

[Une] réduction des trajectoires individuelles, des individus, des hommes, des femmes, en corps : corps indistincts, corps déplacés, corps localisés qui se trouvent dès lors catalogués et définis comme réfugiés, immigrants, clandestins.

Pandolfi 2002 : 39

Les évolutions de la zone d’attente montrent ainsi comment le régime d’enfermement des étrangers prend corps en trois temps : d’abord, de fait, dans le secret de la zone internationale ; ensuite, en occupant d’autres lieux : un hôtel puis un centre de détention pour sans-papiers – le glissement d’un lieu à l’autre étant fort instructif au regard du statut, à la fois symbolique et bien réel, des étrangers et leur progressive « criminalisation » (Palidda 1999). Dans un troisième temps enfin, cette pratique investit un lieu construit et pensé spécifiquement pour l’enfermement aux frontières, adapté aux délais, aux caractéristiques spatiales et temporelles du « maintien », qui initie la mise en place du régime de détention humanitaire aujourd’hui en cours. Cette logique connaît un aboutissement avec la « loi Sarkozy » de novembre 2003 qui précise que « la zone d’attente s’étend, sans que l’on est besoin de prendre une décision particulière, aux lieux dans lesquels l’étranger doit se rendre, soit dans le cadre de sa procédure en cours, soit en cas de nécessité médicale ». Le tribunal et l’hôpital, bords extérieurs du réseau territorial aux frontières, peuvent éventuellement devenir des « hors France » afin de maintenir, fictivement, la séparation spatiale qui est la vocation du maintien. Mais tout cela est, justement, une « fiction ». La machinerie juridique et technique, jetée en roue libre, s’emballe : les frontières nationales, « zones » mouvantes et multiformes, glissent leur exception légale et trouent le territoire. Comment cette série de déplacements – juridiques, géographiques, de point d’application du contrôle – nous aide-t-elle à ressaisir la question des rapports entre légalité et légitimité, d’une part, et entre gestion et violence, d’autre part?

Les frontières, « domaine de subjectivité et d’affectivité »

D’une « fiction juridique » à l’autre, la mise en place de la zone d’attente implique donc des dispositifs de gouvernement tout à fait empiriques qui s’inscrivent dans un double processus où se négocie la légitimation ambiguë de la force. D’un côté, le légal est suspendu pour préserver la condition de possibilité du droit, alors que sa cohérence avec le réel se trouve mis à l’épreuve. De l’autre, des procédures illégales sont réinscrites a posteriori dans le discours du droit. Cependant, chaque étape de l’institutionnalisation agence et redéploie la gestion des étrangers détenus vers un régime spécifique de contrôle, privatisé, inscrit dans les corps, et réinscrivant ces corps dans des contrôles de flux, jusqu’à finalement créer ces hommes-frontière qui portent leur régime exceptionnel sous leur pas. La frontière excluante, lieu de saturation et de suspension, épaisse, liquide, opaque, transportée au centre de l’espace public mais soustraite à la visibilité, n’engage pas tant la ligne partageant « la communauté et son dehors » (Rancière 1998), que le processus logique mais aussi bien passionnel par lequel s’institue ce régime d’altérité.

Ce qui s’institue dans cette frontière, ce sont des rapports de pouvoir qui fonctionnent pour anticiper, infléchir et prendre emprise sur ce qui échappe. De même que l’évidence consensuelle est profondément ambiguë – si l’on ne peut pas accueillir toute la misère du monde, comment se distinguer cette « bonne partie » du tout que l’on peut accueillir? – de même, le dehors de l’espace démocratique n’est pas défini une fois pour toutes : il ne préexiste pas au processus d’exclusion. Le dispositif sécuritaire tend au contraire à le faire indéfiniment advenir (Foucault 1997), dans le travail d’une frontière mouvante et réversible. La norme qui délimite ce dehors n’est donc pas définie au préalable : c’est la frontière qui la fait exister à travers des techniques et des pratiques de gouvernement des corps. Cette réflexion pose le problème du « non-droit » en d’autres termes, puisqu’elle articule l’organisation de la suspension des droits à l’intérieur de l’espace démocratique à une question de gestion de la population. Ce qui est désigné comme « zone de non-droit » à la frontière n’est pas un dehors de la société où l’ancien droit souverain prévaut sur les corps sans statuts exposés. À la suite de Giorgio Agamben, un champ théorique oppose ainsi l’existence du citoyen « enveloppé dans des dispositifs protecteurs de toutes sortes » aux vies indésirables exposées à l’infinie violence du camp liminaire et du confinement (Brossat 2003 : 94-95). Or, cette opposition ne résiste pas à l’observation empirique : en zone d’attente, si les conditions d’existence des étrangers sont marquées par une suspension de la loi, elles sont redéfinies dans le même temps par une série de normes juridiques et humanitaires. La redéfinition normative, l’institution d’une prise en charge humanitaire des corps inscrivent les pratiques de détention dans l’exercice d’une violence gestionnaire qui creuse les rapports entre violence et démocratie dans une nouvelle complexité.

La question qui se pose à partir de là est celle de savoir comment appréhender cette violence gestionnaire dans ses effets de pouvoir et, finalement, dans sa dimension politique. S’il est entendu au regard des analyses qui précèdent qu’une mobilisation du sujet de droit est impuissante à saisir l’acuité biopolitique de cette violence gestionnaire, il devient alors utile d’investiguer les processus de subjectivation de ceux sur le corps desquels passent ces nouveaux rapports de pouvoir à la marge, court-circuitant et renversant le « devenir torpide de la politique en tant que domaine de subjectivité et d’affectivité » (Brossat 2003 : 78) en un enjeu d’investissement du sensible.