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Lévi-Strauss Claude, 2011, L’autre face de la lune. Écrits sur le Japon. Paris, Le Seuil, 181 p. (François Laplantine)[Notice]

  • François Laplantine

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  • François Laplantine
    Faculté d’anthropologie et Sociologie, Université Lyon 2, Campus Porte des Alpes, 5, avenue Pierre Mendès-France, 69676 Bron cedex, France
    francois.laplantine@univ-lyon2.fr

N’ayant personnellement aucune affinité avec la pensée structuraliste et cheminant dans une perspective très éloignée de celle de son plus éminent théoricien, je me suis trouvé dans une situation assez étrange lorsque la Maison franco-japonaise de Tokyo m’a proposé de participer au mois de décembre 2008 au colloque organisé pour le centième anniversaire de la naissance de Claude Lévi-Strauss. C’est à cette occasion que j’ai pu réaliser qu’il existait une dimension japonaise de la réflexion de Lévi-Strauss qui, certes, n’infirme pas son oeuvre, mais néanmoins la module, la complète et la précise. Ainsi que le rappelle Kawada Junzo dans sa préface à L’autre face de la lune…, l’anthropologue effectua cinq séjours au Japon, en compagnie de son épouse Monique, entre 1977 et 1988. Cet ouvrage rassemble des textes sur le Japon, écrits entre 1977 et 2001, et qui étaient pour la plupart inédits en langue française. Le premier séjour de six semaines a tellement marqué Lévi-Strauss qu’il n’hésite pas à le qualifier de « véritable tournant dans ma pensée et dans [s]a vie » (p. 58). Mais ce n’est pas à proprement parler une découverte, encore moins une surprise. Il confie qu’il doit ses premières émotions esthétiques à la vue d’une estampe de Hiroshige à l’âge de six ans et que, jeune homme, ses économies sont entièrement consacrées à acquérir des ukiyo-é. « Toute une partie de mon enfance et une partie de mon adolescence se déroulèrent autant, sinon plus, au Japon qu’en France, par le coeur et la pensée » (p. 8), écrit Lévi-Strauss qui, devenu adulte, dévore littéralement les grands classiques de la littérature japonaise. Il lit les oeuvres de Chikamatsu, ce dramaturge auteur de nombreuses pièces de bunraku (théâtre de marionnettes), trois traductions différentes du Genji monogatari, écrit par une femme au XIe siècle, considéré comme le tout premier roman japonais, et qui préfigure à son avis avec sept siècles d’avance La Nouvelle Héloïse de Rousseau. Il lit également le Hōgen monogatari, le Heiji monogatari et le Heike monogatari, qui lui rappellent les Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand. Les séjours de Lévi-Strauss au Japon sont minutieusement préparés par plusieurs fondations et centres de recherches. Il se rend dans les villages et les « coins les plus reculés » (p. 150-151), où il effectue des observations précises sur les savoir et les savoir-faire des artisans : potiers, charpentiers, cuisiniers, pâtissiers, forgerons de sabres, fabricants d’instruments de musique traditionnelle. Il est particulièrement sensible au raffinement des métiers du bois, de la laque, de la céramique, au « goût pour les matières laissées à l’état brut, les textures rugueuses, les formes irrégulières ou asymétriques » (p. 47). Ce qui l’intéresse, c’est la spécificité du rapport au travail dans des îlots de société préindustrielle « mieux préservée » (p. 62) qu’en Occident. « Le travail n’est pas considéré comme action de l’homme sur une matière inerte, à la façon occidentale, mais comme mise en oeuvre d’une relation d’intimité entre l’homme et la nature » (p. 151). De même qu’il éprouvait déjà, enfant, une « passion » pour les ukiyo-é, il s’enthousiasme maintenant pour la gamme pentatonique (laquelle ne mélange pas les sons mais module des sons « à l’état pur » et fait du Japon « une civilisation à ton » (p. 73) et éprouve un « coup de foudre » pour la cuisine japonaise, en particulier les algues et le riz cuit « selon les règles » (p. 71) qu’il adopte à partir de son séjour de 1977 dans son alimentation quotidienne. Cette cuisine est en quelque sorte le concentré de ce …

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