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Cet ouvrage collectif réunit un ensemble de textes originaux, fruit des réflexions proposées par ses auteurs lors du colloque éponyme, organisé à Montréal en novembre 2003. C’est avant tout le rapport des jeunes au risque, sous les formes multiples qu’il pourra prendre dans les sociétés occidentales contemporaines, notamment françaises et québécoises, qui sera exploré dans cet ouvrage aux regards multiples.

F. Cochet y présente ainsi son association qui sensibilise les adolescents et leurs parents aux risques que comporte le jeu du foulard, alors que F. Goulet-Yelle conclut l’ouvrage sur une tonalité nostalgique, par un texte bref et intense, une rêverie sur le bercement que n’aurait pas renié Marcel Jousse. La question de la violence subie par les jeunes filles est abordé par M. Fernet et son équipe, dans une analyse qualitative explorant les liaisons entre relation amoureuse et violence au sein des couples adolescents. Les textes de H. Ait El Cadi, explorant les souffrances que vivent les adolescentes en regard des canons de la beauté médiatisée, et celui de M. Laabidi, qui précise le précédent article en s’interrogeant sur le rapport entre l’image médiatique de la femme dans le vidéoclip de rap et la sexualisation précoce des jeunes filles, complètent une part importante de cet ouvrage qui ne néglige pas d’aborder des problématiques spécifiques à chaque genre.

Ainsi, F. Rahmani expose le vécu des jeunes hommes des quartiers populaires français et les modes de sociabilité qui s’y développent, les réseaux qui s’y créent autour de l’argent ou de ses équivalents matériels et les motifs qui poussent certains à s’y investir quand d’autres cherchent à les éviter, parfois à s’enfuir. De l’autre côté de l’Atlantique, ce sont les gangs de rue montréalais qui ont retenu l’attention de M. Perrault. Les enjeux identitaires qui s’articulent autour de la gang et du territoire restent trop souvent négligés pour ces enfants de migrants d’origine afro-antillaise, et ils fournissent à l’auteur d’intéressantes pistes de réflexion, loin des visions monolithiques véhiculées par les médias.

Il est clair que les thématiques de la violence, de la souffrance et du risque font régulièrement l’objet d’un traitement médiatique, où sensationnalisme et dramatisation occultent bien souvent les réalités vécues. C’est le mérite de chacun de ces articles de proposer une vision nouvelle, cherchant aux sources du vécu des explications à des phénomènes souvent considérés comme anormaux et, partant, absurdes. Dans cette perspective, la contribution de P. Hintermeyer est exemplaire en ce qu’il cherche à comprendre et transmettre le sens que leur donnent leurs victimes et leurs auteurs, dans des sociétés où l’adolescence est devenue une étape cruciale du cycle de vie, dont les limites ne sont jamais véritablement exprimées.

C’est précisément à propos de cette étape nouvelle du cycle de vie que les articles les plus réflexifs de l’ouvrage vont se développer, en tentant de comprendre ce qui, dans ce qu’on appelle aujourd’hui communément les conduites à risque, est justifiable d’une analyse en termes de rites de passage. D. Le Breton, T. Goguel d’Allondans et D. Jeffrey proposent, chacun à sa manière, un développement sensible et brillant à propos de ces conduites caractéristiques de nos sociétés.

À travers les notions de rites ordaliques, d’épreuve, de sacrifice, ce sont des comportements toujours singuliers qui se trouvent expliqués. Rites intimes, auto-administrés, la mise au monde de soi passe aujourd’hui par la recherche d’une reconnaissance individuelle, à défaut d’une reconnaissance collective, soulignant les dysfonctionnements des règles de la filiation, les logiques d’exclusions que génèrent nos structures sociales, la fragmentation d’un sens pourtant vital au lien social.

Devant cet état des lieux, comment utiliser la notion de rite de passage, élaborée par l’ethnologie à travers l’étude des sociétés traditionnelles (moment nécessaire et propice construisant l’accès à l’âge d’homme à travers une série d’étapes déterminées à l’avance par la coutume)? Le rite de passage assure la transmission sociale, non l’autoréférence. Communautaire, sous la responsabilité des aînés, il ne s’administre jamais entre membres d’une même classe d’âge. Au bonheur du novice de changer de statut, définitivement inséré dans le lien social, au bonheur des parents, viennent aujourd’hui s’opposer la souffrance du jeune qui cherche dans le contact avec la mort la légitimité de vivre et le désarroi des parents devant les conséquences parfois tragiques de l’épreuve sanctionnée par l’échec.

Qu’en est-il réellement du rite de passage? Peut-on, à l’aune de ces descriptions, penser un concept de rite de passage élargi? Pourquoi le sens de la vie est-il si douloureux à faire advenir pour ces jeunes gens? Ces travaux qui inaugurent l’ouvrage et posent des questions dont l’actualité ne se dément pas, fournissent tous des pistes de recherches dont viennent s’emparer les textes suivants, révélant chacun une facette nouvelle des fragilités, des souffrances et des quêtes de vie de la jeunesse.