PrésentationLes questions d’affects dans les liaisons animales[Notice]

  • Frédéric Laugrand,
  • Michèle Cros et
  • Julien Bondaz

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  • Frédéric Laugrand
    Département d’anthropologie, Pavillon Charles-De Koninck, Université Laval, Québec (Québec) G1V 0A6, Canada
    frederic.laugrand@ant.ulaval.ca

  • Michèle Cros
    CREA – Centre de recherches et d’études anthropologiques, Faculté d’anthropologie, de sociologie et de science politique, Université Lumière–Lyon 2, 5, avenue Pierre Mendès-France, 69676 Bron Cedex, France
    michele.cros@univ-lyon2.fr

  • Julien Bondaz
    CREA – Centre de recherches et d’études anthropologiques, Faculté d’anthropologie, de sociologie et de science politique, Université Lumière–Lyon 2, 5, avenue Pierre Mendès-France, 69676 Bron Cedex, France
    j.bondaz@univ-lyon2.fr

Depuis plus de vingt ans, l’étude des relations entre les humains et les animaux s’est particulièrement développée, si bien qu’on ne compte plus les ouvrages publiés chaque année en sciences humaines et sociales à ce propos. En France et dans les mondes anglo-saxons, elle constitue désormais un domaine spécialisé de la recherche en socioanthropologie, mais également en philosophie, en éthique, en histoire, ou encore en droit. Des grands prédateurs (ours, jaguars, lions, etc.) aux compagnons domestiques (chiens, chats, etc.), des bêtes de rente aux amibes, les animaux sont omniprésents, y compris sous une forme virtuelle. Il n’est évidemment guère possible de citer ici les travaux portant sur chacune de ces espèces, mais quelques textes significatifs publiés depuis les années 2000 méritent d’être signalés. Les animaux ne jouent pas seulement un rôle sur les plans économique, social et symbolique, ils occupent également une place majeure dans les imaginaires et les traditions religieuses. En témoigne le cas du cochon, si bien documenté jadis par Claudine Fabre-Vassas (1994), qui montre comment cette bête singulière et paradoxale permet de comprendre bien des discours et des pratiques du judaïsme et du christianisme en Europe ; ou encore le bel exemple de son cousin sauvage, le sanglier, dont le sang noir est réputé ensauvager (Hell 1994). Nombre d’historiens s’intéressent eux aussi de plus en plus à la participation des animaux aux événements historiques (Digard et al. 2000 ; Dejohn Anderson 2003 ; Pastoureau 2004, 2007 ; Audoin-Rouzeau 2007) et à la prise en compte de leurs points de vue (Baratay 2003, 2012, 2014). Des bestiaires du Moyen Âge aux représentations contemporaines, l’animalité est, comme les hybrides de Dan Sperber (1975), bonne à penser. Elle permet de saisir l’humain dans ses multiples dimensions et laisse apparaître, via des figures souvent complexes, de multiples relations et divers « jeux sur la distance » (Lizet et Ravis-Giordani 1993). L’animalité se marie ainsi vite avec l’humanité de l’homme, véritable animal politique (Guichet 2008 ; Olson 2009), de sorte que « défaire la bête, c’est défaire l’homme », selon le bon mot de Paul Yonnet (1985). En même temps, certains chercheurs s’interrogent sur le statut des animaux comme interlocuteurs de l’enquête socioanthropologique (voir Piette 2002 ; Vicart 2008 ; Doré 2010 ou Marvin 2011, par exemple). À cet égard, Vinciane Despret (2012), l’une des philosophes qui est probablement allée le plus loin dans ces réflexions, fait valoir la nécessité d’aborder les animaux en dehors du constructivisme, dans des rencontres singulières où l’observateur entre dans de réelles interactions avec la bête. À bien des égards, les bêtes suscitent depuis longtemps les plus grandes passions. La domestication en offre la plus belle illustration, les humains s’efforçant ici d’établir des rapports de pouvoir et de séduction tout en maintenant leurs partenaires dans une relation d’aide ou de subordination (voir Digard 1999, 2009 ; Baldin 2014). Toutes les sociétés n’admettent pourtant pas ce rapport aux animaux, certaines demeurant résistantes à l’élevage, comme l’illustre le cas des chasseurs inuit, par exemple (Laugrand et Oosten 2014). Les animaux alimentent également la discorde, la crainte et de violents conflits (Knight 2000 ; Ethnologie française 2009). À maintes occasions, ils deviennent les plus grands ennemis des hommes, qui les accusent alors de tous les maux et s’en servent pour dénigrer leurs propres ennemis, ainsi que le rappellent toutes ces insultes, caricatures et images de propagande (Leach 1980 ; Couroucli 2005). La mort de la bête, individuellement ou à grande échelle, engendre le malaise – comme l’illustre la magnifique et désormais classique ethnographie des abattoirs de Noëlie Vialles (1987). Ce malaise alimente d’ailleurs aujourd’hui en Occident des courants écologiste, antispéciste, …

Parties annexes