PrésentationLa télévision et le regard anthropologique[Notice]

  • Isabelle Henrion-Dourcy

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Les anthropologues se sont autoproclamés de longue date les spécialistes disciplinaires de l’étude de la culture. Corroborent-ils dès lors l’affirmation du journaliste Vladimir Donn (2007 : 6), pour lequel « [l]a télévision est la première pratique culturelle du monde » ? Comment les anthropologues comprennent-ils la télévision ? Ce numéro spécial d’Anthropologie et Sociétés sur les transformations sociales et culturelles opérées par la consommation télévisuelle relève principalement de l’anthropologie des médias. C’est un sous-champ de l’anthropologie qui est en pleine expansion actuellement, mais qui ne semble pas (encore ?) avoir suscité l’intérêt des anthropologues de langue française. On peut d’ailleurs s’interroger sur cet angle mort de l’anthropologie francophone, laquelle s’est pourtant distinguée par une riche et longue tradition d’anthropologie visuelle (où le documentaire ethnographique occupe une place prépondérante), mais qui semble avoir abandonné l’analyse de la communication de masse aux disciplines voisines au sein des sciences humaines : la sociologie, les études de la communication, l’histoire ou encore les sciences politiques. Alors que l’anthropologie des médias est assez établie dans le domaine anglo-saxon, laisserait-elle de marbre les francophones ? N’avons-nous donc rien à dire sur ces contenus symboliques, ces pratiques, ces processus, ces flux économiques, ces institutions ou ces moyens technologiques qui occupent une place centrale dans la vie quotidienne, les relations sociales et l’imaginaire de chaque groupe humain pourvu de l’électricité ? C’est maintenant un truisme de relever le fait que les médias non seulement reflètent le monde et en facilitent les échanges, mais en outre participent activement à ses transformations culturelles, politiques et sociales, ainsi que l’a mis en lumière la récente actualité dans les pays arabes. L’objectif de ce numéro est donc d’offrir, pour la première fois dans un périodique anthropologique en français, une tribune à l’anthropologie des médias. Une consultation des portails de recherche Érudit et Persée permet de constater que les revues anthropologiques francophones n’ont publié aucun volume thématique sur les médias. De plus, les articles individuels qui relèvent peu ou prou de l’anthropologie des médias y sont extrêmement clairsemés. Pour cette première exposition, c’est l’angle particulier de l’ethnographie de la télévision qui a été retenu. Ici encore, il est étonnant de constater qu’à une récente exception près, L’Homme, L’Ethnographie, Ethnographiques, le Journal des anthropologues, Socio-anthropologie, Gradhiva ou encore Terrain n’ont pas publié d’articles consacrés à la télévision. Seule la présente revue se démarque avec trois contributions publiées voici plus de quinze ans. D’autres périodiques, délimités par leur ancrage géographique (Cahiers d’études africaines, Études Inuit) comportent çà et là quelques contributions sur, ou proches de, notre thème, mais souvent en anthropologie visuelle. Enfin, au sein même de la Media anthropology anglophone, la télévision fait figure de sous-champ de recherche mineur, lorsqu’on voit la faveur que connaissent le documentaire ethnographique, le cinéma ou Internet – marginalité qui ne se retrouve pas dans les périodiques des sciences de la communication. On peut ainsi noter ce désintérêt relatif en scrutant les listes de chercheurs en Media anthropology dans les réseaux spécialisés, ou les articles de recherche parus davantage dans les revues d’anthropologie visuelle que dans les grandes revues d’anthropologie générale. On peut voir deux raisons principales, me semble-t-il, au silence relatif des anthropologues devant la télévision. D’une part, le poids écrasant des défis méthodologiques et théoriques de ce « médium problématique » (troublesome medium, Painter 1994) : l’anthropologie, enracinée dans la petite dimension et la vie quotidienne, est-elle équipée pour décrire les médias de masse ? La télévision provoque un double sentiment de confusion sur le terrain (que doit-on observer exactement, puisque la production de …

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