Comptes rendusBook ReviewReseñas

Michèle Baussant (dir.), Du vrai au juste. La mémoire, l’histoire et l’oubli. Presses de l’Université Laval, collection Intercultures, 2006, 199 p.[Notice]

  • Isabelle Bianquis

…plus d’informations

  • Isabelle Bianquis
    Département de sociologie
    Laboratoire CITERES
    Université François Rabelais, Tours, France

Un titre évocateur, en écho au célèbre ouvrage de P. Ricoeur, et qui ouvre sur une réflexion collective destinée à la compréhension des processus mémoriels. Le livre, dirigé par Michèle Baussant, rassemble 11 contributions, dont 5 assorties d’un commentaire, qui portent sur des terrains très différents, mais dont il faut souligner la grande cohérence dans le choix de l’angle d’approche et des situations analysées. Le parti pris est posé dès la première page : il sera question d’interroger la part du politique dans les modalités de construction de la mémoire collective et ce, dans des situations qui suivent des événements violents : l’histoire des Algonquins du Canada, la révolte du Chiapas au Mexique, les persécutés politiques en Roumanie, l’holocauste nazi des Roms, les Afrocolombiens et la période de l’esclavage, la cohabitation des Katangais et des Kasaïens du Katanga (Congo), les pieds-noirs et les harkis après la guerre d’Algérie. Ce sont autant d’exemples de peuples malmenés et pour lesquels, à un moment donné de leur histoire, s’est posée la question de la réparation, de la prise en compte de leur singularité ou encore de la légitimité de leurs actes. En effet, l’idée qui traverse l’ensemble des textes repose sur la recherche des mécanismes de reconnaissance identitaire formulée par des communautés, dont les droits ont été bafoués, et la difficulté de cerner l’adéquation entre ce qui est demandé et les stratégies politiques mises en oeuvre pour y répondre. Dans le prolongement de ces interrogations, les auteurs soulignent également les décalages observés sur leurs terrains d’enquête entre reconnaissance institutionnelle et réalité quotidienne. Au coeur de la question de reconnaissance identitaire s’entrecroisent processus de réconciliation et rhétorique du pardon. Du vrai au juste reste le titre principal de cet ouvrage et, ces deux concepts bien relatifs servent de fil conducteur pour appréhender ce qui fonde la relation de l’homme à son passé, mais aussi les enjeux idéologiques dans lesquels se construisent les représentations du passé. La notion de « juste » est précisément ce qui se joue dans les mécanismes de recomposition des souvenirs et, souligne Michèle Baussant dans son introduction, reflète les attentes propres à de nombreuses sociétés. La demande de réparation matérielle et/ou symbolique, le pardon, la juste mémoire, le rapport à l’histoire, la question de l’oubli, les perceptions réciproques sont alors autant de questions soulevées par les différents auteurs. Ricoeur envisage le pardon comme relevant de la problématique de la culpabilité et de la réconciliation avec le passé. Si tous les textes mettent l’accent sur le pardon, ils soulignent néanmoins que cette notion ne revêt pas le même contenu selon l’endroit où l’on se place et que les processus de réconciliation ne doivent pas se fonder sur l’oubli du passé, mais sur « un apprivoisement de l’Histoire » (p. 82). Comment se construit la mémoire nationale, quels mécanismes se mettent en place dès lors qu’il faut rendre justice et demander pardon? C’est la question que pose M.P. Bousquet dans sa contribution sur la réparation de l’histoire concernant les Algonquins du Québec. Quand les peuples se voient-ils reconnaître un statut de victime? Quels enjeux matériels et symboliques se croisent dans la quête de « restauration » du passé? Parfois la reconnaissance du statut de victime et le pardon ne viennent pas, pour des raisons idéologiques. En comparant l’holocauste juif à celui des Rom par les nazis, V. Klauber identifie des positions politiques qui ont conduit à considérer le premier comme un génocide et l’autre non. Il arrive également que les politiques reconnaissent les torts de l’histoire, mais la forme institutionnelle ne rejaillit en rien sur les conditions de vie de populations longtemps …