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Tout en étant une compilation de plusieurs articles parus entre 1998 et 2001, cet ouvrage nous apporte une image harmonieuse et quasi exhaustive de la question de l’esclavage. Alain Testart conduit le lecteur dans les dédales a priori complexes de l’esclavage. Il propose d’utiliser les contours institutionnels comme fil conducteur, ce qui permet de comprendre et de connaître le concept de l’esclavage. Au sein des sociétés, (devrait-on ajouter « qui l’ont pratiqué »), l’esclavage est un élément de la vie des sociétés qui est régi par le droit. Ainsi, juridiquement, l’esclave est exclu du contexte principal de la société dans laquelle il vit. Ce peut être une exclusion de la parenté, du lignage, de la cité ou de la religion. Cette situation fait de lui un « dépendant » en perte d’identité. C’est ce qui fonde l’unité du statut d’esclave. Pour alimenter son hypothèse, l’auteur décrit et compare les formes possibles de l’esclavage dans les différents types de sociétés. Embrassant l’histoire des sociétés les plus diverses, l’analyse porte sur la question du statut de l’esclave en régime despotique, et s’attache ensuite à la caractérisation des régimes de vie « captif » et « gagé », pour signifier la différence notoire de ces statuts avec celui de l’esclave dans la définition institutionnelle retenue par l’auteur. Il place d’ailleurs en perspective le mot français « merci » avec sa racine latine merces puis merx, mercis, la « marchandise », qui traduit la possibilité ou la crainte d’être réduit en esclavage pour un bien reçu.

C’est dans les sociétés traditionnelles de la Côte Nord-Ouest de l’Amérique du Nord qu’il trouve une illustration de ce phénomène, même si la complexité du fait social décrit par l’auteur montre qu’il ne sert pas à grand chose d’en chercher des explications à partir d’un raisonnement binaire. Un individu capturé devenait esclave faute d’avoir été racheté par ses parents ou par son clan. Cette impossibilité du rachat était l’aveu d’une indignité, d’une infamie qui tient à des facteurs sociaux propres à ces sociétés : là où le potlatch (forme ostentatoire du vrai faux don) structure une grande partie des rapports sociaux, l’ancien esclave, racheté par son clan, n’a rien à donner.

L’auteur approfondit le très complexe « esclavage pour dette ». Cette incursion lui permet de développer ensuite un nouveau concept, « la réduction consentie » (p. 121). Cette tentative s’avère intéressante dans la mesure où elle permet de mieux faire émerger « l’importance et la signification de l’esclavage pour dettes », forme fondamentale de « l’esclavage interne », spécificité, dit l’auteur, de l’esclavage en général. Il nous apprend, au fond, que cette forme toute particulière d’esclavage n’a pratiquement pas fait l’objet d’études, occultée par la dimension « ressource guerrière » de l’esclavage. Et pourtant, toutes les aires culturelles sont concernées par ce mode d’asservissement résultant d’une situation d’insolvabilité de l’individu. L’auteur prend la précaution de resituer cette notion dans les catégories précédemment décrites, précaution utile pour éviter l’emploi abusif du terme « esclave ». Cependant, dans cette très intéressante revue planétaire de l’esclavage pour dettes, on peut regretter l’absence de mise en perspective de cette problématique pour les « engagés » du sous-continent indien, de l’Afrique et de Madagascar à la fin du XVIIIe et au XIXe siècle au profit des colons des îles des Mascareignes.

La dernière partie de l’ouvrage fait état des analogies possibles entre l’esclavage et le prix de la fiancée. En s’appuyant sur l’exemple des sociétés chinoises, Testart préconise une comparaison entre « esclavage interne » et « prix de la fiancée ». La troisième annexe qui clôt l’ouvrage est une critique rétrospective de la question de l’esclavage dans les sciences sociales.