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J’aurais aimé ça que les gens puissent sentir qu’ils entrent chez nous.

Bibiane Courtois[1]

Les musées, qu’ils soient de « civilisation » ou des beaux-arts, présentent souvent les oeuvres d’art et artefacts de manière statique. Il est en effet courant de voir un objet derrière une vitrine exposé pour sa valeur esthétique. L’objet est ainsi retiré de son contexte : il perd sa signification et ne sollicite que le sens de la vue. Certaines expositions cherchent néanmoins à dynamiser cette présentation en proposant au visiteur une expérience immersive (voir entre autres Jones 2006 ; Rossy 2010 ; Wiseman 2010 ; Drewal 2012). Plutôt que d’exhiber des objets de manière neutre, ces expositions misent sur l’interactivité avec le public par diverses stratégies : intégration de matériel audiovisuel, incitation à toucher certains objets, changements de textures au sol, oeuvres d’art participatives, etc.

Tout comme la culture, le musée est donc un espace qui évolue constamment. Si les expositions à caractère immersif ont de plus en plus de succès, c’est bien parce qu’elles interpellent le visiteur sur un plan sensoriel (Witcomb 2006). C’est pour redonner un peu de vie à ces objets, pour leur donner une voix, que ces stratégies sont de plus en plus explorées par les conservateurs afin de suppléer le sens de la vue ou lui donner des alternatives. Au-delà d’une stratégie de marketing, ces types de présentation visent à offrir aux visiteurs une nouvelle façon d’aborder différentes cultures.

Or, en présentant la culture matérielle selon un mode essentiellement visuel, les musées restreignent le sensorium du visiteur et imposent un régime sensoriel propre au musée, un « sensorium muséal ». Cela ne revient pas à dire que le musée puisse dupliquer « l’authenticité » de la culture, ni restituer, remplacer ou même penser pouvoir recréer exactement l’univers sensoriel d’une culture. Toutefois, nous proposons que les stratégies de présentation d’objets faisant appel aux sens peuvent aider à mieux rendre compte d’une culture au sein d’un environnement décontextualisé et détaché de celle-ci. Les stratégies sensorielles relevant de la connaissance par le corps constituent selon nous un compromis entre la culture et l’espace du musée, et pas une « réalité recréée ».

Cet article[2] se concentrera dès lors sur le rôle et l’importance des perceptions sensorielles au sein de l’espace muséal et des expositions à caractère ethnographique dans la compréhension globale de la culture chez le visiteur[3], et plus précisément à travers l’analyse de l’exposition C’est notre histoire. Premières Nations et Inuit du XXIe siècle au Musée de la civilisation à Québec (MCQ). Nous évoquerons d’abord l’histoire des sens dans les musées européens ainsi que les schémas sensoriels des groupes autochtones au Québec à travers ce que nous en dit la littérature anthropologique. Ensuite, en considérant trois éléments clés de l’exposition C’est notre histoire…, nous verrons comment certaines stratégies de présentation utilisées par le MCQ (suivant les recommandations apportées par divers représentants autochtones) ont visé à rendre compte des univers sensoriels des Nations autochtones au Québec. Nous constaterons pourtant à quel point la tension entre sensorium muséal et sensoria autochtones a créé un fossé entre le désir de représentativité des porte-parole autochtones et la mise en scène de l’exposition par le MCQ[4].

La construction d’un sensorium muséal

L’anthropologie sensorielle part du constat que :

Les manières dont nous utilisons nos sens, et les façons dont nous créons et comprenons le monde sensoriel sont façonnées par la culture. La perception se fonde non seulement sur la signification personnelle attribuée à une sensation particulière, mais aussi sur les valeurs culturelles qu’elle véhicule.

Howes et Classen 2014 : 1[5]

Les sens et la culture sont envisagés ici comme un tremplin contribuant à une compréhension et une étude plus incarnée de la culture. C’est en se penchant sur les relations entre les sens, leur entourage et leur environnement que les études sensorielles tentent de se démarquer.

Le musée constitue un espace privilégié pour explorer la façon dont le régime sensoriel ou le « sensorium » d’une société s’exprime à travers la culture matérielle. Des études historiques ont révélé comment, au fil des époques, les visiteurs ont « appris » à explorer le musée, à s’y comporter de façon adéquate et à y adopter un sensorium tout à fait « muséal » (voir Classen 2007 ; Leahy 2007b, 2012). Lorsque les premiers musées publics ont été fondés aux XVIIe et XVIIIe siècles (par exemple l’Ashmolean Museum à Oxford ou le British Museum à Londres), il était courant pour les visiteurs de toucher, caresser, peser et même sentir les objets des diverses collections présentées au public (Howes et Classen 2014). Depuis le XIXe siècle, les consignes restrictives se sont multipliées dans les musées, et des gardiens ont été recrutés pour veiller au respect de la discipline. Peu à peu, les musées sont devenus des espaces neutres : aucune odeur, aucun son, aucun goût, aucun toucher. Les visiteurs ont su adapter leur sensorium à ces restrictions et à n’utiliser, de façon générale, que le sens de la vue.

