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Professeur de sociologie à l’Université de Haute-Bretagne/Rennes 2, Pierre-Jean Simon rassemble et développe ici les travaux qu’il a menés sur l’identité bretonne, prétexte à une analyse du concept d’ethnicité.

Avant d’aborder le cas spécifique de la Bretagne, il propose, dans une première partie, une définition sociologique de la notion de groupe ethnique, envisagée comme une construction sociale dont il va dégager les principales caractéristiques. C’est un concept fortement marqué par le contexte nord-américain qui est demeuré d’occurrence assez rare dans les sciences sociales françaises — en dehors du Québec. Ceux que l’on appelle les « “ethniques” ont toujours été les autres, ceux qui ne sont pas comme nous — et qui ont manifestement tort de ne pas l’être » (p. 18). Dans les années soixante, soixante-dix, à la faveur d’un mouvement de reviviscence ethnique (ethnic revival), le terme ethnic est passé de connotation négative à connotation positive suivant « le processus classique de retournement du stigmate en emblème » (p. 19). Afin de déjouer les « pièges » idéologiques particulièrement présents dans le domaine traité ici (nationalismes, racismes), l’auteur en appelle à une grande vigilance sur l’emploi des mots en sociologie et prône un « travail historique et critique qui doit être constant », comme il en donne l’exemple en introduisant des parenthèses là où sont précisés et justifiés les propos tenus. Il se donne pour objectif « de faire fonctionner de manière heuristique ce concept d’ethnicité » (p. 26) et de le constituer en un outil suffisamment rigoureux d’analyse, en le dégageant du seul contexte nord-américain où il est apparu. La perspective choisie est celle qui permet d’envisager toute collectivité ethnique à la fois de l’extérieur et de l’intérieur, « en écoutant ses membres parler d’elle » (p. 29) (voir à ce sujet le récent travail du sociologue Ronan Le Coadic [1998] sur l’identité bretonne qui peut être lu en complément). Ainsi entendue, l’ethnicité apparaît comme une dimension essentielle, mais non exclusive, de l’identité de tout individu : elle est une des dimensions de l’identité individuelle qui demeure pluridimensionnelle.

Dans une seconde partie, l’auteur illustre ses propos par un cas singulier, celui de l’identité bretonne. À travers cette étude, il entend bien aborder un problème général, celui de l’identité ethnique « qui compte toujours dans notre modernité parmi les plus importants » (p. 43). Par le terme de bretonnité, il désigne « le fait d’être Breton et la manière — ou plutôt les manières — de l’être, objectivement et subjectivement » (p. 48), en insistant sur la dimension plurielle de cette identité. Dans un premier chapitre, les éléments constitutifs d’une identité ethnique seront déclinés et interrogés en regard du cas breton : l’apparence physique, le costume, le nom, l’origine, le territoire, la langue, l’histoire. Puis, dans un second chapitre seront prises en compte deux dimensions essentielles de l’ethnicité bretonne : la bretonnité négative et la bretonnité positive, dite « néo-bretonnité » devenue « une ethnicité reconstruite, plus ou moins revendicatrice et combative » (p. 49). Ainsi, après avoir recensé les différents éléments « susceptibles de constituer l’ethnicité bretonne » (p. 53), l’auteur opte pour une perspective autre qui introduit « les déterminations externes de la bretonnité » (p. 127) et qui situe les Bretons dans leurs rapports avec la nation française. Il analyse leur situation minoritaire (identité négative) puis la réinvention de l’ethnicité (identité positive) et montre comment, au fil de plusieurs générations, le « mouvement breton » (dit Emsav en breton) en a été « l’agent d’élaboration et de transmission » (p. 145). Face au nationalisme français (« qui admet parfaitement pour les autres ce qu’il refuse pour la France — le particularisme québécois notamment » [p. 154]), s’est peu à peu élaborée une idéologie bretonne en même temps que les autres mouvements de ce genre, aux XIXe et XXe siècles (voir Anne-Marie Thiesse 1999).

Si les ambitions de l’Emsav n’ont pas été atteintes, c’est en tout cas de lui qu’émanent « le problème breton, la revendication bretonne, la néo-ethnicité bretonne » et non point de la collectivité bretonne (p. 195), étant donné que « le discours régionaliste est un discours performatif » (p. 198). Selon Pierre-Jean Simon, c’est pour échapper au contexte actuel d’avènement d’un nihilisme « de masse, pratique et vécu » que se réinvente un nouveau régionalisme et une néo-ethnicité, « susceptibles de relancer le processus de civilisation » (p. 203). Cette analyse très argumentée entend donc cerner au plus près le concept d’ethnicité afin de le rendre opératoire sur d’autres objets identitaires ; étant donné la richesse des matériaux utilisés, il eût été bon de faire figurer un index qui aide à se repérer dans ce travail dense conjuguant l’érudition et la critique, parfois caustique.