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L’ouvrage traite, en contexte Africain, de la diversité des regards que les humains posent sur leur monde, de la variété de leurs interactions avec les animaux, des formes de vie sociale qui en émergent et des ontologies qui les structurent. De la chasse à l’élevage, des pratiques d’apprivoisement et de domptage dans les zoos et les cirques, en passant par des figurations dans les musées, les animaux alimentent des fascinations et des peurs chez les humains.
Avec un souci de diluer les vestiges de l’imaginaire colonial empreint de préjugés exotiques sur l’altérité anthropozoologique africaine, une première série d’articles avec pour thème « consommer l’ordinaire » aborde les formes transgressives, alternatives et subversives de consommations d’animaux. Sans se limiter aux besoins nutritifs, les possibilités alimentaires des peuples s’opèrent suivant diverses formes de relations des humains entre eux, et avec d’autres entités du vivant, au premier rang desquels les animaux. Chez les Touareg du Niger par exemple, la consommation du lait dévoile les relations intergénérationnelles et de genre, ainsi que le statut de différents animaux impliqués dans la production du lait. C’est ainsi que la chamelle est associée à la noblesse, et son lait consommé par les hommes adultes pour gagner en endurance, à l’instar du chameau. Le lait de vache est réservé aux femmes, tandis que les enfants et les femmes des ménages pauvres consomment celui de la chèvre. Lucie Buffavand montre que, chez les Bodi en Éthiopie, le lait est plutôt mobilisé dans les rites de bénédiction et de protection, tandis que le sang est au coeur des pratiques de purification en cas d’homicide ou de contact avec la mort. Le sang a également un rôle restaurateur et réintégrateur pour toute personne contrainte de rester à l’écart à la suite d’un décès ou d’un homicide. De leur côté, les Aka de Centrafrique considèrent que, recherchée ou interdite, la consommation de la viande est censée permettre l’incorporation (ou le rejet) de vertus, traits physiques ou comportementaux de l’animal et des forces qui lui sont attachées, y compris sa fécondité et/ou sa vigueur sexuelle (Alain Epelboin, p. 57).
Les humains cherchant aussi à domestiquer, à anthropomorphiser et à dompter le monde animal, Julien Bondaz analyse comment, dans le Parc urbain de Bangr au Burkina-Faso, des plats cuisinés et servis chauds visent à transformer les carnassiers naturels en carnivores « moins sauvages », voire en omnivores. L’auteur voit dans cette transitivité des qualités alimentaires une sorte de passage du cru au cuit, pour modifier la perception que les carnivores peuvent avoir les soigneurs (avec du sang frais), afin que ces derniers ne soient plus des proies potentielles pour les carnassiers désormais carnivores non prédateurs. La cuisson a une fonction médiatrice, non pas entre la nature et la culture, mais entre le sauvage et le domestique.
Dans un zoo ou dans un musée, tout le défi est de créer le lien avec l’animal en présence, de faire corps avec, de le représenter, ou d’en être le porte-parole. En Europe, ces espaces sont longtemps restés des reflets de la conquête coloniale et des expéditions cynégétiques, des lieux de mise en scène de pièces diverses illustrant un monde exotique lointain fait de fétiches, d’objets étranges, d’animaux effrayants ou merveilleux comme le décrivent Michel Bonemaison et Audrey Corté. Ces mises en scène naturalistes ont isolé les animaux dans un discours qui les fige, au lieu de révéler leurs transformations évolutives, et celles induites par l’interaction avec les humains. Voilà l’idée qui est au coeur de la seconde série d’articles regroupés sous le thème « accommoder l’imaginaire ». Benoît de L’Estoile suggère alors que les musées devraient à l’avenir réintroduire l’historicité des relations sociales entre humains et animaux, tout en permettant de redécouvrir la structuration complexe des rapports entre les européens et les africains. La perspective ne serait pas commémorative, mais historique et réflexive. Un défi sans doute difficile à relever vu le nombre de zoos européens qui se transforment en ambassadeurs de la biodiversité, et qui financent des programmes de préservation de la nature dans les pays africains. Cependant, les populations indigènes réduites au rôle de gardien et de voleur dans les aires protégées relèvent que ces programmes font le jeu « de l’autoritarisme de leurs gouvernements, subordonnés aux exigences égoïstes des pays riches et des organisations internationales » (Alain Epelboin, p. 61). Cette situation alimente le discours sur la sorcellerie que Julien Bonhomme appréhende au Gabon comme calqué sur le schème de la prédation. En effet le sorcier est considéré comme un prédateur féroce à l’image de la panthère. Le devin-guérisseur, quant à lui, est autant un chien de chasse qu’une panthère, parce qu’il est le symbole de la contre-sorcellerie. En fin de compte, la sorcellerie est une forme hyperbolique de cannibalisme à travers les images de dévoration et de prédation ; d’où le thème « digérer le sauvage » qui regroupe la dernière série d’articles.
En quinze contributions, l’ouvrage apporte des connaissances renouvelées sur l’altérité anthropozoologique dans une Afrique qui a longtemps été appréhendée dans le prisme de la sauvagerie, de l’abondance du gibier et de l’exotisme exubérant. La concision des analyses et les bannières thématiques facilitent la lecture et le repérage des principales propositions heuristiques implicites à l’ouvrage. Même si à certains égards, on peut encore relever une vision unitaire de l’Afrique, la diversité des données ethnographiques, et les perspectives anthropologique et ethno-historique des approches permettent, d’une rare manière, de percevoir une Afrique aux multiples facettes.