Le musée Pitt Rivers à Oxford, avec ses artefacts entreposés sous vitrines et disposés selon une typologie évolutive, constitue un exemple classique de la façon dont, au XIXe siècle, le musée est devenu en Europe le moyen parfait non seulement de montrer la « supériorité » de la civilisation européenne sur les autres peuples, perçus comme inférieurs, ou encore de proposer un regard colonisateur sur des cultures peu comprises, mais surtout de présenter des cultures matérielles étrangères à travers un spectre sensoriel tout à fait occidental où l’objet est « colonisé par le regard » (Classen et Howes 2006 : 200). L’objet, qui auparavant possédait une symbolique spirituelle et une fonction multisensorielle, était ainsi privé de son sens profond pour se transformer en un objet illustrant une vision particulièrement eurocentrique du progrès technologique. Tout comme le peuple conquis, les objets de la culture matérielle étaient intégrés au schéma dominant des colonisateurs.

Le sens de la vue est à ce jour encore majoritairement privilégié dans les musées, en particulier les musées d’art, bien que les oeuvres d’art contemporaines elles-mêmes cherchent de plus en plus à se détacher de la mainmise visuelle de l’esthétique afin d’explorer d’autres façons de voir, mais surtout de vivre l’art (Classen 1998). Les oeuvres immersives, les sculptures que l’on peut toucher ou les structures à matériel mixte et présentées de façon interactive sont par conséquent devenues chose commune dans les musées et galeries d’art dès la deuxième moitié du XXe siècle (Jones 2006).

Tout comme les musées d’art ont dû changer leurs pratiques d’exposition dans un effort de rapprochement avec les artistes contemporains, les musées de société, désormais confrontés aux membres des cultures aborigènes exposées, ont dû songer à modifier la façon de présenter leurs collections afin de crédibiliser leurs expositions (Dubuc et Turgeon 2004 ; Butler 2007). Il est dorénavant devenu impératif pour les musées contemporains d’ethnologie de consulter les premiers concernés, soit les membres des cultures faisant l’objet des expositions ; ce défi s’ajoute à ceux de la préservation des artefacts et de la représentation de la culture au sein du musée.

C’est autour de ces défis que s’est montée la nouvelle exposition permanente de synthèse et de référence C’est notre histoire… au MCQ (voir Jérôme et Kaine, ce numéro). Cette exposition, qui se veut une mise à jour de l’exposition précédente Nous, les Premières Nations, explore la culture matérielle des onze Nations autochtones du Québec, soit les Waban-Aki (Abénaquis), les Anishinabeg (Algonquins), les Atikamekw Nehirowisiwok (Atikameks), les Eeyou (Cris), les Hurons-Wendat, les Innus, les Inuit, les Wolastoqiyik (Malécites), les Mi’gmaq (Micmacs), les Kanien’kehá :ka (Mohawks) et enfin, les Naskapis[6].

Dans un effort de rapprochement avec les Premières Nations et Inuit, le MCQ a voulu impliquer des représentants des communautés autochtones à chacune des étapes préparatoires de l’exposition. Pour ce faire, il a fait appel à l’expertise de La Boîte Rouge vif (LBRv), un organisme autochtone sans but lucratif visant à « la production et la diffusion de projets qui unissent la culture autochtone et les projets novateurs » (LBRv 2013b : 1) à travers « la recherche, le soutien aux étudiants, la création, la formation et la diffusion de projets en design » (Couturier et al. 2012 : 2). C’est La Boîte Rouge vif qui a géré, aux côtés du MCQ, le processus de concertation auprès des communautés autochtones. Plutôt que de demander à des groupes de se rendre à Québec (mis à part pour quelques ateliers), La Boîte Rouge vif et le musée se sont rendus directement sur le terrain pour recueillir des témoignages, enregistrer des interviews (matériel audiovisuel dont une grande partie se retrouve dans l’exposition) et prendre des photos. Des ateliers ont aussi été organisés afin de permettre aux communautés de choisir elles-mêmes les objets à inclure dans l’exposition et de définir le design de la salle[7].

Ce lourd travail de recherche aura notamment permis de rendre compte de la vie des sens au sein des univers sensoriels autochtones. Pour illustrer ces sensoria et afin de réaliser comment ils se manifestent dans l’exposition C’est notre histoire…, nous proposons de nous pencher sur une activité concrète et symbolique au sein des cultures amérindiennes et inuit : la chasse[8].

Les mondes sensoriels des Premières Nations et Inuit

Les activités de chasse sont un élément central aux communautés autochtones canadiennes, en particulier nomades et semi-nomades, mais aussi de nos jours aux groupes désormais – et souvent malgré eux – sédentaires. Cet élément central aux cultures autochtones peut se diviser en trois phases : la collecte d’informations, la chasse et la distribution (Tanner 1979). L’activité de chasse est donc une entreprise qui s’étend dans le temps et comprend de nombreuses étapes.

