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Le courage des alternatives est un ouvrage collectif mettant en exergue les propos tenus par une variété de chercheurs lors du colloque international de 2010 qui a eu lieu aux Facultés universitaires Saint-Louis à Bruxelles en Belgique. Il relève plus particulièrement d’une exploration des enjeux relatifs au système néolibéral et d’une volonté de dégager, à partir de nouvelles catégories de pensée, une manière de refonder le lien social, de sorte que le « vivre ensemble » soit favorable aux différences et qu’il se tisse dans des rapports solidaires. L’ouvrage nous invite, pour ainsi dire, à poser notre regard et à agir en dehors du paradigme actuel dominant par les chemins inédits qu’ouvrent les alternatives.

Cette perspective traduit non seulement un appel du recueil, mais relève de sa structure même. C’est ainsi que l’on peut saisir la contribution d’apports variés : philosophique, anthropologique, politique, juridique, etc. Car pour Christoph Eberhard, anthropologue du droit et directeur du projet, cet angle collaboratif s’avère une manière de se sortir des limites du découpage des savoirs caractéristiques de la modernité, limites qu’il exprime métaphoriquement : « l’hyperspécialisation a conduit à ce que l’arbre d’une discipline donnée a contribué à occulter la forêt de la vie » (p. 185). Cela implique non seulement de s’ouvrir aux différentes approches, mais aussi de dépasser le rapport dichotomique qu’elles semblent parfois induire. En ce sens, la combinaison dans l’ouvrage d’un point de vue issu de l’art thérapie avec celui des sciences sociales est plus à comprendre comme un appel à un élargissement de la réflexion que comme un manque de rigueur méthodologique.

Avant d’explorer les solutions permettant l’émancipation de l’idéologie actuelle, l’anthropologue Lomomba Emongo nous amène à réfléchir aux aspects de la modernité sur lesquels repose l’appel aux alternatives, c’est-à-dire la vision de l’homme léguée par les Lumières : celle d’un sujet rationnel et « artisan d’un progrès continu » (p. 50) jouissant d’une liberté qui lui donnerait prise sur le monde. Bien que d’élan humaniste, par la place centrale qu’il accorde à l’homme, ce projet d’aspiration universelle n’en induit pas moins, pour l’auteur, une trame évolutive et hégémonique, en ce que la culture moderne se voit ainsi posée comme point culminant vers lequel devrait tendre toutes les autres cultures et comme le seul mode légitimé de rapport au monde – quitte à s’imposer par la force ou subordonner à son rouage le reste des États, tel que le mentionne l’auteur en prenant pour exemple le colonialisme des pays européens ou la globalisation des marchés.

La prégnance du paradigme de la modernité serait telle qu’on arriverait mal à se sortir des catégories de pensées qu’il insuffle, que ce soit du point de vue de la conception de l’économie comme la sphère du libre-échange ou encore de la connaissance comme ce qui découle d’une « rationalité scientifique » (p. 50). Même les concepts de « développement » ou de « pauvreté » que sous-tendent les politiques de mise en oeuvre pour aider les pays émergents s’inscriraient souvent dans la légitimation d’une voie unidirectionnelle taillée sur des critères de valorisation proprement occidentaux : l’aisance matérielle et financière. Or, Bruno Mallard nous rappelle que bon nombre de sociétés, bien que perçues comme indigentes, ne vivent pas pour autant dans la « misère », puisqu’elles bénéficient d’un haut niveau de cohésion sociale. Envisager des alternatives au paradigme dominant actuel c’est donc, selon lui, s’ouvrir à ces autres modes de vie possibles en misant sur le dialogue et l’appréhension de l’altérité comme « une plénitude à découvrir », plutôt que comme un terrain à conquérir.

D’un point de vue plus général, l’analyse des auteurs a ceci de pertinent qu’elle répond à une problématique actuelle et soulève des enjeux épistémologiques importants en nous mettant en garde contre l’adoption d’un cadre théorique teinté d’ethnocentrisme – quoique le portrait esquissé de la modernité ne semble pas rendre compte de la complexité de cette période, et qu’en ce sens, il est possible de se questionner sur le caractère réducteur du point de départ de l’analyse. L’ouvrage se voit, en revanche, bonifié par la mise en exergue des mouvements de résistance déjà enclenchés par les paysans des pays du Sud. Dans la mesure où ces exemples concrets peuvent servir de modèles, à plus grande échelle, ils accentuent ainsi la portée heuristique de l’ouvrage et présentent un intérêt pour quiconque veut nourrir sa réflexion sur les mouvements alternatifs. Que ce soit du point de vue de la question de la dette ou du développement durable, la variété de points de vue de l’ouvrage permet d’entretenir une réflexion approfondie sur ces problématiques.