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Ces deux numéros thématiques ont en commun le fait d’aborder des espaces institutionnels, la paroisse et la clinique, par le biais de phénomènes religieux axés respectivement sur la pratique et le discours. Le concept de territorialisation, abordé dans « Catholicisme et Territoire », est familier aux géographes et anthropologues intéressés par la construction sociale de l’espace. Par contre, son application dans le contexte de la désintégration des communautés paroissiales et, à un niveau plus large, dans celui des efforts des diocèses pour réorganiser l’Église catholique, est relativement nouvelle. En guise d’introduction, S. Abbruzzese situe l’analyse du territoire, en tant que champ d’étude, dans la tradition durkheimienne, et il s’interroge sur le lien entre la dimension religieuse et l’espace socialement vécu dans le contexte de la sécularisation. R. Courcy s’intéresse aux effets de la modernité, au Québec et en France, sur la paroisse catholique vue en tant que lieu de débats et d’expérimentations concrètes. Dans le même contexte, F. Garelli traite de la relation entre la mobilité territoriale des croyants italiens et l’établissement de nouveaux lieux religieux autres que la paroisse. À un niveau plus large, J. Palard compare la restructuration de l’organisation territoriale de l’Église catholique aux processus de décentralisation de l’ordre politico-administratif en mettant l’accent sur les transformations des modalités d’exercices de pouvoir. De son côté, L. Diotallevi, par le bais d’une analyse quantitative laborieuse, compare les pratiques religieuses dans le nord et le sud de l’Italie et, chose surprenante, il conclut son article en postulant l’absence de relation directe entre la sécularisation et la crise actuelle de la religion catholique! Enfin, C. de Galembert présente un article remarquable sur les enjeux entourant la construction d’une cathédrale dans la ville nouvelle d’Évry en France. Le succès de ce « lieu de transcendance anonyme » auquel chacun peut s’identifier, serait l’expression d’une « revanche de la tradition sur la modernité », d’un « retour du sacré » et d’un retour à une « pastorale de visibilité ». Ce numéro présente des outils d’analyse pertinents pour aborder du point de vue de la relation au territoire les transformations religieuses vécues au Québec depuis quelques décennies (sécularisation, fusions paroissiales, démolitions d’églises, mobilité des croyants et popularité croissante des centres de pèlerinages).

Le numéro thématique de Transcultural Psychiatry traite de la construction narrative de la détresse psychologique à l’aide des symboles culturels, des mythes et des rituels. Le numéro s’articule autour de l’article de E. Witztum et Y. Goodman intitulé « Narrative Construction of Distress and Therapy : A Model Based on Work with Ultra-Orthodox Jews ». Il est suivi de quatre commentaires auxquels répondent les auteurs. Witztum et Goodman travaillent dans une communauté juive ultra-orthodoxe israélienne où la psychologie et, en particulier, le concept de subconscient, sont vus comme de dangereuses hérésies menaçant la foi en l’existence de Dieu. S’appuyant sur un paradigme constructiviste social et cognitif, les deux psychiatres respectent l’horizon culturel, symbolique et rituel de leurs patients et leur approche thérapeutique tient compte d’ouvrages récents en anthropologie, entre autres, Dow (1986) et Obeysekere (1990). Le but de la thérapie est de créer un changement positif chez le patient en l’aidant à construire, à partir d’un récit fragmentaire, des séquences plus logiques qui serviront à le libérer de la figure surnaturelle qui le hante. Plutôt que d’inscrire ce récit dans la terminologie psychiatrique, ils le traduisent dans le monde symbolique et religieux du patient.

Le premier commentateur, D. Seeman, qualifie cette approche de réductionniste en raison de la méconnaissance anthropologique dont feraient preuve les auteurs envers la culture Haredim. Plutôt que de le relier à une réalité culturelle, ceux-ci réduiraient le problème à un conflit interne. De son côté, C. Rousseau, qui met en relation le travail du thérapeute et celui du guérisseur traditionnel ou du leader spirituel de la communauté, rappelle qu’en général le patient n’a pas de préférence de méthode, mais qu’il reconnaît surtout la qualité du thérapeute en tant qu’individu. Elle considère que le discours du patient devrait être partagé avec la communauté, le discours perdrait ainsi son caractère absurde et le patient pourrait alors redéfinir sa relation au groupe. Dans la même optique, L. J. Kirmayer souligne l’importance de l’approche collective lorsque le thérapeute doit travailler avec des individus provenant d’un milieu conservateur et suspicieux face à une approche thérapeutique qui entre directement en conflit avec leurs valeurs traditionnelles. La question est surtout de savoir si ces conflits éthiques doivent être évités ou simplement reportés. Enfin, A. Young s’intéresse à la narration elle-même et la remet en question comme outil de thérapie en se demandant ce qu’il advient des patients incapables de construire leur propre narration. Ces articles donnent l’étrange impression d’être en présence de chamans postmodernes appliquant divers moyens (psychothérapie, médication, hypnose, mythes et rituels) pour « guérir » des patients torturés par des anges, des démons et des esprits surgis d’un environnement culturel et symbolique prémoderne nourri de l’étude de la Torah, du Talmud et de la Kabbalah. Cette publication intéressera les chercheurs concernés par la construction sociale de la maladie mentale ; l’utilisation des mythes et des rituels en psychotérapie ; la complexité des interfaces entre le patient, le thérapeute et la communauté ; et, dans une perspective plus critique, par l’étude des effets de deux « discours vrais », le religieux et le psychiatrique, sur la subjectivation des individus.