La chasse contient un élément essentiel : la relation créée entre l’homme et l’animal. Que ce soit par exemple chez les Innus ou chez les Eeyou, la relation à la faune est établie sur un pied d’égalité : les animaux possèdent les mêmes qualités que les humains, mais revêtent simplement une autre forme. Ce sont des « personnes autres qu’humaines ». C’est une relation d’échange et de respect qui s’instaure entre humains et animaux, et qui est essentielle à la chasse afin que l’animal accepte de mourir pour nourrir la communauté. Emma Anderson explique :

[L]es besoins et les désirs de ces « personnes autres qu’humaines » [doivent] être compris et respectés de manière à ce qu’elles [soient] elles-mêmes bien disposées envers les êtres humains. Les personnes autres qu’humaines [sont] perçues comme des parents honorables qui, comme elles, [partagent] les qualités humaines de personnalité, de volonté et de pouvoir moral, et [méritent] la même étiquette que leurs semblables innus.

Anderson 2009 : 14

Afin de maintenir cette relation et pour que l’animal se sacrifie de lui-même, les Innus doivent démontrer un comportement rituel irréprochable, tant avant et pendant qu’après la chasse (Anderson 2009 : 15).

Au sein des cultures autochtones, chasser nécessite d’abord et avant tout l’établissement d’un contact avec ces êtres autres qu’humains. Chez les Innus, par exemple, le chasseur doit être choisi en rêve avant de pouvoir localiser le caribou à l’aide du tambour suspendu (teueikan). Une fois choisi, il chante et joue du tambour afin de voir les animaux avec l’aide des esprits tout en ayant recours aux rêves afin de les localiser : « Dans les rêves, les esprits animaux peuvent nous dire ce qu’il faut faire, où il faut aller pour trouver les animaux » (Henriksen 2009 : 123)[9]. Le tambour, sur ce point, est donc plus un outil de chasse qu’un instrument de musique (Jérôme 2013). Le chant et les sons constituent d’autres composantes centrales à la chasse. Chasser, c’est aussi apprendre à « écouter le silence », puisque « l’univers de la chasse est un univers de sens, mais particulièrement de sons d’autant plus perceptibles que le silence total s’installe dans la forêt boréale » (Jérôme 2010a : 231).

Entrer en communion avec l’animal, c’est aussi entrer en communion avec son territoire. Pour devenir de bons chasseurs, les Autochtones cherchent à connaître l’espace habité par l’animal aussi bien que ce dernier. Ils doivent voir la forêt comme la perçoit le lièvre, humer les feuilles comme les sent le loup, toucher l’écorce des arbres comme le fait l’orignal, goûter l’eau de la rivière comme s’y abreuve l’outarde, entendre le bruit du vent comme le fait l’aigle. Certains mythes autochtones enseignent l’importance d’adopter le point de vue des animaux, comme celui chez les Eeyou (Mistassini) de l’homme mariant une femme caribou :

Au début du mythe, le jeune homme chasse le caribou avec sa famille, et l’histoire décrit la rencontre entre les chasseurs et le caribou à partir d’une perspective humaine normale. Toutefois, pendant la chasse, le jeune homme acquiert la capacité de voir ces mêmes événements d’un autre point de vue, c’est-à-dire à partir de la perspective du caribou. […] Par exemple, le jeune homme voit ce qui semble être une jolie jeune femme [réalité du caribou], tandis elle n’apparaît que comme une femelle caribou aux chasseurs [réalité humaine].

Tanner 1979 : 136[10]

Lorsque l’animal a accepté de se donner et qu’il a été chassé vient l’étape cruciale de sa transformation. Chez les Eeyou, la viande est partagée avec le reste de la communauté lors d’un grand festin. Les Innus, eux, utilisent les bois de caribou pour battre leurs tambours (qui eux-mêmes sont utilisés plus tard pour localiser d’autres caribous lors de la chasse) et les os des foetus de caribou pour contribuer à leur résonance. Les Inuit, de leur côté, utilisaient auparavant les phalanges de phoque annelé pour créer des jeux d’osselets à « pêcher » à l’intérieur d’une mitaine, ou encore transformaient des crânes de lièvres en bilboquets (LBRv et MCQ 2014). Comme toute expérience, la chasse va donc au-delà de l’activité comme telle et s’étend jusqu’au résultat final : le toucher des doigts sur la chair tandis qu’on dépèce l’animal ; l’odeur fumée qui s’échappe des peaux tannées ; le goût des peaux mastiquées afin de les assouplir…

« On dit que l’animal se donne à nous et on le remercie par les rituels. Parce que l’animal va manger la plante, nous on mange l’animal et nous on retourne à la terre, c’est encore un cercle », explique un représentant de la communauté innue (LBRv 2011 : 52). Cette communion entre humains, faune et flore traduit une pensée unitaire et circulaire, et non pas dualiste, dichotomique ou linéaire. La division entre le corps et l’esprit, et celle entre la civilisation et la nature n’existent pas plus (Descola 2011). Tous les éléments perçus, qu’ils soient sentis, rêvés ou imaginés, sont réels et font partie de l’environnement sensoriel des Autochtones. En d’autres mots, toute sensation, qu’elle provienne de l’espace physique ou des rêves, est perçue comme directe, réelle et concrète (Hallowell 1960, 1963). Nous touchons ici à un sensorium « extra-environnemental » qui atteint même le monde onirique.

