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L’année 2006 fut pour moi celle de la découverte d’une invention utile et facile d’ac- cès : le « Falardeauscope ». De quoi s’agit-il exactement? D’un procédé de petite taille (10,5 cm x 18 cm) qui revient page après page (au total 187) sur des mètres de pellicule dont chaque plan, chaque image ou vingt-quatrième de seconde portent la marque même du génie, invisible et présente, visible et omni-présente. À l’instar du « Ouimetoscope », Mira Falardeau nous permet de découvrir par son initiative stimulante ces « grands petits films » de quelques minutes qui font du Québec un leader mondial de l’animation.

L’Histoiredu cinéma d’animation au Québec est avant tout une aventure humaine et artistique, géographique et technique, économique et politique. Le chapitre premier consacré aux débuts du cinéma d’animation n’est qu’un prétexte. L’essentiel n’est pas le prétexte mais le prolongement de ce prétexte, c’est-à-dire l’opportunité de dresser le portrait d’un pionnier de l’animation, d’un génie de la création en mouvement, d’un innovateur dans l’organisation des pratiques : Raoul Barré (1874-1932). À la fois dessinateur, animateur et réalisateur, Barré a su organiser un travail d’équipe productif, innover et transmettre. Le monde de l’animation lui doit, entre autres, l’invention de la table à rivets. Cette table encore utilisée de nos jours assure une animation fluide et efficace. Ce portrait sincère et précis nous invite à explorer les diverses techniques du dessin animé. Le « Falardeauscope » se révèle alors vivant, pédagogique et pratique. Le texte s’accompagne d’images, de croquis, de story-board et le lecteur-spectateur saisit à quel point en animation, le terme « image » est indissociable de son anagramme « magie ». Des images fixes participent au mouvement de la pensée et contribuent à la production de connaissances. Différents métiers sont alors mobilisés. Il s’agit du producteur, du réalisateur, du scénariste, du dessinateur, de l’animateur, de l’intervalliste, du traceur, du coloriste, du décorateur, de l’opérateur de prises de vues et du monteur.

Mais des techniques et divers métiers ne peuvent constituer en soi une industrie. C’est la raison pour laquelle l’aventure du cinéma d’animation au Québec est indissociable de la force et puissance d’un organisme gouvernemental : l’Office National du Film du Canada (ONF). Le coeur de l’ouvrage nous présente cette instance gouvernementale depuis sa création en 1939 par John Grierson jusqu’à aujourd’hui. Les studios, les directeurs, les figures de proue (McLaren, Lambart, Dunning, Drew, Drouin, Hébert) ainsi que leurs productions sont présentées, contextualisées et analysées. L’Histoire du cinéma d’animation au Québec s’hypostasie progressivement pour le plus grand plaisir du lecteur en Histoire critique du cinéma d’animation au Québec. Mira Falardeau semble faire sienne cette phrase d’André Bazin : « La fonction du critique n’est pas d’apporter sur un plateau d’argent une vérité qui n’existe pas, mais de prolonger le plus loin possible dans l’intelligence et la sensibilité de ceux qui le lisent, le choc de l’oeuvre d’art ».

Passionnée et passionnante, Mira Falardeau n’en demeure pas moins québécoise et lucide quant à la situation actuelle de l’industrie de l’animation au Québec. Une certaine tendance du cinéma d’animation québécois se fait jour. Les chaînes spécialisées privilégient les séries adaptées de la littérature jeunesse ou de la bande dessinée, au détriment de l’animation d’auteur. Les meilleurs infographistes partent chez Disney en Californie et dans leurs nouveaux studios de Toronto. Les animations produites par les studios privés s’avèrent souvent privées. Privées de scénarios originaux. À cela s’ajoute la disparition de la langue française comme langue d’écriture des scénarios de films d’animation.

Derrière cette vitrine unique pour le Canada (troisième rang mondial en termes de niveau d’activité), le « Falardeauscope » sonde une réalité où les producteurs américains ou européens profitent d’une main d’oeuvre hyperqualifiée, de salaires peu élevés du fait de la faiblesse du dollar canadien et d’une aide substantielle accordée par les gouvernements, une aide directe sous forme de subventions ou indirecte sous forme de crédits d’impôts et de soutien généreux aux Cités du multimédia contribuant à la création d’emplois spécialisés.

Mira Falardeau est sincère. Mira Falardeau est précise. Mira Falardeau est partisane. Partisane d’un cinéma engagé, d’un cinéma d’auteur au sens que certains ont attribué à ce mot. Elle préfère la créativité à la servilité et refuse de voir cantonner les Québécois au rang de copieurs sans personnalité. Son ouvrage est vif, incisif et instructif. Il est un enseignement et tout à la fois un vibrant appel à un cinéma de résistance. Un cinéma qui résiste à l’abrutissement. Un cinéma fait par des hommes et des femmes qui ont des idées et qui nous invitent ni à les adopter ni à les trier, mais simplement à les partager. Partage des sens, épreuve par l’expérience. Espérons que cet appel sera perçu, car lu et entendu, avant d’être amplifié.