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Bien que l’expression n’apparaisse pas dans le titre, les dix chapitres de Music and Globalization : Critical Encounters portent sur les musiques du monde (World Music) selon des perspectives parfois proches de l’ethnomusicologie. Le responsable de ce projet, Bob White, est professeur d’anthropologie à l’Université de Montréal ; il est déjà l’auteur d’un livre sur la musique dance au Zaïre (2008) et est par ailleurs rattaché au Laboratoire de recherche subventionné Critical World. Dans son introduction, White conçoit les musiques du monde comme « la trame sonore de la globalisation » (traduction libre, comme toutes les citations qui suivent, p. 1) en convenant que la musique en général peut facilement devenir une commodité. Il rappelle la difficulté de cerner et de définir ce tout que l’on nomme commodément World Music : « Une étiquette utilisée pour le marketing et la promotion » depuis les années 1980 (p. 2).

Plusieurs chapitres de ce collectif en langue anglaise se distinguent par leur volonté de repenser différents cas de musiques ethniques, par exemple dans le texte de Denis-Constant Martin (Université de Bordeaux) qui s’intéresse au patrimoine musical hérité de l’esclavage tel que reconstitué dans les musiques du monde (p. 30). Ce thème de la mémoire de l’esclavage réapparaît d’ailleurs dans pratiquement chaque texte.

Selon les auteurs, l’étude des musiques du monde est inscrite d’après une analyse des produits culturels (comme le CD) en tenant compte du rôle déterminant des compagnies de disques spécialisées (comme World Circuit, à Londres) dans la sélection des artistes ou des formations musicales appelées (ou non) à recevoir une large diffusion (p. 125). Mais parfois, une étiquette comme le Buena Vista Social Club représente beaucoup plus qu’une simple compagnie et contient en soi un style ainsi qu’une image judicieusement promue et vantée par des musiciens américains influents comme Ry Cooder (p. 111). Ce dernier avait « mis en boîte » des mélodies traditionnelles cubaines dans un disque qui, selon Ariana Hernandez-Reguant, pouvait être décrit comme « un emballage contemporain de sonorités traditionnelles » (p. 126), et qui s’avéra un grand succès auprès d’un large auditoire que l’on pouvait caractériser comme étant aussi bien des auditeurs de la radio publique que des abonnés du New York Times (p. 126). D’autres exemples de métissage sont évoqués dans l’ouvrage, par exemple la présence du chanteur britannique Sting dans la forêt amazonienne aux côtés du chef Raoni en 1989 (p. 75).

Dans le chapitre le plus instructif du collectif (« World Music Producers and the Cuban Frontier », p. 111-134), Ariana Hernandez-Reguant situe l’étude des musiques du monde selon une perspective proche de l’économie politique de la culture en centrant l’analyse sur les stratégies de commercialisation de certains artistes afro-cubains (p. 111). Cette préoccupation à propos de la mise en marché et de la catégorisation de « musiques du monde » réapparaît dans l’avant-dernier chapitre de Timothy Taylor (p. 172-188) qui met en évidence la façon dont les nouvelles catégories de prix aux cérémonies des Grammy Awards ont orienté le recrutement de nouveaux artistes correspondant aux prix tels que le Meilleur album contemporain de World Music et le Meilleur album traditionnel de World Music, jugés à partir de critères subjectifs comme l’authenticité et l’hybridité (p. 178). Ce neuvième chapitre (Timothy Taylor) se termine sur des remarques pertinentes mais trop brèves sur les auditoires communs des amateurs de musique classique et des musiques du monde, dont le rapprochement ou la mise en commun est confirmée par la présence de plus en plus importante de l’étiquette Naxos (à l’origine spécialisée dans la musique classique) dans ces deux sous-domaines spécialisés (p. 183).

Sans prétendre à l’exhaustivité et sans être indispensable aux bibliothèques, Music and Globalization… propose une série d’études de cas insérées dans des cadres conceptuels souvent originaux ou innovateurs. C’est le principal apport de ce livre sur le plan théorique. En revanche, on y traite peu d’artistes francophones et aucunement du Canada. Ce problème de centrage sur le monde anglo-saxon de la recherche qui investigue prioritairement (mais non exclusivement) les musiques du monde enregistrées en anglais ou largement distribuées par des compagnies anglo-américaines est judicieusement soulevé à la fin du chapitre de Timothy Taylor, de l’UCLA (p. 180). D’ailleurs, Taylor décrit ce problème d’impérialisme culturel (cultural imperialism) sans toutefois utiliser l’expression de diversité culturelle. Parmi ses nombreuses qualités, Music and Globalization… se distingue par les récapitulations proposées dans les deux derniers textes, offrant un état de la question (« World Music Today », p. 172-188) et plusieurs typologies utiles proposées par White dans les dernières pages. Les chercheurs s’intéressant à l’ethnomusicologie, à l’interculturel et à la mondialisation y trouveront un ensemble d’analyses bien articulées.