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Voilà un essai séduisant sur le tourisme moderne et sa condition la plus courante, les vacances, d’une facture très personnelle, bien charpenté, intelligent et agréablement écrit. L’anthropologue suédois Orvar Löfgren, de l’Université de Lund, entreprend de « use the historical perspective as an analytical tool to problematize the present [of tourism], comparing very different eras and arenas of vacationing » (p. 7). En fait, et plus modestement, l’ère à l’étude couvre les deux derniers siècles tandis que les aires géographiques se limitent à « some European and North American vacation worlds » (p. 9), un monde restreint où la Suède et les États-Unis obtiennent la part du lion. Löfgren construit son argument sur une catégorisation bipolaire proposée par Jean-Didier Urbain (1994) qui répartit les caractères touristiques entre les « Phileas Foggs » et les « Robinson Crusoe ». Concernant les premiers, il explore les « Landscapes and Mindscapes » de cette forme de tourisme où les Philéas sont à la recherche d’expériences confortables et de courte durée, alors que l’incessante quête d’ailleurs des Robinson est abordée à la section suivante intitulée « Getaways ». En guise de conclusion, Löfgren pose le sujet « Between the Local and the Global » et s’attarde à considérer deux lieux ou fraye naturellement le touriste, à savoir la plage et les parcs de villégiature, matrices historiques où se sont fixées les normes occidentales réglant l’expérience vacancière.

L’auteur est manifestement à son aise dans les domaines des études de l’espace, du paysage, du loisir et de la consommation, auxquelles il a été longtemps associé et où il puise la majorité de ses références pour ce livre. Il mélange de façon convaincante idées et auteurs, quoiqu’il n’exploite pas toujours leurs thèses autant qu’on pourrait le souhaiter. En ce sens, le fait que l’auteur prétende avoir réussi à utiliser une approche historique pour « problématiser le présent » reste sujet à débat. Du point de vue des études touristiques, Löfgren doit être félicité pour son utilisation d’ouvrages trop peu souvent cités en anglais, comme L’idiot du voyage (1991) et Sur la plage (1994) de J.-D. Urbain. Par contre, certains ouvrages largement répandus et souvent cités en langue anglaise et qui sont pertinents pour sa démarche ont été négligés. Ainsi, la riche mine que constitue la revue Annals of Tourism Research n’a pas vraiment été exploitée. La considération de l’évolution du tourisme à travers l’histoire aurait certainement bénéficié des lumières du Tourism in History from Imperial Rome to the Present de M. Feifer (1986). La discussion sur l’état d’esprit du touriste, pris entre le désir du familier et celui de l’exotique, aurait trouvé un support chez, entre autres, N. Graburn et son Tourism, the Sacred Journey (1989). L’incontournable The Tourist de D. MacCannell a été inclus dans l’exposé (1976), mais de façon trop sommaire. Plusieurs textes qui dressent des bilans détaillés des études du tourisme en anthropologie, incluant la question des vacances exploitée par Löfgren, comme ceux de M. Crick (1989) et D. Nash (1981, 1996) constituent des omissions qu’on s’explique mal. Il faut également déplorer qu’un grand nombre des références introduites dans les notes en fin d’ouvrage ne se retrouvent pas dans la (très) « Selected bibliography », rendant laborieuse la consultation de ces références dispersées.

Si des références supplémentaires auraient été utiles aux non-spécialistes pour bien situer l’ouvrage de Löfgren dans la généalogie des études touristiques, leur absence ne cause cependant pas préjudice à l’ouvrage aux yeux des spécialistes. Les lecteurs familiers avec le traitement du tourisme et du loisir dans les champs de la sociologie et de l’anthropologie trouveront sa lecture utile autant que stimulante, remplie de réflexions rafraîchissantes et d’observations piquantes sur les situations de la vie quotidienne. On Holiday est une contribution adroite et imaginative qu’il est agréable de voir s’ajouter au corpus des études anthropologiques du tourisme.