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Depraz Natalie, 2012, Comprendre la phénoménologie. Une pratique concrète. Paris, Armand Colin, 256 p.[Notice]

  • Mathieu Poitras

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  • Mathieu Poitras
    Département de sociologie et d’anthropologie, Université d’Ottawa, Ottawa (Ontario), Canada

Cet ouvrage, écrit par Natalie Depraz, spécialiste en phénoménologie, et professeure de philosophie à l’Université de Rouen, est une mise en lumière du caractère concret de la phénoménologie en vue d’une (ré-)orientation pratique de cette dernière. La présentation de la phénoménologie en rapport à la pratique répond à l’intuition de l’auteure selon laquelle la phénoménologie gagne à se ressourcer à d’autres disciplines pratiques comme gage de sa vitalité et de son renouvellement, et qu’avant toute chose, elle est fondamentalement une épreuve expérientielle. La question qui sous-tend l’enquête est la suivante : comment pratiquer la phénoménologie ? La réponse se situe à deux niveaux : d’une part, établissant le non-phénoménologique comme mortifère, et objectifiant le phénoménologique comme subjectif vivifiant (p. 15), on pratique la phénoménologie par une série d’attitude adoptées, autant de gestes du regard et de réflexes de la pensée effectués en conscience en tant que sujets, puisque la phénoménologie est science des phénomènes, c’est-à-dire des choses telles qu’elles nous apparaissent. D’autre part, la phénoménologie se pratique par ses déclinaisons au sein des champs disciplinaires dans lesquels elle vient s’enraciner en tant qu’attitude, ethos qui à son tour incline à une série de pratiques. Après avoir présenté au lecteur un survol de la constitution de la phénoménologie comme discipline à travers ses pères fondateurs (Husserl, Heidegger, Merleau-Ponty, etc.) et leur apports, l’auteure souligne le rôle de la tradition pragmatiste dans la transformation pratique de la phénoménologie (p. 20), et ce, à travers la saisissante parenté entre la méthode de la phénoménologie et l’attitude préconisée par les fondateurs de l’école pragmatiste (Peirce, W. James). Cette parenté semble constituer le socle philosophique principal à l’argumentaire de Depraz. Les potentialités pratiques de la phénoménologie, l’auteure les décèle dans des « champs-racines » et des « champs relationnels » : méditation bouddhiste, spiritualité du christianisme orthodoxe, expérience esthétique, autant d’exemples de phénoménologie appliquée, notamment l’anthropologie dite ethno-méthodologique qui forme, selon elle, « une méthodologie satisfaisante à la description phénoménologique des “pluralités en mouvement” et des “collectivités hétérogènes” » (p. 84). Du reste, l’auteure met en lumière la manière dont les différents champs d’expérience se trouvent réélaborés par la phénoménologie, et ce par une méthode de cette dernière, incarnée en une série de gestes précis que l’auteure vient élaborer en détail. Il s’agit de la réduction phénoménologique husserlienne, méthode en trois temps (la conversion, l’épochè, et la variation eidétique). Cette opération tripartite n’est pas sans impact sur la description et les formes d’écriture qui en résultent ; il est question par exemple de l’écriture à la première personne et des champs variés, ou, plus près de nous en anthropologie, de l’écriture ethnographique. Enfin, en dernière partie, Depraz présente une série de figures et de gestes avant-coureurs de la phénoménologie, les situant historiquement (les stoïciens, les pères du désert, le scepticisme, et le doute cartésien ) pour ensuite étaler au long de l’histoire de la pensée une série de situations philosophiques qui préfigurent ou pointent vers l’attitude et la démarche phénoménologique telle que systématisée par Husserl (de la caverne de Platon au coup de marteau de Nietzsche et ses aphorismes déstabilisateurs). Finalement l’ouvrage se termine en soulignant l’importance contemporaine de la démarche pratique phénoménologique, qui par son caractère intersubjectif, son réquisit d’ouverture à ce qui arrive, et l’attitude d’attention à la réception à laquelle elle dispose, s’avère une expérience pratique de l’attention et, pour tout dire, une éthique du quotidien (p. 119). Le livre est constitué comme une fresque – un tableau général – à la fois vaste et détaillée d’un état de fait, celui de la phénoménologie et de ses possibilités de …