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Le Labrador dont il est question dans ce livre est la Basse-Côte-Nord du Golfe du Saint-Laurent ou Lower North Shore en anglais. De fait, jusqu’au jugement du Conseil Privé de Londres en 1927 octroyant la partie atlantique des côtes du Labrador à la colonie de Terre-Neuve, la partie orientale de la Côte-Nord allant de la rivière Saint-Jean à la frontière avec le Labrador dit « terre-neuvien » était régulièrement désignée sous le nom de Labrador canadien.

Cleophas Belvin est originaire de la Basse-Côte-Nord mais, chose curieuse, cela n’est mentionné nulle part dans son volume, ni même dans la notice bibliographique placée à l’endos de la jaquette de couverture. Il est né à Saint-Augustin et il avait cinq ans lorsque Yvan Breton et moi avons réalisé en 1966 notre recherche de terrain menant à la publication d’une monographie de ce village publiée en 1969 (Tremblay, Charest et Breton). Il fait mention de cet ouvrage dans sa bibliographie, mais on n’y trouve aucune référence dans son texte. Il « oublie » aussi une bonne partie des rapports de recherche et publications qui ont été produits par le projet Ethnographie de la Côte-Nord du Saint-Laurent du Département d’anthropologie de l’Université Laval qui a duré de 1965 à 1976 sous la direction du professeur Marc-Adélard Tremblay et de moi-même. Quelques-uns des ouvrages publiés entre 1968 et 1972 sont mentionnés dans sa bibliographie, mais un seul est cité dans ses références. Pourtant, plusieurs membres de notre équipe ont publié de nombreux textes depuis, mon plus récent datant de 2002.

L’auteur explique indirectement dans sa préface (p. viii) ces lacunes documentaires par le fait qu’étant historien-archiviste il a surtout privilégié des recherches dans des fonds d’archives (surtout Archives nationales du Canada à Ottawa, sa ville de résidence, Archives nationales du Québec et Archives oblates Deschâtelets (Ottawa). Il a ainsi le mérite particulier d’avoir utilisé des données inédites provenant d’archives personnelles déposées à Ottawa que je ne connaissais pas. Malgré mes 40 ans de travaux et de publications continus sur la Basse-Côte-Nord, j’ai donc appris de nouvelles informations, même si l’auteur dit s’adresser à « des gens qui ont peu ou pas de connaissance de la côte du Québec-Labrador » (ibid.). Malgré mes susceptibilités personnelles et professionnelles, je considère qu’il a produit un très bon ouvrage sur l’histoire de la Basse-Côte-Nord.

Le livre est divisé en neuf chapitres ordonnés de façon chronologique entre la préhistoire de la sous-région, venant après une introduction géographique, et la période la plus récente de 1960 à nos jours. Il aurait pu être découpé en deux grandes parties marquées par la coupure historique de 1820, alors que les monopoles successifs des concessionnaires sous le régime français et les deux compagnies du Labrador sous le régime anglais ont pris fin et laissé place à l’implantation d’une population permanente. Quatre chapitres (2 à 5) concernent la période d’avant 1820 et portent respectivement sur la préhistoire et les premiers habitants amérindiens et inuit, l’arrivée des premiers européens, les « entrepreneurs » français qui exploitèrent des concessions de pêche au phoques à partir de Québec et les « marchands » anglais qui ont continué à opérer à peu près de la même façon après la conquête.

Les quatre autres chapitres (6 à 9) portant sur la période d’après 1820 traitent des sous-périodes suivantes : 1820-1850 environ ; 1850-1900 ; 1900-1960 ; 1960 à aujourd’hui. Ces chapitres ont une structure assez semblable avec des subdivisions portant sur des thèmes dont l’ordre de présentation varie quelque peu : les flux migratoires, la religion, les écoles, les services médicaux, les transports et les communications, les pêches, la situation socio-économique générale, la situation juridico-politique. Sauf pour le premier chapitre, les parties sur la pêche (base de l’économie de la sous-région) et sur la situation économique générale sont présentées à la fin des chapitres plutôt qu’au début comme on pourrait s’y attendre. Selon la conception assez juste de l’auteur, l’histoire de la Basse-Côte-Nord a été ponctuée de périodes de relative prospérité (surtout la première), de privation et de pauvreté, voire de misère et de famine, d’où les titres de trois subdivisions : « Feast or famine », « Privation and prosperity », « Economic prosperity ». Selon moi, l’utilisation du terme « prospérité » est exagérée, car, même si les revenus monétaires des Bas-Nord-Côtiers se sont beaucoup améliorés dans la dernière période surtout grâce aux migrations de travail, ils demeurent assez nettement inférieurs à ceux de l’ensemble du Québec et l’économie de la région, toujours basée essentiellement sur l’industrie de la pêche, reste très précaire par manque de diversité.

Une subdivision intitulée « Lifestyle » apparaît une seule fois dans le chapitre 6 traitant des débuts du peuplement permanent sous le titre « The Pioneer Settlers ». L’auteur ne définit pas explicitement ce concept, mais plutôt de façon indirecte en se référant d’une part au double habitat d’été (dans un poste de pêche près des côtes) et d’hiver (dans un lieu protégé des intempéries au fond d’une baie ou dans l’embouchure d’une rivière) et au cycle saisonnier d’activités comme la pêche au loup-marin avec des filets en hiver et au printemps, la pêche à la morue et autres poissons en été, la cueillette de petits fruits à la fin de l’été, le piégeage des animaux à fourrure en automne, de même que l’utilisation du cométique (traîneau à chiens) en hiver. Ce sont les fondements de la sous-culture de la Basse-Côte-Nord davantage apparentée à celle des Terre-Neuviens qu’à celle des autres sous-régions de la Côte-Nord dont j’ai traité dans plusieurs textes.

Tous ces chapitres sont de lecture agréable. La synthèse des informations réalisée par l’auteur est remarquable, bien qu’il semble en être à sa première publication. À travers l’exposé de ses données, l’auteur se fait parfois critique du travail de certains missionnaires – pour lesquels il semble avoir de l’admiration par ailleurs – et d’une entreprise familiale qui a exercé un certain monopole sur l’achat du poisson et le commerce de détail. Il relève aussi les rivalités et jalousies existant entre les différentes localités anglophones et francophones et le ressentiment des premiers envers le nationalisme québécois.

J’ai relevé dans le texte plusieurs erreurs d’écriture concernant des noms qui ne sont pas toujours des coquilles telles que « André Lavoie » au lieu de Napoléon Lavoie (p. 91) « Saint Lawrence Seaway Products » (p. 131-135) au lieu de Saint-Lawrence Sea Products et la façon de se référer à notre monographie sur Saint-Augustin (p. 189).

Finalement, la lecture du livre de Cléophas Belvin a ramené à mon esprit une constatation : celle de la non‑pertinence ou du non‑intérêt pour les auteurs anglophones des textes universitaires publiés en français, alors que cet auteur déplore dans sa préface le peu de travaux par des historiens sur « l’histoire et la culture de la région » (p. viii).