Essai bibliographiqueBibliographical EssayEnsayo bibliográfico

Corps, parures, couleurs et beautésPour une approche transdisciplinaireBoëtsch Gilles, Dominique Chevé et Hélène Claudot-Hawad (dir.), 2010, Décors des corps. Paris, CNRS Éditions.Laurent Pierre-Joseph, 2010, Beautés imaginaires. Anthropologie du corps et de la parenté. Louvain-la-Neuve, Éditions Academia-Bruylant.Thomas Jérôme, 2011, Embellir le corps. Les parures corporelles amérindiennes du XVIe au XVIIIe siècles. Paris, CNRS Éditions.[Notice]

  • Mouloud Boukala

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  • Mouloud Boukala
    École des médias, Université du Québec à Montréal, C.P. 8888, Succursale Centre-Ville, Montréal (Québec) H3C 3P8, Canada
    boukala.mouloud@uqam.ca

À l’heure où les disciplines deviennent chacune de plus en plus pointue, rendant le dialogue entre elles de plus en plus difficile, voire impossible, le présent essai bibliographique s’inscrit dans une démarche résolument transversale, transdisciplinaire et critique. Pour rendre compte de trois ouvrages récents aux formes distinctes, une réflexion nous anime, celle de Fontenelle (1729) qui, dans la préface du premier volume des Mémoires de l’Académie Royale des sciences remarquait : Dans cette optique ont été examinés trois ouvrages portant sur ce qui est commun aux individus, ce qui les singularise, les révèle et les dépasse : le corps. Ce dernier est ici considéré comme un prisme optique par lequel diverses disciplines s’éclairent et se réfléchissent. S’interroger sur les Beautés imaginaires, cette Anthropologie du corps et de la parenté de Pierre-Joseph Laurent (2010), analyser les Décors des corps coordonné par Gilles Boëtsch, Dominique Chevé et Hélène Claudot-Hawad (2010), puis découvrir les manières d’Embellir le corps et Les parures corporelles amérindiennes du XVIe au XVIIIe siècle de Jérôme Thomas (2011) nous amèneront à considérer le corps à des époques distinctes et dans des aires géographiques variées. Peint, orné, grimé, fardé, oint, drapé, parfumé, rasé, épilé, bronzé, éclairci, couvert, camouflé, tatoué, scarifié, percé, incisé, déformé, mutilé, mensonger, militant, virtuel, performatif, « individuel », « intime », « collectif », « objet », « sujet », le corps a été, est et sera toujours l’objet d’une attention particulière dans toutes les sociétés. Or, poser la question des corps dans leurs disparités nous conduit inexorablement à soulever des questions fondamentales attenantes à la diversité humaine : pourquoi une telle diversité ? Comment s’organise ce donné à voir ? Comment et pourquoi réguler ces apparences distinctes ? Rares sont les chercheurs à oser travailler sur un sujet aussi délicat que celui de la beauté, cette « inégalité fondamentale », pour reprendre l’expression de Françoise Giroud (Giroud et Lévy 1993 : 55-56). Questionner la beauté en privilégiant une perspective qui ne soit ni esthétique ni artistique revient souvent à aborder frontalement la singularité humaine, et à voir ses travaux entachés d’accusations racistes et/ou être associés à la sociobiologie. Dans Beautés imaginaires. Anthropologie du corps et de la parenté – un ouvrage audacieux, exigeant car majeur –, l’anthropologue belge Pierre-Joseph Laurent opte pour une approche oblique et alternative, renouvelant profondément les travaux sur la beauté humaine. Au courant des récentes études en psychologie cognitive, l’auteur ne cherche ni à définir des critères universels d’attirance, ni à articuler la biologie à l’anthropologie sociale et culturelle, mais plutôt « à décrire le rôle tenu par le couple beauté/laideur et donc par la singularité humaine dans l’élaboration d’institutions propres aux sociétés humaines » (p. 38). Pour apprécier la manière dont les sociétés (coutumières, mais pas uniquement) ont surmonté, à leur façon, cette « inégalité fondamentale », l’auteur développe une anthropologie du sensible susceptible de rendre compte plus finement des enjeux éthiques de la beauté humaine. À l’origine de cette recherche anthropologique, il y a un long parcours émaillé de terrains ethnographiques (Burkina Faso et Cap-Vert), enrichi par la consultation de nombreuses monographies d’où émerge une hypothèse de départ assortie d’une piste de recherche. L’auteur élabore l’hypothèse d’une relation inversée entre la beauté et l’alliance. Ainsi, si la régulation de l’ordre sensible est assumée par l’échange (les formes prises par le mariage), les effets sur la société de la beauté restent a priori invisibles (puisque régulées par les alliances). « C’est donc en marge des alliances matrimoniales qu’il pourrait être possible de montrer l’impact de l’ordre sensible sur la stabilité et la reproduction des sociétés » (p. …

Parties annexes