Les sensoria autochtones sont, par-dessus tout, holistiques. Les sens utilisés, spécialement lors de la chasse, sont inséparables les uns des autres et il devient donc inutile d’essayer de les isoler (Smith 1998). Aussi, « la relation à certains objets, comme à d’autres entités non humaines comme les animaux, les esprits ou les ancêtres, met en acte les sens, le toucher, l’odorat, l’ouïe et les émotions, bref, les corps tout autant que les esprits » (Jérôme 2013 : 38). Ces sensoria se construisent autour de la relation avec divers environnements. Il serait difficile de faire primer un sens sur un autre, car c’est dans leur ensemble qu’ils forment la compréhension du monde. Les sens sont constamment sollicités chez les Autochtones et ces derniers accordent à la perception sensorielle une importance centrale dans leurs cultures et leur compréhension du monde : « c’est par le corps que les Autochtones pensent leur rapport au monde » (Laugrand 2013 : 215).

Quand vient le temps de recréer cette complexité culturelle dans une salle d’exposition, quelques problèmes se posent : « comment donner à voir, à sentir et à comprendre la diversité culturelle, sociale, historique et identitaire de onze groupes autochtones dans une seule salle d’exposition ? », demande notamment Laurent Jérôme (2010b : 163), alors agent de recherche pour l’exposition C’est notre histoire…. Ce souci de rendre l’exposition « sensoriellement accessible » au public a été une préoccupation constante dans le processus de concertation et de recherche précédant l’exposition. Les commentaires recueillis auprès des représentants autochtones ayant participé au processus sont très clairs sur ce plan : il faut que le public autochtone se « sente chez soi » et que les non-Autochtones puissent eux aussi « sentir qu’ils entrent chez nous [les Autochtones] » (LBRv 2013a : 18). Cette exposition devait d’abord et avant tout être une expérience, donc engager les sens et la sensibilité des visiteurs, faisant de l’exposition « quelque chose qui vient du coeur et qui nourrit le coeur » (Pharand et al. 2010 : 9), c’est-à-dire enseigner au public comment « ressentir le monde » à l’instar des Premières Nations et Inuit.

Pourtant, comment concilier espace et sensorium muséal avec cultures et sensoria autochtones ? Comment les Autochtones peuvent-ils réellement se « sentir chez eux » dans cette exposition ? Les conservateurs et designers de cette exposition ont-ils poussé assez loin leur restitution des univers autochtones ? Tandis que nous parcourons cette salle d’exposition afin d’en dégager les manifestations des mondes sensoriels autochtones, trois éléments ressortent : les trois écrans géants qui entourent la salle, les quatre peaux et fourrures d’animaux accessibles au toucher (et à l’odorat) et l’oeuvre d’art contemporaine Mikwetc Manto de l’artiste Jacques Newashish.

Parcours de l’exposition C’est notre histoire…

C’est notre histoire… regroupe plus de 400 objets dans une salle d’exposition qui se présente en forme de « L ». La salle, plutôt que d’être divisée par nation, se déploie autour de trois grands thèmes – le passé, le présent et l’avenir – au travers desquels sont explorés divers concepts et thèmes clés dans les cultures autochtones au Québec : urbanité, diversité et unité entre nations, savoirs ancestraux et techniques d’artisanat, chasse et pêche, vêtements, colonisation et rencontre avec les Européens, transformation des pratiques religieuses, commerce, pensionnats, métissages, etc. À travers le parcours se dégagent d’autres éléments essentiels dans la compréhension des enjeux autochtones actuels : l’importance des jeunes, des femmes et des aînés dans les communautés, la place centrale du territoire et de la nature, les liens entre spiritualité et chasse, le respect pour les animaux, etc.

Dès son entrée dans la salle d’exposition, le visiteur perçoit une série de bruits et de voix qui peuple l’espace. À sa gauche, derrière lui, il peut entendre le chant d’un jeune garçon provenant d’une télévision à l’entrée de la salle où défilent des images de visages souriants et riants de personnes autochtones partout à travers le Québec. Plus loin, au fond de la salle à sa droite, il entend un récit, une narration. Autour de lui, il discerne une série de bruits ambiants et réalise qu’ils proviennent d’un écran géant devant lui. La salle est plutôt sombre. Certains visiteurs se sentiront peut-être bousculés par le nombre surprenant d’objets dans l’exposition ou par la quantité de sons, mais de façon générale, l’atmosphère reste très calme, voire mystique.

