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Dans le cadre d’un entretien accordé à la chercheuse mohawk Dawn Martin-Hill (chapitre 18), Lillian Whitehead (groupe des Cris lubicon, Alberta) déclarait : « We have been silent too long. Now we will be heard and we will make them hear us! ». Ce collectif que nous ont présenté Blaser, Feit et McRae en 2004 constitue à la fois en une prise de parole et une analyse de cette position qui est partagée par de nombreuses populations autochtones à travers le monde.

D’entrée de jeu, In the Way of Development est une publication non conventionnelle en ce sens qu’elle met en relation des auteurs qui appartiennent à des univers qui se côtoient régulièrement, mais dont les voix et les écrits sont rarement mis en commun. Elle rassemble des chercheurs, principalement issus du domaine de l’anthropologie, des chefs et des politiciens autochtones ainsi que des militants intéressés par la cause des droits humains, des droits de l’environnement et des droits autochtones. Cette plurivocalité donne ainsi accès à des points de vue emic et etic au sujet des enjeux du développement soutenu entre autres par les États et avec lesquels les communautés autochtones doivent composer quotidiennement.

Les cas exposés dans ce volume nous parviennent principalement des Amériques (Canada, États-Unis, Mexique, Chili et Paraguay) à l’exception des chapitres de Rethmann (chapitre 15), qui s’attarde à des groupes militants du Tchoukotka, et de Parajuli (chapitre 14) qui s’intéresse au concept d’« ethnicité écologique » au Mexique mais aussi en Inde. Cette variété d’exemples présente les similitudes qui existent quant à l’expérience du développement vécue par des communautés autochtones vivant dans des contextes nationaux divers. Elle illustre le sentiment d’injustice partagé par ces communautés et leur désir de (ré)affirmer et de renforcer leur statut d’actrices de leur propre avenir. Se posant comme une critique du développement et des institutions qui le soutiennent, ces différentes figures de cas rendent compte des conséquences sociales et environnementales associées à cette réalité. Les auteurs de ce collectif illustrent également la variété de stratégies mises en oeuvre par les groupes autochtones, notamment la création d’alliances entre ces groupes et autres groupes d’intérêt (ONG, environ-nementalistes, etc.) ou par le biais d’ententes avec l’industrie et les gouvernements nationaux. Ces alliances se forment tantôt en vue de s’opposer et de résister à des projets de développement qu’ils jugent irrespectueux ou dommageables pour leur environnement tant naturel que social (McRae, chapitre 7; Gedicks et Grossman, chapitre 11; Johnston et Garcia-Downing, chapitre 13), tantôt afin d’accroître leur pouvoir de décision et le partage des bénéfices encourus et d’inscrire leur propre vision du monde dans l’élaboration d’autres projets (Craik chapitre 10).

Ce collectif souligne la valeur des projets de vie élaborés et proposés par les groupes autochtones comme alternative aux projets de développement (Blaser, chapitre 2 et 4). À travers cette critique du développement, les représentants des Premières nations réclament une participation au sein des structures de gouvernance qui touchent les questions autochtones, voire de transformer et de diriger les institutions qui encadrent les projets de développement concernant leurs territoires et leurs ressources (Barras, chapitre 3). Cette demande répond à une exigence d’équité quant au partage des bénéfices découlant de l’utilisation de leurs territoires, mais également d’une exigence que les projets qui les concernent directement soient construits en fonction de leur mode d’être au monde et de la relation qu’ils entretiennent avec leurs territoires (Come, chapitre 9). Inscrits dans un contexte de globalisation accéléré, ils demandent par ailleurs à participer aux processus de décisions conduisant à l’élaboration des ententes internationales qui définissent les contours des projets de développement et d’exploitation des ressources naturelles.

Parallèlement, certains auteurs autochtones qui ont participé à ce collectif font état de leur exaspération en ce qui a trait à l’attitude paternaliste affichée par les différents gouvernements, institutions de développement et organismes non gouvernementaux (Barras, chapitre 3). Les réflexions qui nous sont offertes par les auteurs de cet ouvrage s’inscrivent donc dans la poursuite de projets de décolonisation de leur territoire, de leur pensée, de leurs savoirs, et même de leur vie. Ces actions dirigées vers l’obtention d’une plus grande autonomie et orientées vers la reconnaissance de leur droit à l’autodétermination se déroulent néanmoins dans un esprit d’ouverture quant à une possible coexistence entre leurs projets de vie et ceux proposés par les Euros-Américains (McGregor chapitre 5). Mais comme le souligne Longboat (chapitre 20), cet appel à la coexistence ne peut se faire qu’à partir d’une réelle volonté de compréhension mutuelle. Le chapitre de Scott (17) souligne et critique par ailleurs l’existence de contre-discours politiques reposant sur une compréhension obtuse des concepts de race et de civilisation qui tente d’invalider les revendications des Premières nations en les qualifiant entre autres de racistes. De telles positions constituent autant d’obstacles à la construction de cette compréhension mutuelle ainsi qu’à la réalisation des aspirations autochtones en matière de développement, de revendications territoriales et de reconnaissance de leur droit à l’autodétermination.

En guise de conclusion, nous sommes d’avis que ce collectif constitue une excellente entrée en matière pour quiconque s’intéresse aux questions autochtones, aux rapports que ceux-ci entretiennent avec les États ainsi qu’aux questions liées au développement. Ce volume offre également des pistes de réflexion intéressantes pour comprendre la nature de la relation qu’entretiennent les populations autochtones avec leur territoire (Feit, chapitre 6), pour penser le concept d’autochtonie et remettre en question les interconnections qui existent entre les savoirs écologiques traditionnels, les savoirs scientifiques et les institutions gouvernementales (McGregor, chapitre 5).