Le visiteur remarque alors que l’écran devant lui n’est pas le seul ; il y en a un deuxième au fond de la salle, à sa gauche, et un autre encore au fond de la salle du côté droit. Ces écrans, sur lesquels sont projetées les mêmes images, sont disposés en une courbe ; le haut des écrans est lui aussi courbé. Cherchant à briser les lignes droites et les coins, l’équipe de design a suivi les recommandations des représentants autochtones en utilisant des murs à forme circulaire et ondulée afin d’entourer la salle. Il n’y a ni entrée, ni sortie à l’exposition, mais simplement deux grandes ouvertures situées au même endroit, dans le creux de la forme « L » de la salle. La visite commence et se termine donc au même endroit. En entrant dans la salle, c’est comme si l’on entamait une promenade en forêt. Aucun parcours précis n’est imposé au visiteur : c’est ce dernier qui décide par où il commence et termine sa visite (bien qu’il y ait, malgré tout, un parcours plus « logique » à suivre selon le design créé par le MCQ). Tous ces éléments réussissent à traduire subtilement le mode de pensée circulaire présent chez les groupes autochtones.

Sur les écrans géants sont projetées en boucles des images de paysages, de saisons, d’ombres ; de forêts, de glace, de champs enneigés, de cieux, de lune, d’aurores boréales ; bref, de l’environnement qui constitue et construit les identités et cultures autochtones. Ces images sont toujours en mouvement – un mouvement très lent, mais continu – et la perspective donnée laisse souvent l’impression d’être dans la peau d’un animal : d’un aigle qui survole une rivière ou encore d’un loup qui court dans les bois. Le mouvement se fait le plus souvent en balayage (travelling) ; parfois en parcourant un panorama à 360º, d’autres fois en partant du sol jusqu’au ciel, et bien souvent en survolant des paysages. Plusieurs plans sont faits en profondeur avec un jeu important de perspective en 3D, et on y voit souvent des visages et des images (artistiques) d’animaux qui se superposent aux paysages, mais de façon discrète. Les sons, quant à eux, incluent des bruits ambiants de la nature (feuilles d’arbre qui remuent au vent, pas dans les herbes hautes, rivières, scie mécanique, etc.), des voix discrètes et des chuchotements, des chants (notamment des chants de gorge inuit), des tambours. Cette vidéo d’environ vingt minutes est projetée en boucle durant toute la journée.

Ces trois écrans réussissent à englober le visiteur dans les mondes à la fois visuels et sonores des Autochtones, donnant un point de vue qui traduit leurs cultures et leurs façons de voir et d’écouter le monde. En effet, voir le monde du point de vue d’un animal, c’est apprendre à voir le monde comme le font les Premières Nations et Inuit : ces derniers ont pour les animaux un grand respect et cherchent à apprendre ce qu’ils perçoivent. Les écrans traduisent aussi le sentiment d’immensité éprouvé lorsqu’ils se retrouvent dans leur environnement. Ces écrans ne forcent pas nécessairement « le regard vers le ciel », comme l’avaient souhaité les communautés lors du processus de consultation (LBRv 2011 : 42, 2013a : 51), mais ils plongent tout de même le visiteur dans une ambiance environnementale en présentant adroitement les territoires autochtones.

Lorsque le visiteur poursuit sa route et se retrouve devant le deuxième écran géant au fond de la salle à gauche, il voit un panneau d’information penché. Ce long panneau montre comment les diverses Nations autochtones utilisent les parties de quatre animaux différents (selon la provenance géographique des nations et les ressources disponibles sur ces territoires) : le caribou, l’orignal, le chevreuil et le phoque. À chacun de ces animaux correspond une série d’objets sous vitrine et derrière le panneau : canot, lances, bijoux, jouets, jeux, tous fabriqués sans l’utilisation de métal. Pour chaque animal est présentée une peau ou une fourrure lui correspondant. Contrairement à certains tambours et au costume de pow-wow ailleurs dans l’exposition – qui sont accessibles au toucher mais « protégés » par des fils rouges qui, disposés à la diagonale dans l’espace, agissent à titre de « barrière mentale » pour le public (Élisabeth Moisan, communication personnelle) –, le visiteur peut ici toucher les fourrures comme il le veut. Il se voit alors enchanté, devant la peau d’orignal, de constater que l’odeur de feu y est encore, car celle-ci a été tannée. C’est une expérience fort stimulante pour le visiteur de pouvoir caresser la peau, sentir ce parfum fumé en la reposant, puis de constater que cette odeur persiste sur ses doigts plusieurs minutes après la manipulation. La fourrure de chevreuil dégage elle aussi une légère odeur, mais beaucoup moins forte que celle de l’orignal. Aussi, le visiteur remarque que la fourrure de caribou est plus épaisse qu’elle ne le laisse paraître. La fourrure de phoque, quant à elle, est incroyablement douce, également plus qu’on ne pourrait le croire.

Cette possibilité de toucher les peaux, en plus de les voir et de les sentir, permet au visiteur d’établir un contact plus intime et holistique avec les objets exposés. Cela lui donne notamment un aperçu du type d’éléments touchés par les Autochtones eux-mêmes. Le visiteur ne manoeuvre pas nécessairement ces fourrures de la même façon que le ferait un chasseur autochtone (étant donné qu’elles sont fixées au panneau), mais sa compréhension de ces objets est grandement amplifiée par la manipulation qu’il en fait. Il ne faut pas ici négliger la connaissance acquise par l’expérience et par la manipulation, la connaissance par le corps (bodily knowing) qui s’acquiert, selon Krondorfer (1992), par la transgression – dans ce cas-ci, la transgression de la « loi muséale » selon laquelle l’objet peut seulement être vu et non touché. Pour une fois – et probablement la seule fois lors de sa visite – le visiteur adulte peut, tout comme les élèves qui participent aux activités pédagogiques parallèles à l’exposition, manipuler un objet, en dégager l’odeur, la texture et la forme en ajoutant la perception tactile et olfactive de la fourrure à sa perception visuelle.

Une grande partie des autres objets exposés se compose d’outils, de vêtements, de bijoux et de jouets du quotidien démontrant l’ingéniosité des savoir-faire autochtones. Un mur de raquettes ainsi qu’un sentier de mocassins symbolisant le passage du nomadisme à la sédentarité et la longue marche des Autochtones à travers les âges viennent ponctuer l’exposition par une touche à la fois de savoir-faire et de symbolisme. À ceci s’ajoutent des objets à nature plus spirituelle, comme un hochet en carapace de tortue, une ceinture de chamane et des tambours. Pour souligner à quel point les cultures autochtones sont des cultures bien vivantes, l’exposition est parsemée d’oeuvres d’arts contemporaines et de documents audiovisuels traitant de sujets allant de l’utilisation actuelle des savoirs ancestraux jusqu’aux mouvements contemporains de revendications tels que Idle No More. Tout au long du parcours, le visiteur peut s’arrêter comme bon lui semble pour en apprendre davantage sur ces éléments, que ce soit par des vidéos tournant en boucle sur des téléviseurs ou encore les écrans tactiles où il peut choisir les segments à visionner. Ces éléments audiovisuels ajoutent, selon l’équipe du MCQ, « une touche sensible » à l’exposition à travers les témoignages directs de personnes autochtones (Caroline Lantagne et Jean Tanguay, communication personnelle).

Lorsqu’il sort de l’aile contemporaine du côté droit de la salle pour traverser au fond, le visiteur passe devant le troisième écran géant. Il aperçoit alors, caché dans un coin, une sorte de tente (wigwam). C’est l’avant-dernière oeuvre de l’exposition, Mikwetc Manto (« Merci esprits ») de Jacques Newashish, Atikamekw Nehirowisiwok. Cette oeuvre est particulièrement interactive. Elle ressemble à une hutte à sudation dont on aurait retiré la peau protectrice ; on n’y retrouve en effet que la structure de bois. Le visiteur – s’il ose le faire – entre dans la structure. Au centre se retrouve une sorte de gros tonneau de bois d’où s’échappe une douce lumière rouge. Le visiteur s’en approche (et si d’autres gens sont avec lui, ils s’en approcheront aussi et l’encercleront) et réalise que c’est un puits artificiel où chauffent des pierres noires. En approchant sa main des cailloux, il se rend compte qu’elles ne sont pas brûlantes. Il saisit une pierre et s’aperçoit qu’en fait, cette dernière est tiède, voire chaude. Il touche l’écran (à l’allure de braise), qui dégage en fait une légère chaleur. Il saisit un autre caillou, puis un autre. La sensation chaude sur ses paumes est agréable, rassurante. Plus il prend de cailloux, plus l’espace s’éclaire. Aussi, il respire dans l’air une subtile et agréable odeur de bois frais, de cèdre. Soudain, il entend des chuchotements. Ceux-ci s’amplifient peu à peu, se transforment en chants. Ce sont les esprits qui lui parlent. Des sons de tambour s’y mêlent.

Cette oeuvre admirablement immersive permet au visiteur de se plonger une dernière fois dans une expérience manifestement autochtone. La manipulation des cailloux lui permet d’en déterminer le poids, la température et la texture lisse ou rugueuse. La lumière enveloppante qui se dégage du puits ajoute à l’ambiance de l’expérience. Les sons et chuchotements englobent eux aussi le visiteur. Le public est invité à travers cette expérience à vivre l’un des sensoria autochtones, à écouter comme le font les Amérindiens, à partager cette expérience avec leurs semblables comme ils le feraient. On ressent à travers cette oeuvre toute la valeur de l’intersensorialité chez les Premières Nations, la façon dont les sens travaillent ensemble afin de rendre compte d’une réalité telle qu’en discutait notamment Smith (1998) à propos des Chipewyan canadiens.

Est-ce que le visiteur réalise toutes les stratégies de présentation déployées dans cette exposition ? Comprend-il réellement la symbolique derrière ces stimuli sensoriels et ce design ? Probablement pas, ou alors très peu. Malgré tout, la subtilité des stratégies de présentation déployées par le MCQ est probablement trop importante pour que le visiteur les apprécie à leur juste valeur. À cela s’ajoute le régime sensoriel propre au musée dont il est très conscient malgré lui. Ce dernier se promène le plus souvent avec les mains jointes dans le dos ou devant lui, ou encore avec les mains dans les poches ou les bras croisés ; comme s’il se liait lui-même les mains. Il a tellement été « entraîné » à contrôler son sensorium au sein des espaces d’exposition qu’il s’arrête rarement pour toucher les peaux et fourrures, et il trouve encore plus étrange de les humer. La position des fourrures sur le panneau est notamment peu ergonomique ; le visiteur doit étirer le bras et se pencher pour atteindre ces peaux. Les enfants, quant à eux, sont trop petits et doivent être soulevés par un adulte afin de pouvoir y toucher. Bien que ce dispositif ne soit pas une autre « barrière mentale » voulant retenir le visiteur de toucher aux fourrures, il agit malgré tout de la même façon que les fils rouges protégeant le costume de pow-wow et les tambours dans l’espace central. Non seulement le visiteur utilise-t-il dans cet espace son sensorium muséal, mais en plus, il n’est pas invité de façon claire à adopter un « sensorium autochtone ». Si on ne lui indique pas qu’il a « le droit » de toucher les fourrures d’animaux ou encore d’entrer dans l’oeuvre de Newashish et d’y saisir les cailloux, il ne le fera pas. Souvent, seuls les plus jeunes, qui apprennent encore à naviguer les subtilités de leur propre culture, s’engagent plus facilement dans les éléments sensoriels de l’exposition.

Bien que certains éléments de la salle invitent le visiteur à s’immerger dans les univers sensoriels autochtones, il semble donc que le musée n’ait pas poussé assez loin le potentiel sensoriel de cette exposition, surtout quant aux données documentées préalablement à sa conception. En fait, selon les commentaires recueillis avant l’exposition auprès des participants au processus de concertation, la salle devait contenir moins d’objets afin de mettre plus d’emphase sur le contexte ; c’est-à-dire que les artefacts auraient dû être moins nombreux, mais présentés de façon plus dynamique, autour de scénarios et mises en scène thématiques (LBRv 2013a). Selon Élisabeth Kaine, directrice de La Boîte Rouge vif, certains représentants autochtones auraient voulu qu’on entende davantage la voix de leurs peuples à travers cette exposition, que l’on apprenne à mieux les connaître à travers leurs paroles. Ils auraient voulu y voir plus d’humour ou encore voir davantage exploité le thème de la souffrance et de la guérison. Les imposantes structures formant l’espace et rappelant les maisons longues iroquoises (privilégiant donc une Nation au détriment des autres) auraient plutôt dû se présenter sous une forme pointue (similaire aux habitations shaputuan) ; les structures de division devaient être légères, faites de petit bois, avec des voiles transparents (Élisabeth Kaine, communication personnelle)[11].

Certaines stratégies plus immersives auraient peut-être mieux permis au public d’accéder aux univers sensoriels et identitaires autochtones. Les communautés voulaient faire de l’exposition un espace devenant « visuel, sonore et olfactif » où tous les sens sont interpellés et où on aurait pu par exemple « faire enlever leurs souliers aux visiteurs » pour qu’ils soient « attentifs un peu au sol, au plafond, aux murs » et pour qu’ils soient « un peu déstabilisés » ; d’en faire non seulement une promenade sur les territoires autochtones dès l’entrée dans la salle (avec un sol plus mou ou recouvert de tapis), mais aussi de faire découvrir aux visiteurs « le monde des rêves, des visions, des esprits » sans texte, mais plutôt « dans l’expérience et l’ambiance » (LBRv 2011 : 42). Les communautés auraient voulu intégrer non seulement des objets, mais aussi des « gestes rituels de spiritualité » (ibid. : 56), faire vivre des émotions, mettre en avant l’expérience humaine. On a aussi discuté d’oeuvres d’art participatives ou collectives afin de mieux illustrer le processus de guérison à travers les arts et la collectivité ; par exemple « des canevas déchirés qu’on demande aux visiteurs de recoudre » (ibid. : 48), ou encore d’offrir « un sac de portage […] au visiteur à l’entrée, il le porte tout au long du parcours et y met quelque chose » (ibid. : 66). En somme, il y avait un désir d’interactivité, d’impliquer le visiteur dans la présentation des objets et d’exploiter son sensorium afin de maximiser le besoin « d’être interactif dans le musée » (ibid. : 51).

L’un des éléments avancés ici par les représentants autochtones, c’est que par la simple disposition stratégique d’objets dans l’espace muséal et l’adaptation de la forme de cet espace, une exposition peut déjà mieux traduire une culture et son histoire en évoquant des émotions et sensations spécifiques chez le visiteur. Les changements de texture sous les pieds ou l’apparition d’odeurs, par exemple, peuvent démarquer les zones, les espaces et les thèmes les uns des autres ; la disposition d’une forêt au centre de l’espace peut évoquer la place centrale de cet élément dans les mondes amérindiens ; des textes constitués essentiellement de citations à la première personne et de mythes peuvent donner une tout autre perspective sur les cultures et sur l’histoire. Les idées suggérées par les représentants autochtones pour cette exposition étaient sans contredit légitimes et auraient pu permettre une expérience tout à fait différente de l’espace.

Conclusion

Le musée peut souvent être perçu comme « un lieu de mort, de momification, d’enfermement des objets » où l’absence de vie des objets est « provoquée notamment par une mise en exposition trop statique, par un manque de références au contexte d’utilisation des objets, à la vie de l’artiste ou de l’artisan ou à la dimension cosmologique dans laquelle s’insèrent les productions artistiques » (Jérôme 2013 : 23), et c’est pour contrer cette impression d’apathie dans les musées que les représentants des onze Nations autochtones québécoises ont rapidement exprimé le désir de « se sentir chez soi » dans l’exposition C’est notre histoire…

Bien que cette exposition ait présenté un énorme potentiel, il est dommage de constater que peu des idées de stratégies sensorielles proposées par les représentants des onze Nations ont été exploitées au sein de la salle. Cependant, le visiteur ne s’en rendra pas nécessairement compte. Il appréciera tout probablement les quelques stratégies immersives et sensorielles présentes dans l’exposition, sans trop se questionner sur la façon dont les communautés autochtones auraient voulu représenter leurs propres univers. La conciliation ou la fusion entre sensorium muséal et sensorium culturel semble ici encore difficile.

C’est notre histoire… a tout de même réussi à interpeller les sens du visiteur et à le plonger, à un certain niveau, dans les mondes sensoriels des Autochtones du Québec. Les sons et les images projetées sur les trois écrans géants entourant la salle contribuent à faire « voir » et « entendre » le monde comme les Nations autochtones le voient et l’entendent ; les peaux et fourrures accessibles au toucher invitent à « toucher » et à « sentir » le monde des Autochtones comme ces derniers le font dans leur vie quotidienne. Néanmoins, très peu d’éléments de l’exposition font référence au goût dans les cultures autochtones ou même aux autres sens des régimes sensoriels autochtones, comme les perceptions présentes lors des rêves ou la sensorialité en jeu dans la relation établie avec les personnes autres qu’humaines, par exemple.

Un musée d’État tel que le MCQ présente deux limites importantes lorsqu’entre en jeu la question du design sensoriel des expositions. D’abord, le sensorium muséal est tellement ancré chez le public qu’il devient ardu de faire valoir un sensorium alternatif. D’autre part, les politiques d’accès universel limitent parfois les types d’installation. Difficile alors d’introduire des stimuli autres que visuels dans les expositions ; soit le visiteur n’osera pas s’y prêter, soit les lois d’accessibilité à tous et les normes de sécurité obligeront à éliminer les odeurs, à empêcher de brûler certaines substances ou encore à éviter les surfaces rugueuses ou nivelées sur le sol. Cela est sans compter l’obligation d’attirer un public de plus en plus diversifié ou, à l’opposé, ciblé. Le musée d’État, dans sa mission pédagogique, se doit d’être adapté aux groupes scolaires, mais aussi aux gens de tous âges et de toutes origines. Cette tension peut ainsi faire d’une oeuvre ou d’un objet un élément à la fois religieux et séculaire, singulier et universel, accessible et exclusif (Leahy 2007a : 713). Cette transformation de l’objet se fait également ressentir à travers la conciliation nécessaire entre sensorium muséal et sensorium culturel.

Il y a toujours des compromis à faire entre le désir de parole de la culture et l’espace muséal. Un nouvel espace sensoriel dans le musée est certes difficile à atteindre, mais tout de même possible. En faisant appel aux sens, les musées réussissent à interpeller les visiteurs sur un plan plus interactif, immersif, voire intime. Ce n’est pas parce que cette expérience du musée semble se rapprocher du divertissement – ou, comme l’avance Belaën, que l’exposition immersive « témoigne d’une logique d’investissement sur la forme au détriment du discours » (Belaën 2005 : 92) – qu’elle doit être méprisée, bien au contraire. Immerger le visiteur dans d’autres réalités sensorielles, c’est lui permettre de « goûter » d’autres cultures et de les saisir un peu mieux. Cette stratégie vise à surpasser les biais culturels de l’imagination du visiteur pour mieux rendre compte de l’environnement et du contexte autour de l’objet exposé. Et c’est par le biais de ce type de stratégie que le public réussira un peu mieux à se sentir « chez soi » chez l’autre.